La Chine de Xi Jinping est sûre de sa toute-puissance et de son ascension au rang de première puissance mondiale. Mais il existe de nombreux facteurs qui viennent nuancer cette ambition et qui interrogent sur la durabilité de ce « modèle chinois ».
Ces facteurs sont multiples et concernent chaque aspect de la société chinoise : politique, social, démographique, géopolitique et économique.
Tout rattrapage a une fin
Les commentateurs de la situation chinoise oublient la donnée principale : le rattrapage. Pourtant le Japon et bien d’autres nous ont montré la force et les limites de ce processus.
Tout pays bénéficiant de l’ordre public, d’une administration moyenne et ayant une partie notable de sa population sachant lire et écrire, rattrape très rapidement son niveau normal après une grande épreuve qui l’a ruiné. Pour l’Allemagne de 1945, cette épreuve a été le nazisme et la Seconde Guerre mondiale, pour le Japon de la fin du XIXe siècle, l’époque féodale et un isolement séculaire, pour la Corée du Sud la démolition quasi-totale du pays par la guerre du début des années 50.
Pour la Chine, qui avait été une grande puissance, ce fut l’anarchie de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1949, puis la catastrophe maoïste.
On a oublié aujourd’hui à quel point la Chine était tombée bas, avec notamment de gigantesques famines. Bien que beaucoup plus graves que les disettes indiennes, ces famines ont été moins médiatisées, Mao ayant érigé pour principe : « pas de journalistes, pas de famine ».
Mon grand-père communiste me disait : « On peut dire ce qu’on veut de Mao, mais il a fourni un bol de riz à tous les Chinois », cela au moment même où ils mouraient plus que jamais de faim. Admirable propagande, qui avait même gagné Saint-Germain-des-Prés ! Et l’on voit aujourd’hui des gauchistes vieillissants maudire leur admiration ignorante d’alors.
Bref, la Chine a retrouvé un ordre public après Mao, ordre dictatorial comme en témoigne le massacre de Tiananmen, mais néanmoins fin de l’anarchie permettant enfin aux acteurs économiques, alors des entreprises et des firmes publiques, de fonctionner.
Le nouveau patron, Deng Xiaoping autorisa le secteur privé et l’ouverture sur l’étranger. Rien d’étonnant que, partant de quasiment zéro, on ait eu des taux de croissance très importants pendant quelques décennies. Les investisseurs internationaux se sont rués sur ce pays où les salaires étaient très bas, la discipline totale et la population d’un niveau intellectuel et scolaire supérieur à celui d’autres pays la planète, que je ne citerai pas par charité.
Ces investisseurs internationaux ont apporté non seulement de l’argent, mais surtout des technologies et des méthodes de travail. Ils ont formé des sous-traitants, et le goût séculaire des Chinois pour le commerce et les affaires a fait le reste.
La différence de développement avec l’Occident tirait la Chine vers le haut, mais cette force de rappel s’affaiblit mécaniquement au fur et à mesure que l’on s’approche du niveau de développement occidental, du fait notamment de la hausse des salaires et des budgets de recherche-développement, alors que l’on profitait jusque-là de l’apport gratuit des étrangers.
Et cette force de rappel est d’autant plus faible aujourd’hui que le régime politique est moins favorable aux entrepreneurs, comme nous allons le voir.
La mainmise du président Xi
Le président s’est vu réinvesti à la tête de la Chine en octobre 2022, bien qu’ayant effectué les deux mandats constitutionnels, et avec des pouvoirs inégalés depuis Mao.
La constitution oblige à révérer « la pensée XI » comme jadis celle de Mao. Il s’est entouré exclusivement de fidèles, après notamment l’éviction de Hu Jintao.
Il n’y a maintenant qu’une seule ligne avec comme conséquence probable la rigidité dans la prise de décisions, le conformisme et l’auto-censure de crainte de déplaire… ce n’est d’ailleurs pas sans risque tant pour la Chine que pour le reste du monde si l’on pense à Vladimir Poutine, à la théocratie iranienne, à l’épisode nazi et bien d’autres.
Le poids de l’idéologie et du nationalisme
Idéologie et nationalisme mènent au pire, et en voici des exemples récents :
– Le rejet des vaccins européens pour utiliser des vaccins nationaux moins efficaces, ce qui est une des causes des excès de la politique zéro-covid ayant paralysé l’activité économique. D’où l’ouverture brutale pour éviter l’effondrement économique et la flambée des contaminations qui a suivi.
