Pas de 35 heures, de weekend ou de vacances… En travaillant sept jours sur sept, avec des journées à rallonge et un rythme épuisant, nombre d’agriculteurs ne gagnent même pas l’équivalent d’un Smic, voire flirtent avec le seuil de pauvreté.
Selon l’Insee, près d’un ménage agricole sur cinq vit sous ce seuil (1737 euros pour un couple sans enfant en 2021), les agriculteurs déclarent en fin de compte un temps de travail hebdomadaire bien supérieur à celui de l’ensemble des personnes en emploi : en 2019, pour leur emploi principal, ils ont déclaré une durée habituelle hebdomadaire de travail de 55 heures en moyenne, contre 37 heures pour l’ensemble des personnes en emploi (+ 49 %). De plus, du fait d’un nombre réduit de congés, leur durée annuelle effective excède encore plus celle de l’ensemble des personnes en emploi (+ 65 %). Les revenus agricoles ne représentent que 34% du total des revenus disponibles des ménages agricoles, les agriculteurs maintiennent donc souvent leur niveau de vie grâce à leur conjoint salarié.
Des exploitants qui peinent à joindre les deux bouts
Élevée à la campagne en Argentine entre vaches et chevaux, Elizabeth Miorin n’envisageait pas de travailler entre quatre murs. Devenue agricultrice bio à Villaudric (Haute-Garonne), « une liberté très chère payée », cette maraîchère de 51 ans cherche une voie alternative ou complémentaire à son activité qui lui rapporte moins de 700 euros par mois. « Ça fait 14 ans que je galère, je travaille comme un tracteur, des heures à genoux dans le froid ou la chaleur extrême. L’été, il fait parfois 50 degrés dans la serre. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir », témoigne-t-elle. « Je n’ai pas vu mes enfants grandir, on ne prenait même pas de weekends car je faisais les marchés. C’est beaucoup de sacrifices pour pas grand-chose », poursuit l’agricultrice qui n’a pas de loyer à payer et vit notamment grâce au salaire de son mari, manutentionnaire et entraîneur de rugby. Ses légumes, cultivés dans une serre de 2000 m2 et un champ de 4000 m2, elle les vend exclusivement sur un marché toulousain. « Les cinq premières années je ne gagnais quasiment rien », se souvient-elle. Ses dettes remboursées, elle veut lever le pied sur le maraîchage. « Je travaille sur un projet de gîtes à la ferme et je me forme en parallèle pour travailler avec les chevaux et faire de l’équithérapie. « Dans l’agriculture, « on pousse les gens à surinvestir, à produire toujours davantage. C’est un cercle vicieux dans lequel j’essaie de ne pas tomber ».
Installé à Saint-Just-Ibarre, dans les montagnes basques, Beñet Etcheto, 41 ans, a repris en 2005 l’exploitation d’un grand-oncle. Il y élève plus de 200 brebis laitières et une vingtaine de Blondes d’Aquitaine. Il vend environ 1,37 euros le litre de lait à une coopérative qui produit du fromage AOP Ossau-Iraty. « Je gagnerais bien plus en produisant moi-même mon fromage mais avec la surcharge de travail que j’ai, c’est impossible », explique-t-il. Ce père de deux enfants, qui fait des journées de plus de 10 heures, vend également une dizaine de veaux par an. En remboursant annuellement quelque 19.000 euros de crédit pour des investissements sur sa « petite exploitation », il lui reste à peine l’équivalent d’un Smic pour vivre, en plus du salaire d’enseignante de sa compagne. « On a subi de plein fouet l’inflation. On vit avec pas grand-chose, on essaie d’être au maximum autonome au niveau de l’alimentation. On a notre lait, notre viande, notre jardin, on n’achète quasiment rien », explique-t-il. « Ça fait trois ans que je fais une très mauvaise saison.
