29 mai 1914. Une nuit d’encre pèse sur le fleuve Saint-Laurent. Vers 1h30, l’Empress of Ireland, un luxueux transatlantique en route vers Liverpool, ralentit à hauteur de Pointe-au-Père pour y descendre le pilote qui a guidé le navire depuis Québec. Le paquebot reprend alors sa route vers l’océan.
Une dizaine de minutes plus tard, la vigie signale sur la droite un bateau qui remonte le fleuve vers l’ouest. Soudain, un banc de brouillard noie la pénombre d’un voile opaque. Les deux navires signalent leurs manœuvres respectives par des coups de sirène qui résonnent dans la nuit, trop proches l’un de l’autre.
Lorsque les feux de tête de mât du Storstad, un charbonnier norvégien, percent la brume, il est trop tard pour éviter l’impact : un bruit de tôles froissées, quelques étincelles, une légère secousse mais un trou béant dans le flanc de l’Empress par où s’engouffrent plus de 265 tonnes d’eau à la seconde. C’est cette même eau glacée qui réveille les passagers encore endormis dans leurs cabines. Dix minutes plus tard, le paquebot bascule et se couche. Ses cheminées percutent l’eau avec fracas. La majorité des passagers sont pris au piège. Le navire s’enfonce inexorablement dans les eaux sombres du St-Laurent avant de disparaître dans un grand tourbillon. Quatorze minutes à peine se sont écoulées depuis la collision. Sur 1 477 personnes embarquées, 1 012 périssent dans ce tragique accident.
Mer ou fleuve ?
Cette tragédie est maintenue vivante au musée de la Mer, situé au pied du phare de Pointe-au-Père mais aussi au tout nouveau Centre national des Naufrages du Saint-Laurent, à Baie-Trinité, sur la côte Nord. En effet, même s’il paraît paisible dans son étendue majestueuse, le fleuve abrite un impressionnant cimetière marin de centaines d’épaves. Ce nombre étourdissant de naufrages rappelle que le Saint-Laurent, qui change de direction toutes les six heures et s’écoule ainsi dans les deux sens, ne se laisse pas aisément apprivoiser.
Le patrimoine marin englouti dans les entrailles du Saint-Laurent est intimement lié à l’histoire du Nouveau Monde. Pendant des siècles, ses eaux extrêmement poissonneuses ont attiré les marins européens : Basques, Écossais, Irlandais, Bretons, Normands, Jersiais, … Une mosaïque ethnique qui a marqué dans sa diversité l’architecture des petits villages côtiers de la péninsule gaspésienne. Le Saint-Laurent était aussi la voie royale pour pénétrer les vastes territoires encore inconnus de l’Amérique. De nombreux aventuriers se sont lancés à leur tour sur les eaux du fleuve, prêts à risquer leur vie pour être les premiers à fouler le sol de l’Eldorado.
Les récits consignés par les gardiens des phares parsemés le long des côtes attestent de l’implacable caractère du fleuve et des drames qui s’y sont déroulés à toutes les époques. Voyager aujourd’hui d’un phare à l’autre en suivant les deux rives du Saint-Laurent, c’est remonter le temps à la rencontre de l’histoire insolite de leurs gardiens qui ont guidé dans la nuit et le brouillard ces marins et ces hommes qui osaient affronter l’eau à la recherche d’une vie meilleure.
Des moulins à lumière
L’histoire des phares du Québec commence en 1809, sur l’île Verte, à l’embouchure du Saguenay, plaque tournante du commerce entre le Nord et le Sud. À l’époque, l’éclairage était assuré par des lampes que le gardien alimentait durant toute la nuit à l’huile de phoque. Une nuit passée dans la maison du gardien suffit pour comprendre que les qualités requises pour assumer la garde d’un phare reposaient sur un sens aigu des responsabilités, le courage d’affronter la solitude et l’acceptation de conditions de vie spartiates. Aujourd’hui, l’isolement du phare, véritable balcon avec vue sur le fleuve, fascine les citadins trop heureux de déambuler à pied ou en bicyclette entre les bois et les prés salés où, en été, des agneaux paissent à deux pas des canards, des oies blanches et des phoques.
Le second phare du Québec, érigé en 1830, a échappé à la démolition grâce à l’obstination des derniers gardiens qui y ont créé un petit musée dédié à l’héritage maritime du Québec. Colonne blanche barrée de bandes rouges, le phare de Pointe-des-Monts se dresse sur la côte Nord, là où le fleuve devient mer. Escalader l’escalier de pierre en colimaçon qui relie les sept étages de la tour, c’est poser ses pas sur ceux des anciens gardiens : de vieux registres, une tasse émaillée, un fauteuil à bascule, quelques outils, autant de souvenirs émouvants dans leur simplicité d’un passé révolu. Comme à l’île Verte, la maison du gardien accueille les visiteurs d’une nuit, hantée par le claquement des vagues qui s’écrasent sur les rochers et par les hurlements du vent qui s’enroule autour de la vielle tour.
Territoire de plénitude
C’est en Gaspésie que la chaîne des Appalaches s’en vient finir son parcours tout au long du continent nord-américain depuis le golfe du Mexique. Partout la montagne semble tomber à pic dans la mer et les villages côtiers n’ont souvent que le débouché d’une rivière et quelques arpents de grève pour pouvoir aligner leurs maisons. À l’intérieur des terres, la forêt est omniprésente, piquetée de lacs et sillonnée de rivières tumultueuses et poissonneuses.
La plupart des villages offrent en raccourci ce que la Gaspésie peut proposer à ses visiteurs : un petit port de pêche, une rade où les voiles tranchent sur le bleu du ciel, une rivière rapide avec une passe migratoire pour permettre aux saumons de franchir le seuil d’un barrage, des maisons de bois peintes de couleurs vives, quelques champs en damier, et un phare, ligne de vie de bien des marins. Ce n’est pas pour rien que l’été québécois est une histoire d’eau !
Depuis quelques années, les phares ont succombé à l’automatisation et au modernisme. Mais ils ont conservé dans l’imaginaire collectif une valeur symbolique de porteurs de lumière et restent les derniers témoins de la conquête du continent. Aujourd’hui, le phare de Pointe-à-la-Renommée qui fut la première station radio-maritime en Amérique du Nord est un lieu d’excursion idyllique. Un jardin pentu, quelques bancs de bois, une maison du gardien reconvertie en musée et une haute tour rouge dont les feux scintillent encore sur les eaux miroitantes du golfe.
La route qui longe la côte offre de multiples vues imprenables sur le golfe. Des sentiers pédestres courent à flanc de falaises, ralliant les anses ourlées de galets où se vautrent des tribus de phoques. Les maisons colorées, en bardeaux de cèdre, serrées autour de leur église, font face au vent du large. Quand on voyage au cœur de ce décor sauvage et authentique, on ne peut qu’être ébloui par tant de pureté et de grandeur.
Christiane Goor, journaliste. Charles Mahaux, photographe. Un couple, deux expressions complémentaires, ils fixent l’instant et le racontent. Leur passion, ils la mettent au service du voyage, de la rencontre
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