L’héritage de Voltaire et le diable dans la démocratie

Par William Brooks
29 avril 2022 23:25 Mis à jour: 30 avril 2022 18:59

En ce qui concerne le mépris libéral actuel pour les mouvements de masse du genre du « Convoi de la liberté » au Canada ou de « Rendre sa grandeur à l’Amérique » aux États-Unis, on ne peut s’empêcher de penser à la culture révolutionnaire de la France du XVIIIe siècle.

On peut se rappeler que le philosophe révolutionnaire français François-Marie Arouet, qui écrivait sous le nom de plume de Voltaire, était considéré comme un champion des principes « libéraux » à l’époque des Lumières. Il était surtout connu pour son animosité envers l’Église chrétienne. Dans une lettre adressée en 1767 à Frédéric II, roi de Prusse, il a écrit au sujet du christianisme occidental : « La nôtre [religion] est sans contredit la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde. »

Écrasez l’infâme

Tout au long du XVIIIe siècle, Voltaire a mené une campagne féroce contre la tradition spirituelle judéo-chrétienne. Il a écrit des centaines d’essais, de poèmes et de pièces de théâtre vantant la suprématie de la raison sur le pouvoir de la foi. Il a appelé à un despotisme intellectuel bienveillant pour remplacer l’influence de l’Église catholique.

Son cri de ralliement, qu’il utilisait en conclusion de ses lettres, était « Écrasez l’infâme ». « L’infâme » désignait les personnes considérées comme infâmes, ignobles ou viles. Cette « canaille » et sa « superstition » religieuse provoquaient l’indignation de Voltaire.

Dans la même lettre à Frédéric II, il a écrit : « Votre Majesté rendra un service éternel au genre humain en détruisant cette infâme superstition, je ne dis pas chez la canaille, qui n’est pas digne d’être éclairée, et à laquelle tous les jougs sont propres ; je dis chez les honnêtes gens, chez les hommes qui pensent, chez ceux qui veulent penser… »

En d’autres termes, chez les gens comme Voltaire, qui n’avaient guère de pitié pour ceux qui ne se conformaient pas à ses opinions « éclairées ».

Voltaire admirait les philosophes britanniques libéraux tels que Francis Bacon et John Locke, et se disait favorable à la libre pensée. Mais il nourrissait un profond mépris pour tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. « Ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités, écrivait-il, peuvent vous faire commettre des atrocités. » Son incitation à « écraser » l’opposition a inspiré des générations de jacobins et de marxistes violents qui ont suivi son sillage.

Aujourd’hui encore, les héritiers libéraux de Voltaire comme, par exemple, Barack Obama, Hilary Clinton et Joe Biden en Amérique, qualifient leurs opposants traditionalistes et conservateurs de « déplorables » et de « rebuts de la société ». Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, cet héritier de Voltaire, a instinctivement qualifié les partisans du « Convoi de la liberté » de fascistes et de racistes pour avoir résisté aux vaccinations imposées par son gouvernement.

Les tendances totalitaires dans la démocratie libérale

La plupart des historiens raisonnables conviendraient que, au cours des cent dernières années, « les grandes lignes » de la pensée de Voltaire se sont perpétuées dans les dictatures despotiques et les régimes communistes du monde entier.

Plus inquiétant, cependant, a été le fait que les libéraux occidentaux contemporains, considérés comme des partisans dévoués de la démocratie, ont montré une affinité particulière pour les régimes communistes qui s’inspirent de la ligne directrice de guerre idéologique menée par Voltaire.

Dans leur guerre inlassable contre la culture traditionnelle et la religion, les libéraux modernes ne sont pas disposés à faire des compromis avec quiconque en dehors de leurs cercles intellectuels marqués par l’idéologie woke. Ils mettent en avant toute une série de concepts nébuleux tels que l’équité, la diversité, l’inclusion, la durabilité, la justice sociale, etc., et s’en servent comme excuse pour renforcer leurs positions idéologiques de plus en plus inflexibles.

Ces libéraux revendiquent les vertus de la « tolérance » et de la « modération » alors qu’ils imposent impitoyablement une culture libertine aux citoyens non consentants. Ils ne peuvent tout simplement pas laisser les autres en paix.

Le cas de Ryszard Legutko

Le philosophe polonais Ryszard Legutko a vécu comme un dissident sous le régime communiste de style soviétique pendant des décennies. Il s’est battu dans les rangs du mouvement anticommuniste polonais pour abolir ce régime. Ayant passé les dernières décennies de sa vie proche des libéraux-démocrates européens en tant que député du Parlement européen, il est arrivé à la conclusion que le libéralisme moderne et le communisme ont plus en commun qu’on ne pourrait le croire.

Évoquant la « tentation totalitaire » de la démocratie libérale, Legutko souligne que le libéralisme et le marxisme ont les mêmes racines historiques. Les deux idéologies contiennent des visions similaires sur l’histoire, la société, la religion, la politique, la culture et la nature humaine.

