La Commission européenne a réagi avec réserve à la décision de Meta de remplacer les vérificateurs de faits (« fact-checkers ») aux États-Unis par un nouveau système de « notes communautaires », suscitant un débat sur la manière dont le géant de la technologie se comportera dans le cadre des contrôles stricts de l’Union européenne en matière d’Internet.
Meta remplacera ses vérificateurs de faits aux États-Unis par un nouveau système de « notes communautaires », similaire à celui de la plateforme X d’Elon Musk, a annoncé Mark Zuckerberg, PDG de l’entreprise technologique, sur Meta le 7 janvier.
Dans un changement de discours majeur, Mark Zuckerberg a également qualifié les vérificateurs de faits de « trop politiquement biaisés », affirmant qu’ils « détruisaient plus de confiance qu’ils n’en créaient ».
« Après l’élection de [Donald] Trump en 2016, les médias traditionnels ont écrit sans arrêt que la désinformation était une menace pour la démocratie. Nous avons essayé de bonne foi de répondre à ces préoccupations sans devenir les arbitres de la vérité. Toutefois, les vérificateurs de faits ont tout simplement été trop biaisés politiquement et ont détruit plus de confiance [du public] qu’ils n’en ont créée, en particulier aux États-Unis », a-t-il déclaré.
Mark Zuckerberg a qualifié l’Europe de lieu de « censure », en référence à la législation sur les services numériques (LSN) de l’UE qui réglemente le contenu en ligne.
« L’Europe dispose d’un nombre croissant de lois qui institutionnalisent la censure et rendent difficile la mise en place de projets innovants », a-t-il déclaré.
La LSN est un règlement européen de 2022 qui régit les obligations des services numériques. Les plateformes de médias sociaux sont notamment tenues de supprimer les informations considérées comme de la désinformation et de prendre d’autres mesures spécifiques pour y remédier.
Bien que les entreprises ne soient pas directement responsables de tous les contenus générés par les utilisateurs, une partie des attributions de la LSN rend les plateformes responsables des contenus auxquels les utilisateurs sont exposés.
Les appels à recourir à la LSN afin de réprimer X, détenu par Elon Musk, se sont intensifiés cette semaine, lorsque M. Musk a interviewé Alice Weidel, la dirigeante du parti de droite allemand Alternative pour l’Allemagne (AfD), le 6 janvier.
Thierry Breton, ancien responsable de la politique numérique de l’Union européenne, a affirmé que la loi sur la désinformation de l’Union européenne pourrait interdire X si la plateforme de médias sociaux ne respectait pas ses conditions.
« Cent cinquante fonctionnaires de l’UE sont censés surveiller ma conversation avec Elon Musk », a déclaré Alice Weidel sur X peu avant l’interview en direct.
En réponse aux changements apportés par Meta, la Commission européenne a fait connaître sa position sur les vérificateurs de faits et les conséquences potentielles de la non-conformité à la LSN.
« Nous n’avons pas de commentaire particulier à faire sur ce qui se passe aux États-Unis », a déclaré Thomas Regnier, membre de la Commission européenne, aux journalistes le 8 janvier, ajoutant que la LSN ne s’applique qu’à l’UE.
Thomas Regnier a déclaré que le travail des vérificateurs de faits dans l’UE est basé sur des « normes éthiques et professionnelles de haut niveau » et que la vérification indépendante de faits peut être considérée comme un moyen efficace d’« atténuer les risques systémiques » découlant de la « désinformation ».
M. Regnier a déclaré qu’une décision de non-conformité attestant l’infraction à la LSN pourrait entraîner des amendes allant jusqu’à six pour cent du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise.
« En d’autres termes, nous réfutons absolument toute allégation de censure de notre part », a ajouté Paula Pinho, porte-parole en chef de la Commission européenne.
Les organisations de vérification des faits jouent un rôle dans l’identification et le signalement des contenus susceptibles d’être considérés comme de la désinformation dans l’UE.
L’une de ces organisations, le Réseau européen des normes de vérification des faits (European Fact-Checking Standards Network, EFCSN), s’est déclarée « déçue par la décision de Meta ».
Le EFCSN affirme que lier la vérification des faits à la censure est « nuisible » et consiste en « la force motrice derrière le harcèlement et les attaques contre les vérificateurs de faits ».
Les évaluateurs de sources, comme U.S. NewsGuard qui attribue des notes de crédibilité aux contenus en ligne et aux médias, aident la Commission européenne en matière de désinformation.
Système de censure décentralisé
Selon Norman Lewis, chercheur invité du groupe de réflexion MCC Brussels, ancien directeur de PwC et directeur de la recherche technologique chez Orange UK, cité dans un rapport de 2024, l’UE institutionnalise des lois contre les discours haineux et la désinformation qui représentent une « attaque fondamentale contre la liberté d’expression et la démocratie en Europe ».
La Commission européenne s’appuie sur des vérificateurs de faits officiellement désignés, dont certains sont des ONG.
Ces entités signalent des éléments de contenu spécifiques aux plateformes pour qu’elles les examinent. Ces dernières sont alors tenues d’agir, soit en supprimant le contenu en question, soit en menant une enquête plus approfondie.