– Le mépris des relations internationales avec de violentes attaques verbales et de fausses informations. Le tout suivi de « rétro pédalages » lorsque l’on constate que l’étranger est indispensable dans tel ou tel domaine ou que l’isolement va coûter cher.
– Le resserrement du contrôle du Parti en rappelant la nécessité pour toute entreprise, étrangères comprises, d’accepter une intrusion dans la gestion par une cellule du Parti.
Le refus de la jeunesse de se sacrifier pour la « cause »
Aujourd’hui, les jeunes Chinois vivent mieux que leurs ainés et comprennent de moins en moins l’utilité des sacrifices qu’on leur demande. Ils ne se jettent plus corps et âme dans le travail pour sortir de la misère, et refusent de plus en plus de faire les 6×9 (9 heures par jour, 6 jours sur 7).
Les jeunes se considèrent comme les principales victimes de la stratégie zéro-Covid qui aura duré trois ans. A Shangaï et dans d’autres villes chinoises, chaque sortie entrainait le risque d’être contaminé ou de devenir cas contact et donc de voir l’immeuble entier être confiné pendant deux semaines : impossible de sociabiliser, de se construire un réseau, de bâtir son avenir, etc.
Malgré une censure très réactive, des témoignages ont filtré sur l’exaspération des jeunes contre le « zéro-Covid » et parfois contre le régime.
La maladresse de la télévision nationale montrant une foule internationale sans masques pour le mondial de football au Qatar a déclenché la fureur.
La catastrophe économique s’étant ajoutée à cet état d’esprit, le régime a brusquement levé les confinements.
Une péripétie : redémarrer l’économie en déclenchant une crise sanitaire
Il en est résulté, comme prévu, une flambée des contaminations et des décès. Les chiffres officiels restent très en dessous de ce que l’on peut subodorer au vu de l’embouteillage des entrepôts frigorifiques où sont stockés les cadavres et celui des centres de crémation.
L’estimation occidentale parle de 1 à 2 millions de décès supplémentaires, surtout, de personnes âgées, du fait de la moindre efficacité des vaccins chinois et de leur préférence pour la médecine traditionnelle. Les Occidentaux estiment que les confinements ont freiné l’immunité naturelle et que la demande de soins intensifs pourrait être de 16 fois la capacité existante.
Les autorités estiment que la reprise économique, qui semble rapide, justifie cette prise de risque dont les conséquences sont pour l’instant inconnues, faute de chiffres officiels fiables.
Mais la reprise n’est pas la croissance : pour l’instant il s’agit d’un simple rattrapage par rapport au creux du confinement.
Revenons aux problèmes structurels.
Vers la fin du réservoir de main-d’œuvre
Un des ressorts de la croissance chinoise est le travail des migrants internes, les mingong. Les Chinois, comme les Soviétiques, restent à vie rattachés à leur commune de naissance par le passeport intérieur.
Il y aurait 250 millions de travailleurs venus de la campagne chinoise et travaillant dans les villes sans bénéficier des avantages sociaux des citadins. Ils laissent en général leurs enfants à la charge des grands-parents restés au village, à qui ils envoient une partie de leur salaire.
Ils vivent souvent entassés dans des logement préfabriqués près des usines, voire dans l’usine elle-même, avec un horaire hebdomadaire pouvant atteindre 80 heures, tandis que leurs enfants sont scolarisés dans les écoles de village de second ordre.
Cette main-d’œuvre bon marché est l’un des ressorts de la croissance, mais le déclin démographique mène à s’interroger sur sa permanence.
Le décrochage démographique
La Chine aujourd’hui c’est 1,4 milliard d’habitants, mais avec une pyramide des âges qui se transforme.
Dans un premier temps, le pays a bénéficié du « dividende démographique » : les dernières décennies de croissance démographique génèrent provisoirement beaucoup d’actifs, avec peu de personnes à charge. Peu d’enfants, du fait de la politique de l’enfant unique, et peu de personnes âgées du fait de la croissance d’une génération sur l’autre quelques décennies plus tôt.
Dans un deuxième temps, une partie de ce grand nombre d’actifs dépasse les 60 ans, âge de la retraite pour les hommes (55 ans pour les femmes), tandis que la baisse des naissances (1,3 enfant par femme seulement) diminue la proportion des actifs des moins de 30 ans, et donc celle des moins de 40 ans dans 10 ans.