Dans son livre de 2014 Le diable dans la démocratie : tentations totalitaires au cœur des sociétés libres, Legutko a examiné les objectifs communs des deux systèmes politiques. Il explique comment la démocratie libérale a, au fil du temps, évolué vers les mêmes objectifs que le communisme.

Les deux systèmes, précise-t-il, conduisent le citoyen ordinaire à croire qu’il devrait être libéré des obligations de la famille, de la nation, de la tradition et de la croyance.

Ni l’homme communiste ni l’homme libéral-démocrate ne reconnaît de valeurs en dehors de lui-même ou du cadre politique qu’il a choisi. Et tous deux refusent d’accepter toute critique de leur position politique.

À l’époque, explique Ryszard Legutko, lorsqu’il habitait dans un pays du bloc soviétique, il considérait l’Occident comme le meilleur des mondes possibles. Il considérait les sympathies pro-communistes des sociétés occidentales comme des écarts par rapport à la norme, comme « un accident plutôt qu’un défaut fondamental ». Toutefois, pendant la période post-communiste de son pays, il a commencé à sentir que ceux qui étaient anticommunistes sous l’ancien régime étaient désormais considérés comme une menace pour la démocratie libérale.

Les communistes polonais, poursuit Legutko, ont détruit les archives contenant les preuves de leurs actions néfastes commises à l’époque soviétique et « se sont empressés de s’associer à la nouvelle élite politique et économique ». Les anticommunistes, comme Legutko, étaient traités avec un degré énorme de suspicion.

La nouvelle élite politique polonaise « a accueilli les communistes avec une hospitalité impressionnante », écrit-il. Elle prétendait que les anciens communistes deviendraient « des joueurs loyaux et enthousiastes dans le jeu libéral-démocrate ». Une attitude similaire dans la Fédération de Russie nouvellement formée a fini par produire un leadership politique sous la forme de celui de Vladimir Poutine.

Ryszard Legutko indique que nous reproduisons aujourd’hui l’idée de Jean-Jacques Rousseau – l’idée qu’un gouvernement efficace doit forcer les individus à être libres en les soumettant à la « volonté générale ». Cela conduit à la haine obsessionnelle que l’on entend dans le langage des politiques d’identité. Elle détruit les liens historiques entre les citoyens, vulgarise leur environnement culturel et sape la moralité.

Le libéralisme ne donne plus aux gens un sentiment de liberté individuelle. En dépit de propos libéraux passionnés et de revendications sans fin de divers droits, les êtres humains ordinaires soupçonnent qu’ils sont forcés de jouer dans une pièce écrite et mise en scène par un auteur qui leur est hostile. Le drame n’est pas ancré dans la réalité et ne correspond pas à leur vie réelle.

Bien que les « conservateurs » aient des choix à proposer, ils se voient interdire de le faire par de puissantes agences mondiales. Les intellectuels « établis » dans les démocraties libérales et les régimes communistes utilisent la même politique. Ils ne sont jamais intéressés par une opinion alternative. Ils sont convaincus que les « conservateurs », les « populistes » et les « nationalistes » sont malveillants et refusent donc de leur faire face.

Est-ce que l’Occident peut se sauver lui-même ?

Les élites progressistes continuent à donner le ton dans les institutions les plus prestigieuses de l’Occident. Les penseurs et les enseignants traditionalistes et conservateurs, qui critiquent ouvertement le communisme, continuent d’être considérés avec mépris par leurs homologues libéraux, que Ryszard Legutko qualifie « d’anti-anticommunistes ».

Pour changer le climat intellectuel étouffant de l’Occident, il faudra toute une vie de dévouement et de courage à la cohorte de jeunes diplômés qui osent se désolidariser des universitaires progressistes. La tactique de « Écrasez l’infâme » doit être remplacée par un débat vigoureux et un discours civique ouvert.

Toutefois, depuis 2016, le vent du changement s’est levé. En dehors des limites des universités prestigieuses et des classes urbaines aisées, les gens ordinaires refusent de plus en plus d’être écrasés.

L’élection imprévue de Donald Trump, le mouvement britannique du Brexit, le soutien populaire au Convoi de la liberté canadien, la réélection de Viktor Orbán en Hongrie et l’énorme courage des Ukrainiens épris de liberté sont autant de signes que les hommes et les femmes ordinaires ne veulent pas renoncer à leur héritage culturel traditionnel et légitime.

Un autre événement inattendu s’est produit tout récemment : Elon Musk a acheté Twitter. L’homme d’affaires milliardaire promet de devenir un champion de la liberté d’expression en Occident.

Si nous pouvons retrouver la liberté de former nos propres opinions et d’en parler ouvertement sans crainte d’être censurés ou persécutés, nous pourrons peut-être démanteler les barrières de communication qui menacent la survie de notre civilisation.

William Brooks est un écrivain canadien qui contribue à Epoch Times de la ville de Halifax. Il fait également partie du comité consultatif de rédaction de « The Civil Conversation » pour la société Civitas du Canada.

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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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