Penchés au-dessus d’une cuve en cuivre, deux hommes nouent à une traverse une toile de lin contenant une future meule de parmesan italien. Les gestes sont traditionnels. Le propriétaire est le géant laitier Lactalis, qui étend son règne sur les fromages de terroir.
Après un an d’affinage, la meule pourra être marquée au fer rouge du sceau de l’appellation d’origine protégée (AOP) Parmigiano Reggiano. Cette fromagerie de Reggio Emilia, dans le nord de l’Italie, produit 55.000 meules par an, une « Formule 1 » à l’échelle du Parmigiano Reggiano (15.000 en moyenne), explique Alessandro Lamalfa, le responsable marketing de Castelli, une marque acquise en 2020 par Lactalis.
Le site paraît malgré tout modeste, avec une vingtaine d’employés. « On fait partie d’un groupe multinational, mais on est encore beaucoup dans la tradition » avec un strict respect du cahier des charges de l’AOP, un signe de qualité reconnu au niveau européen, fait valoir M. Lamalfa. Le rachat par le français Lactalis de la société spécialisée dans les fromages traditionnels italiens Nuova Castelli avait déclenché une mini-tempête. Le ministre italien de l’Agriculture avait promis de « protéger l’agroalimentaire italien de l’assaut des multinationales étrangères ».
Une « terrible menace pour nos fromages » selon la Confédération paysanne
Lactalis, qui se revendique déjà « premier acteur mondial des AOP », ne compte pas s’arrêter là. La société attend que les autorités européennes de la concurrence valident l’acquisition d’Ambrosi, un fabricant de parmesan et grana padano – les deux plus grosses AOP italiennes.
Lactalis, qui a plus que quintuplé son chiffre d’affaires depuis 2000 (28,3 milliards de chiffre d’affaires l’an dernier), grandit à coups d’acquisitions, mettant la main sur de grandes marques industrielles comme Kraft et Leerdammer, mais aussi d’autres plus confidentielles qui fleurent bon le terroir.
Récemment, l’entreprise a acheté en France Verdannet, qui fabrique un monument savoyard, le reblochon. La Confédération paysanne, syndicat agricole minoritaire, a dénoncé une « terrible menace pour nos fromages ». Lactalis est comparé par ses détracteurs à un rouleau compresseur qui serait tenté d’alléger les cahiers des charges des AOP et ainsi baisser leurs coûts de production.
Le groupe, qui commercialise des produits dans 150 pays, se présente plutôt comme une locomotive qui augmente l’aura de ces fromages. « Entrer dans un réseau comme celui de Lactalis ouvre des perspectives intéressantes » souligne le directeur général de la filiale Castelli, Michele Fochi, citant le Brésil, la Chine et l’Australie.
Largement mises en avant par le groupe, les AOP représentent moins de 5% du chiffre d’affaires, tiré par les produits de consommation courante (marques Président, Galbani, Parmalat, Lactel…).
« On est clairement en opposition »
En France avec le roquefort comme en Italie avec le parmesan, « Lactalis se sert de l’image des fromages AOP pour essayer de discréditer le Nutri-Score », un étiquetage qui matérialise leur forte teneur en gras et en sel par la pire note (E, encadrée de rouge), au motif qu’il pénaliserait un « savoir-faire ancestral », reproche le nutritionniste à l’origine du Nutri-Score Serge Hercberg.
Une autre bataille se joue depuis des années entre le « camembert de Normandie » (au lait cru, moulé à la louche) protégé par l’AOP et son avatar industriel au lait pasteurisé fabriqué dans la région. Pour mieux valoriser ses boîtes sans AOP, Lactalis entend bien faire figurer la mention « fabriqué en Normandie ».
« On est clairement en opposition » sur ce sujet, dit Sébastien Breton, délégué général du Conseil national des appellations d’origine laitières (Cnaol), le collectif rassemblant les 51 AOP laitières françaises, dont 46 fromages. Pour lui, l’influence de Lactalis dans les AOP relève du « fantasme ». Le conseil d’administration du Cnaol compte un représentant de Lactalis sur 24 membres. « On a une grosse part de marché, mais dans les AOP la taille de l’intervenant ne joue pas dans sa capacité à influencer les choses », affirme à l’AFP le patron de Lactalis Emmanuel Besnier. « On nous prête beaucoup de choses, mais on investit et on croit aux AOP. Cela fait 40 ans qu’on a commencé », poursuit-il, se défendant de toute « arrière-pensée » et disant vouloir simplement « proposer le plateau de fromages le plus riche de toute la profession ».
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