Actuellement, le pays est dans une situation intermédiaire, seulement moyennement dégradée avec 70% de sa population en âge de travailler, contre 60% en Europe. Mais c’est provisoire puisqu’en 2050 la Chine connaitra 250 millions d’actifs en moins par rapport à aujourd’hui. Et cela pour faire face à 24% de personnes âgées contre 7% aujourd’hui.
Un autre facteur plombe la fécondité malgré la fin de politique de l’enfant unique : le manque de femmes. Aujourd’hui il y’a 104 hommes pour 100 femmes, du fait d’avortements visant les filles lors de la politique de l’enfant unique.
Et le phénomène perdure malgré la fin de cette politique, car une famille sur deux ne prévoit qu’un seul enfant du fait du coût de l’éducation et du logement. Or comme c’est le garçon qui s’occupera des parents, ils ont recours aux avortements sélectifs, auxquels s’ajoute une forte mortalité des filles, qui sont souvent négligées, puisque destinées à soutenir une autre famille.
Sur ce problème, je vous conseille mon article sur la Corée du Sud, pays soumis à des problèmes analogues, mais où l’on est libre de faire des études démographiques poussées.
Le régime chinois semble n’avoir découvert ce gigantesque problème qu’en 2022 à l’occasion du dernier recensement, et tente de réagir par une politique nataliste, sans résultat pour l’instant. De toute façon, quand bien même elle serait efficace que ça ne changerait leur pyramide des âges que progressivement de 2040 à 2080 !
Une percée géopolitique qui s’étiole
Après l’ouverture de la Chine, réussie sous Deng Xiaoping et continuée par ses successeurs, Xi renoue avec une tradition maoïste d’isolement du pays face à l’Occident et sa morale présentée comme « décadente ». L’épisode le plus remarquable a été celui des « loups combattants », ces diplomates injuriant le pays hôte. Cela a nui à l’image de la Chine et on constate un retour à une diplomatie plus classique.
Au-delà des moyens employés, l’objectif est maintenant de créer un nouvel ordre mondial, qui ne serait plus dominé par l’Occident, en cherchant à dialoguer avec les pays « périphériques » : Afrique, Amérique du Sud, Europe de l’Est, Asie Centrale…
Mais après une première phase « généreuse » voyant la Chine construire des infrastructures payées à crédit, les bénéficiaires se retrouvent endettés envers la Chine, et donc dépendants. Avec de plus le désagrément de devoir céder des infrastructures, des ports par exemple, données en garantie.
Ce piège de la dette chinoise est une des causes du rejet des Chinois par les populations, au Sri Lanka par exemple.
La Chine n’est donc plus aujourd’hui le sauveur qu’elle prétendait être. À cela s’ajoute un mépris des populations locales qui rappelle de mauvais souvenirs coloniaux. Le démarrage en fanfare en Afrique est ainsi menacé.
Mais, si la base grogne, la plupart de leurs gouvernants restent pro-Chinois, pour des raisons financières pratiques. En effet, les entreprises chinoises ne souffrent pas des mêmes contraintes légales anti-corruption que les entreprises occidentales, qui risquent un procès dans leur État de droit, et sont ainsi moins « attractives » pour les gouvernants corrompus.
Enfin, l’image de la Chine s’est dégradée depuis quelques années, notamment en Occident, dont la Chine dépend pourtant pour beaucoup de matériaux ou matériels indispensables, et comme marché pour ses exportations.
Ces difficultés chinoises sur le plan international sont aggravées par la question taïwanaise, sur laquelle Pékin proclame que la réunification se fera au besoin par la force. Or, toute intervention militaire de la Chine entrainerait des conséquences imprévisibles.
L’émission de gaz à effet de serre et la pollution
C’est un problème aigu en interne, mais également à l’international.
En interne, la pollution atmosphérique est un gros sujet de mécontentement. Les industries polluantes qui entouraient Pékin et lui cachaient le soleil ont été éloignées, mais pas fermées.
La Chine consomme autant de charbon en un jour que la France en un an, et représente 52% de la consommation mondiale de charbon en 2020.
La pollution de l’eau, empoisonnée par les déchets industriels et domestiques, est un danger direct pour la population et dégrade la production agricole. Les riches chinois préfèrent acheter leur nourriture à l’étranger.
À l’international, le fait que la Chine soit devenue le premier pollueur mondial en termes annuels avant les États-Unis dégrade également son image.
