Mort naturelle : « l’ultime liberté » de rendre son dernier souffle seul ou accompagné

Par Nathalie Dieul
17 mars 2025 14:24 Mis à jour: 17 mars 2025 15:01

Alors que 75 % des familles reçues en Unités de soins palliatifs veulent être présentes au « dernier souffle » de leur proche en fin de vie, 76 % des patients décèdent sans leur famille, même ceux qui sont accompagnés plus de 8 heures par jour. Une étude a observé ce phénomène sur 600 décès consécutifs. Une autre étude menée sur 25 années montre que la mort peut être décalée de huit jours si le mourant souffrant d’une maladie chronique est animé d’un fort désir de vivre un événement particulier.

« Le jour de leur décès, trois quarts des malades choisissent devant qui ou en l’absence de qui ils s’arrêtent de respirer », explique à Epoch Times le Dr Jean-Marie Gomas, parlant des résultats d’une étude qu’il a menée au Centre douleurs soins palliatifs CHU Sainte-Périne avec la psychologue clinicienne Élodie Sales et d’autres collègues.

Le Dr Gomas, récemment retraité, est gériatre et algologue (spécialiste de la douleur). Il a été responsable d’une Unité douleurs chroniques et soins palliatifs à Sainte-Périne, ce qui lui a permis de suivre des milliers de patients en fin de vie. Il est également l’un des fondateurs du mouvement des soins palliatifs.

Au total plus de 75 % semblent ‘contrôler’ la présence au dernier souffle.
—  Étude sur la présence de la famille au dernier souffle du malade en USP, Gomas J-M, Sales E. et coll.

Les conclusions de l’étude sur 600 décès consécutifs, qui ont été communiquées au congrès national de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) en 2015, sont sans appel : « Tout se passe ‘comme si’ la majorité des patients gardaient la maitrise de leur dernier souffle ».

« Au total plus de 75 % semblent ‘contrôler’ la présence au dernier souffle en semblant préférer être seul (67 %), ou au contraire en attendant une visite particulière parmi d’autres visites, ou quelqu’un alors qu’ils sont isolés (8 %) », conclut l’étude.

Même dans une unité de soins palliatifs telle que celle où travaillait le Dr Gomas, où tout est fait pour faciliter la présence des proches, ces derniers ne sont présents que lors de 24 % des décès. Avec ces chiffres, l’étude assure qu’il faut continuer à encourager les proches à entourer les patients, tout en leur expliquant que le moment du dernier souffle reste au choix de ceux-ci afin d’atténuer la culpabilité de ne pas être là à ce moment précis.

Parmi les 24 % de patients accompagnés par un ou des proches, il existe deux cas de figure : d’une part, ceux qui décèdent de manière attendue lors des présences répétées et/ou de longue durée. D’autre part, ceux qui rendent leur dernier souffle de manière non hasardeuse lorsqu’ils reçoivent une visite pour la première fois ou encore lors du bref passage d’un proche quand le malade est très peu entouré (soit moins d’une heure par jour).

« Beaucoup de malades attendent qu’il n’y ait plus personne dans la chambre pour s’arrêter de respirer. »
— Dr Jean-Marie Gomas, gériatre, algologue et l’un des fondateurs du mouvement des soins palliatifs

Du côté des 76 % qui décèdent sans leur famille, la grande majorité, soit 67 % des patients, se trouvent seuls dans la pièce à ce moment-là, alors que 53 % de ce groupe ont pourtant reçu une ou plusieurs visites ce dernier jour. Un plus faible pourcentage de patients (9 %) décèdent en présence des soignants.

« Beaucoup de malades attendent qu’il n’y ait plus personne dans la chambre pour s’arrêter de respirer », commente le Dr Gomas. « Qu’il y ait des visites pendant des heures et des heures, tout le monde sort passer un coup de fil ou fumer une cigarette et pouf ! C’est à ce moment-là que le malade s’arrête de respirer, ce n’est pas un hasard. Il lâche prise en protégeant la famille du dernier souffle qui est si difficile à recevoir. »

Quant aux visiteurs particulièrement attendus qui n’étaient pas encore venus, « ce sont souvent eux qui ont le dernier souffle, ce qui n’est pas un hasard non plus », assure-t-il.

