En prenant la succession de la superstar Usain Bolt sur le trône mondial du 100 m, le repenti Justin Gatlin, suspendu pour dopage entre 2006 et 2010, a jeté un froid sur le monde de l’athlétisme qui rêvait d’un autre passage de témoin pour redorer une image ternie par les scandales.
Une victoire au goût amer de dopage
Les sifflets du public londonien qui ont accompagné samedi la victoire de l’Américain de 35 ans témoignent du trouble et du malaise causés par sa résurrection, celle d’un sprinteur rattrapé par la patrouille de l’antidopage à deux reprises durant sa longue carrière (pour usage d’amphétamines en 2001, de testostérone en 2006).
Les adieux de Bolt, champion d’exception au CV sans tâche ni soupçon, étaient censés ouvrir une nouvelle ère et être l’occasion de découvrir une génération vierge de toute polémique. C’est le visage d’un homme associé aux pires heures de la discipline qui est désormais en haut de l’affiche.
Alors que l’athlétisme n’en finit pas de gérer les conséquences du rapport McLaren, qui a révélé un vaste système de dopage institutionnalisé en Russie et abouti à la suspension du pays par la Fédération internationale (IAAF) en novembre 2015, le succès du sulfureux Gatlin dans l’épreuve-reine n’est pas la meilleure publicité pour le premier sport olympique.
Le président de l’IAAF Sebastian Coe n’a d’ailleurs pas caché dimanche sur la BBC que voir l’Américain s’imposer ne constituait pas « le scénario idéal », réitérant son soutien aux suspensions à vie.
Un « bad boy » repenti
Signe d’une tension palpable, une partie de la conférence de presse qui a suivi le 2e sacre mondial de Gatlin (après 2005) avait déjà tourné samedi soir autour de la question du dopage, ce qui a eu le don d’agacer aussi bien l’Américain que Bolt.
« Qu’est-ce qui justifie qu’on me traite de « bad boy »? Est-ce que je vous ai un jour mal parlé? Ai-je eu un mauvais comportement? J’ai toujours serré la main de mes adversaires, je les ai toujours félicités. Les médias à sensation ont fait de moi un « bad boy » et d’Usain un héros. OK. Mais je ne sais pas d’où viennent ces accusations de « bad boy ». J’ai été puni, mais maintenant je suis propre », a déclaré un Gatlin visiblement très énervé.
Bolt, au sourire légendaire, s’est lui aussi emporté quand une journaliste a demandé si les chronos moins rapides constatés cette année sur la ligne droite étaient dus au renforcement de la lutte antidopage. « Je trouve ça très irrespectueux », a lancé le recordman du monde du 100 m (9 sec 58) et du 200 m (19 sec 19). Le climat d’après-course prouve en tout cas que l’embarras est réel après le titre du vétéran américain.
« Ce n’est pas Gatlin qui est à blâmer mais les institutions qui nous dirigent, le Comité international olympique et l’IAAF, qui pour l’instant permettent à des individus qui ont triché, et pas seulement une fois, de pouvoir s’aligner dans un grand championnat, tels les Mondiaux ou les JO », a estimé Guy Ontanon, entraîneur français spécialiste du sprint, interrogé par l’AFP. « Je m’interrogerai toujours tant qu’on n’aura pas des réponses fermes et définitives du milieu scientifique nous disant que, après arrêt de certains produits, on perd le bénéfice de ces produits. » « Aujourd’hui avec les stéroïdes anabolisants, on garde le profit musculaire et une mémoire musculaire, ça me gêne un peu, a-t-il ajouté. Quand on lit la charte olympique, je trouve grotesque que des gens dopés puissent se réaligner aux Jeux Olympiques. Cela ternit l’image du sport en général. »
D’un point de vue strictement « business », les argentiers de l’IAAF ont toutefois de quoi se frotter les mains. Avec la première place de Gatlin et l’avènement de son compatriote Christian Coleman, 2e à seulement 21 ans, ce sont les Etats-Unis et leur grand marché qui sont « de retour au sommet », comme s’est félicité sur Twitter l’ancienne vedette du sprint Carl Lewis. A quatre ans des premiers Mondiaux organisés dans le pays, à Eugene, ville d’origine et siège de l’équipementier Nike.
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