Certes, la Chine répond qu’en cumulé depuis le début de la révolution industrielle, les États-Unis restent en tête. Mais ce qui compte dans l’esprit des écologistes c’est bien la contribution actuelle, puisqu’on ne peut pas changer celle du passé.
Or la Chine continue à polluer chaque jour davantage, alors que les pays occidentaux continuent à croître, certes plus modérément que la Chine jusqu’à présent, mais tout en faisant néanmoins baisser leurs émissions.
Comme les autres pays du Sud, la Chine répond que son développement nécessite la consommation des ressources naturelles : charbon, pétrole, gaz, bois, eau … et que les pays occidentaux ont beau jeu de faire la morale alors qu’ils sont développés.
L’orgueil chinois bute sur sa dépendance envers l’étranger
L’économie chinoise, comme nous l’avons vu, dépend du reste du monde. Ce qui nécessite des relations commerciales et politiques avec l’extérieur, et est contradictoire avec une diplomatie agressive.
On remarque déjà une baisse sensible des investissements de certains grands groupes comme Apple ou Google, qui délocalisent certains de leurs centres de production vers d’autres pays d’Asie du Sud-Est, l’Inde ou le Mexique.
Et ça ne concerne pas que les entreprises américaines : 23% des entreprises européennes sont en train de réfléchir à transférer leurs activités et leurs projets d’investissements hors de Chine.
Dans les deux cas, les entreprises n’apprécient pas la politique intérieure chinoise, qui vise un contrôle total des vies individuelles et des entreprises.
Pour les pays occidentaux, ce n’est plus simplement une question souvent annexe concernant les droits de l’homme, mais une véritable menace pour le fonctionnement de leurs forces vives, les entreprises.
La dette publique et privée
La Chine est un pays profondément endetté, surtout si on tient compte de sa dette invisible.
Cette dernière correspond au classement discret de dettes contractées en contrepartie de dépenses d’infrastructures, dettes qui ne seront jamais remboursées si les infrastructures en question se révèlent non rentables. Ces dettes resteront à la charge des banques ou des collectivités locales, voire du gouvernement.
Cette tentation de multiplier les infrastructures est d’autant plus forte qu’elle gonfle les chiffres de croissance, ce qui est bon pour la carrière des autorités locales, et pour l’image de la Chine à l’étranger. À cela s’ajoute le « capitalisme de connivence » : certaines infrastructures sont lancées par « copinage » (politique et en général financier) et non pour des raisons d’utilité économique.
C’est le cas des créations d’autoroutes ou de TGV non indispensables… et surtout du logement, problème mieux connu parce qu’il touche un très grand nombre de Chinois.
On lance la construction de logements qui ne seront jamais habités, d’une part pour des raisons démographiques puisqu’il n’y aura pas assez de jeunes ménages, d’autre part parce qu’il s’agit d’une spéculation : on achète sur plan un logement dont on n’a pas besoin, en espérant le revendre avec un bénéfice plus tard… et on réalise aujourd’hui qu’il n’aura pas forcément d’acheteurs !
La plus grande faillite est celle du promoteur Evergrande. Il y en a de multiples autres, sans parler de ce qui est dénoué discrètement sans que la dette n’apparaisse dans les statistiques nationales.
Le total des dettes chinoises connues, intérieures et extérieures, est de l’ordre de 40 000 milliards de dollars, soit 15% des dettes mondiales.
Seuls les États-Unis seraient davantage endettés, mais ce n’est pas un souci pour eux tant que le dollar n’est pas contesté.
En conclusion, une addition de problèmes qui rendent l’avenir imprévisible
Les optimistes pensent que tout cela obligera le régime à évoluer dans le bon sens, d’un point de vue occidental du moins. Les pessimistes, se fondant sur l’exemple de l’Iran, de la Russie et de bien d’autres estiment que la surveillance et la répression maintiendront le régime en place.
Les sinologues donnent raison aux pessimistes en rappelant que le peuple chinois est élevé à révérer le pouvoir et à s’y soumettre.
À mon avis, d’une manière ou d’une autre, les problèmes que nous venons d’évoquer auront d’importantes répercussions sur l’économie.
La Chine pourrait devenir une sorte d’URSS : tout pour l’armée, rien pour le peuple.
La décennie qui vient verra l’orgueil chinois être sévèrement atteint. Les répercussions politiques sont imprévisibles, et peuvent aller jusqu’au déclenchement d’une guerre pour masquer les problèmes.
Cet article a été initialement publié sur le site d’Yves Montenay.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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