Une année de plus comme ça et j’arrête », tranche Angélina Turani, apicultrice à Brouqueyran (Gironde) depuis neuf ans. Avec près de 400 ruches et des journées de travail pouvant s’étendre de 04H00 à 22H00, il ne reste qu' »entre 7000 et 10.000 euros par an pour vivre » à l’apicultrice de 34 ans. Soit entre 580 et 830 euros mensuels. Sans le salaire de son compagnon, employé dans un abattoir, la jeune mère de famille ne s’en sortirait pas. « Qui accepte ça ? Le problème c’est que c’est un métier passion, qui se transmet de génération en génération, ce n’est que pour ça qu’on continue », estime celle qui a suivi les traces de son père. Elle vend son or jaune à un négociant, qui fixe lui-même le prix : entre quatre et huit euros le kilo. Vendu ensuite au consommateur à environ 20 euros le kilo. « Pour m’en sortir, il faudrait que je puisse vendre mon miel à 12 euros le kilo ». « Mon père m’a dit l’autre jour: Je n’aurais jamais dû t’installer, tu aurais dû rester ouvrière. C’est triste, ça me donne envie de pleurer », confie Angélina Turani.
Pour Émilie Chauvin, agricultrice à Guémené-Penfao : »Les gens se font une idée utopique et idéaliste du métier d’agriculteur, alors que c’est un métier fatigant et physique ». « On manque de personnel. On a du mal à recruter et à garder les employés, car il y a un manque de motivation. On nous dit souvent qu’on a accès à des aides, mais il faut monter des dossiers et c’est complexe ». « Le but est de simplifier le travail et d’être totalement autonome ».
La galère des jeunes agriculteurs pour acheter une exploitation
Anthony Martaux et Alicia Dabrio vivent à Salles en Gironde avec des emplois « d’attente » pour payer les factures : lui dans les transports, et elle dans le secteur hospitalier. Tous deux ont des formations agricoles et voudraient s’installer à leur compte. « On a trouvé en février dernier une exploitation laitière de 90 vaches, et quarante vaches Limousine pour la viande, à Saint-Félix-de-Boudeilles, en Dordogne. Elle appartient à un agriculteur de 63 ans qui veut prendre sa retraite », explique le couple dans un reportage France3région. Il leur faudrait 450.000 euros pour acheter l’exploitation et deux banques sollicitées leur ont refusé le prêt : pas de garantie, avenir incertain, prix du lait instable, hauteur du prêt accordé à seulement 270.000 euros…
Des prix de vente en décalages des coûts
Les prix de vente des agriculteurs suivent difficilement la hausse des coûts. L’inflation sur les achats des agriculteurs (engrais, carburant, matériel agricole) a dépassé 25% à la mi-2022 en glissement annuel, du fait notamment de l’envolée des prix de l’énergie.
Concurrents dans les magasins, les groupes de la grande distribution alimentaire deviennent partenaires lorsqu’il s’agit de discuter des conditions financières avec les fournisseurs. Leurs centrales d’achat basées à l’étranger sont aujourd’hui au cœur de la colère des agriculteurs français, victimes en bout de chaîne de la pression concurrentielle. Progressivement, les alliances entre enseignes se sont nouées et dénouées avant de se délocaliser progressivement à l’étranger, avec l’objectif d’acheter moins cher grâce à des quantités plus importantes.
De fortes pressions à la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture
Les agriculteurs comptent maintenir la pression jusqu’à l’ouverture du Salon de l’agriculture samedi. Moins de trois semaines après la levée des blocages, cette semaine s’annonce cruciale pour le mouvement. Les agriculteurs attendent de nouveaux arbitrages particulièrement sur le revenu paysan, les pesticides ou les accords de libre-échange. Gabriel Attal doit tenir une nouvelle conférence de presse mercredi.
Les agriculteurs sont « prêts à repartir à l’action » si les réponses ne sont « pas au niveau des attentes, qui sont très fortes », telle est la mise en garde du patron de la puissante FNSEA, qui attend des détails concrets sur « le grand plan Elevage » promis par le gouvernement.
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