« Il s’agit d’un système qui institutionnalise l’absence de responsabilité », a déclaré Norman Lewis à Epoch Times. « Les plateformes doivent se conformer à la loi en arguant qu’elles n’ont pas le choix si elles veulent continuer à opérer en Europe. »
« Les vérificateurs de faits n’ont de comptes à rendre à personne. En fin de compte, la Commission peut prétendre qu’elle ne censure pas, mais le Big Tech le fait, alors que c’est la Commission qui a créé l’environnement forçant cette censure. »
« S’ils n’agissent pas, des sanctions très sévères sont prévues », a-t-il ajouté.
« Mon rapport souligne que la Commission externalise le contrôle des contenus au lieu de le faire elle-même. Elle a délibérément créé un système de censure décentralisé dans lequel son intention de censure est exercée à distance. »
Selon M. Lewis, il est juste de supprimer les contenus faisant l’apologie du terrorisme ou d’activités illégales, mais le système actuel vise également des contenus plus subjectifs, tels que les discours de haine. L’absence de définitions claires et de responsabilité entraîne la suppression d’un grand nombre de contenus légitimes.
La base de données de transparence de l’UE, qui fait partie de la LSN, permet de suivre presque en temps réel les décisions de modération de contenu prises par les fournisseurs de plateformes en ligne.
« Vous verrez le nombre remarquable d’incidents et de choses qui ont été retirées. Et si vous cherchez un discours haineux, vous trouverez des milliers et des milliers de messages », a-t-il déclaré.
« Le problème, c’est que tout cela est opaque. Le public n’accède pas à ces données pour voir quel contenu exactement [a été supprimé] : il peut être très dangereux, il peut s’agir d’abus sexuels violents ou d’appels à la violence. Mais il peut aussi s’agir de contenus légitimes, par exemple l’opposition au Green Deal, aux politiques d’immigration de l’UE ou à l’identité de genre », a-t-il poursuivi.
Selon Norman Lewis, l’annonce de Mark Zuckerberg concernant « la censure, l’intention [de Meta] de supprimer les vérificateurs de faits ainsi que les actions d’Elon Musk sur X vont directement défier » l’UE, même si Meta a jusqu’à présent déclaré que ces changements ne s’appliquent pas à l’UE.
« La suite des choses reste à voir. Mais il ne fait aucun doute que la liberté d’expression ou la censure deviendra une question géopolitique, en particulier dans les relations entre la future administration Trump et l’UE », a-t-il ajouté.
« Changer la donne pour la liberté d’expression »
Selon Jeremy Tedesco, vice-président de l’Alliance Defending Freedom chargé de l’engagement des entreprises et avocat principal, dans une déclaration par courriel à Epoch Times, ce dernier dénouement laisse présager que les États-Unis sont sur le point de « donner le bon ton concernant la liberté d’expression ».
« Les changements annoncés par Meta pourraient changer la donne en matière de liberté d’expression. Nous avons déjà vu l’impact de la refonte de X sous la direction d’Elon Musk, et il n’y a aucune raison pour que Meta ne puisse pas changer les choses de manière aussi rapide et intégrale », a-t-il déclaré.
D’après Jeremy Tedesco, Facebook n’aurait « jamais dû s’appuyer sur les soi-disant ‘vérificateurs de faits’ de quelque tendance politique que ce soit pour contrôler le discours en ligne ».
« Or, comme l’a dit M. Zuckerberg dans la vidéo, nous sommes entrés dans une nouvelle ère pour la liberté d’expression, une ère où de puissantes entreprises de médias sociaux comme Meta auront beaucoup à gagner et peu à perdre en permettant à chacun de s’exprimer librement en ligne », a-t-il ajouté.
« La réponse à un discours que vous n’aimez pas représente toujours plus de discours, non de censure », a-t-il fait valoir.
« J’espère que Meta est prêt à faire des progrès importants dans ce domaine critique. », a-t-il déclaré.
À la question de savoir si la future administration Trump pourrait théoriquement utiliser des droits de douane envers l’UE si cette dernière s’en prend à Meta concernant la liberté d’expression, Jeremy Tedesco a répondu qu’il est « du devoir du gouvernement de protéger les libertés données par Dieu, à commencer par la parole et la religion ».
« Les États-Unis sont incontestablement le leader mondial dans la protection de ces libertés fondamentales. Or, il ne fait aucun doute que notre gouvernement fédéral a manqué à son devoir ces dernières années. »
« Le peuple américain s’est exprimé haut et fort dans les urnes : nous en avons assez de la censure pour des motifs de points de vue. Et nous attendons de nos dirigeants élus qu’ils donnent le bon ton en matière de liberté d’expression sur la scène internationale », a-t-il ajouté.
Le porte-parole de la Commission européenne, Thomas Regnier, a déclaré par courriel à Epoch Times que dans l’UE, les vérificateurs de faits travaillent sur la base de « hautes normes éthiques et professionnelles, qui garantissent leur indépendance ».
« Dans le cadre du Digital Services Act, la collaboration avec ces vérificateurs de faits indépendants peut être un moyen efficace pour les très grandes plateformes en ligne (VLOPs, very large online platforms) d’atténuer les risques découlant de leur utilisation malveillante par la propagation de la désinformation ou d’effets négatifs sur le discours civique », a-t-il déclaré.
Epoch Times a contacté le Réseau européen des normes de vérification des faits (European Fact-Checking Standards) pour commentaire.
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