Dans les premiers rayons de soleil qui dardent sur la Seine, à quelques encablures d’une famille de cygnes, le goulot d’une bouteille en verre flotte au milieu d’un amas de feuilles. Bientôt le voilà happé par le Bélénos, un bateau qui, depuis 1980, nettoie le fleuve.
Chaque jour de la semaine, ce catamaran de 20 mètres équipé d’un tapis roulant enfoncé à 40 centimètres dans l’eau pour aspirer les déchets flottants, sillonne les eaux des Hauts-de-Seine. « En tout, on couvre 17 communes et 66 kilomètres de berges », expliquent Rémi Delorme, le capitaine du navire depuis 2010, et les deux marins qui l’accompagnent.
Un autre bateau, plus petit, le Sequana – divinité gauloise réputée pour accomplir des miracles – l’accompagne parfois pour mieux se faufiler au plus près du rivage. Le Bélénos tire lui aussi son patronyme d’un dieu gaulois, associé à la lumière et aux beaux jours, mais aussi doté du pouvoir de soigner les eaux. En ce début juin, il n’a jamais aussi bien porté son nom.
« On ramasse de tout »
À peine une heure après son départ du port de Levallois-Perret, la benne de sept mètres cubes, où atterrissent tous les déchets récoltés, est déjà presque pleine. Feuillages, branches, carcasse de vélo, ferrailles en tous genres, balles de tennis, citrons, sacs plastiques, ampoule dans son carton d’emballage … La récolte du jour est, comme souvent, prolifique.
« On ramasse de tout. En ce moment c’est infernal, entre les gens qui pique-niquent sur les bords de Seine et laissent tout sur place, et le vent qui ramène des trucs d’un peu partout, il y a du boulot », constate, impassible, M. Delorme. « Plus grand chose de ce qu’on remonte ne nous semble insolite. Les scooters, les trottinettes, les canapés, les animaux morts mais aussi, une à deux fois par an, des cadavres humains, on finit par s’habituer. » Tout juste, concède-t-il, avoir été quelque peu surpris en retrouvant une arme au milieu des détritus.
En ce moment, sa préoccupation principale, ce sont les algues. « C’est lié au réchauffement climatique, avec les eaux plus chaudes, elles prolifèrent, et comme le niveau de l’eau est bas avec la sécheresse, elles remontent », explique ce fin connaisseur du fleuve. À 36 ans, cela fait déjà 20 ans que ce petit-fils de bateliers navigue, dont une quinzaine d’années rien que sur la Seine. Cela lui a laissé le temps de voir évoluer les ondes sequaniennes. « Il y a une amélioration de la qualité, c’est plus propre, on a même la biodiversité qui revient », se félicite-t-il. Ce matin de printemps, le Bélénos croise ainsi la route de plusieurs canards, d’un héron cendré et d’un ragondin. « C’est le côté sympa du métier », plaisante le capitaine.
« Sur les quais, il n’y a pas de poubelles »
D’année en année, le niveau des déchets collectés par le Bélénos diminue : de 325 tonnes par an en moyenne au début, il n’en restait plus que 190 tonnes en 2020. 100% des déchets verts finissent en compost, et 88% de l’ensemble part au recyclage, assure le département, gestionnaire du bateau et pleinement mobilisé en vue des Jeux olympiques de Paris-2024 et de l’objectif de rendre la Seine baignable.
En revanche Rémi Delorme déplore une « dégradation des berges, avec la multiplication de décharges sauvages ». En cause, l’incivilité qui progresse et l’absence de structures adaptées. « Sur les quais, il n’y a pas de poubelles, alors les gens balancent tout à la flotte », peste-t-il. « Des fois on passe trois-quatre jours à nettoyer une zone, on revient la semaine d’après c’est à nouveau dégueulasse. C’est sans fin », explique le capitaine, actionnant un jet d’eau surpuissant pour déloger une veste usagée traînant sur la rive.
« Ça reste une passion »
Alors que le navire s’approche des tours de Courbevoie, son regard est soudain attiré par une masse brune se détachant sur les eaux vertes. C’est un énorme tronc d’arbre. Lui et ses hommes sortent la tronçonneuse, impossible de le remonter d’un seul tenant, cela pourrait endommager le tapis. Quelques jours plus tôt, un gros bout de bois a eu raison de leur pince à grume. « Les machines, elles dégustent. Et nous aussi », déclare M. Delorme. « Malgré tout, ça reste une passion », conclut-il dans un sourire.
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