« Le dernier souffle ne se prend pas, il se donne », concluait déjà en 1999 la psychologue Michèle Legrand dans les études préparatoires à cette publication.

C’est à ce moment là que le malade s’arrête de respirer, ce n’est pas un hasard.
— Dr Jean-Marie Gomas, gériatre, algologue et l’un des fondateurs du mouvement des soins palliatifs

Lorsque la mort prend des vacances

Par ailleurs, « on a une étude importante qui a montré qu’on pouvait décaler la date de son décès de huit jours quand on attendait une date », souligne le Dr Gomas.

En effet, le gériatre cite une autre étude de très grande envergure menée à partir d’une base de données de Californie regroupant tous les décès de 1960 à 1984. Intitulée « La mort peut être différée jusqu’à un événement de portée symbolique », cette étude scientifique a été publiée en 1990 par David P. Phillips, PhD, et Daniel G. Smith, MBA.

La mortalité de la population chinoise chute de 35,1 % la semaine précédant la fête de la lune puis connaît un pic de la même ampleur (34,6 %) la semaine suivante.
— Étude « La mort peut être différée jusqu’à un événement de portée symbolique » par David P. Phillips et Daniel G. Smith

Les auteurs se sont penchés sur une fête importante du calendrier chinois, la fête de la lune, particulièrement symbolique pour les femmes âgées qui doivent présider la semaine de festivités rassemblant la famille. Généralement, la fête a lieu en septembre mais la date n’est pas fixe dans le calendrier grégorien.

Ils ont donc étudié la mortalité de cause naturelle des femmes chinoises de 75 ans ou plus en Californie et l’ont comparée à celle de deux autres groupes témoins de l’État sur une durée de 25 ans.

« La mortalité de la population chinoise chute de 35,1 % la semaine précédant la fête de la lune puis connaît un pic de la même ampleur (34,6 %) la semaine suivante », écrivent les auteurs de l’étude. « Les résultats présentés ici corroborent l’hypothèse selon laquelle certaines personnes sont capables de prolonger brièvement leur existence jusqu’à un évènement qui est important pour elles. »

Les auteurs ont envisagé différentes explications alternatives à leurs résultats, mais aucune ne convenait. Par exemple le stress ou les excès alimentaires pourraient expliquer le pic de mortalité après la fête de la lune, mais pas la chute de mortalité avant l’événement.

Cette étude fait suite à une autre réalisée par les Dr Phillips et Elliott W. King du département de sociologie de l’Université de Californie, publiée deux ans plus tôt dans The Lancet. Les deux chercheurs s’étaient penchés sur la mortalité des juifs avant et après la Pâque juive, un événement significatif seulement pour ce groupe, là aussi sans date fixe dans le calendrier grégorien.

Ils avaient conclu que « certains juifs étaient capables de prolonger brièvement leur existence jusqu’à la fin de la fête juive » et que « cette tendance est statistiquement significative ». Reproduit dans l’étude sur la fête de la lune chinoise, le résultat indique donc qu’il est fiable.

Les auteurs concluent donc que «si l’on est atteint de maladies chroniques et qu’on a une conviction profonde, on peut décaler la date de son décès de 8 jours».

Toutes ces études tendent à montrer que nous aurions plus de pouvoir sur la date et le moment de notre mort naturelle que nous le pensions. C’est également ce que nous avait témoigné récemment une infirmière après 40 ans de métier avec des exemples concrets : « On a le contrôle jusqu’au bout, c’est vraiment la personne qui décide ». Le corps et l’esprit sont bel et bien reliés.


Articles de cette série sur la fin de vie, l’euthanasie et les soins palliatifs : 

Aide à mourir : l’expérience du Québec, champion mondial de l’euthanasie

Euthanasie, aide à mourir, soin… l’importance du choix des mots et la confusion que cela entraîne dans le public

Les soins palliatifs, cet « autre chemin » qui permet d’apaiser la souffrance de la fin de vie

Accès aux soins palliatifs : « On prend un malade sur deux », explique le Dr La Piana

Soins palliatifs : la sédation profonde et continue est-elle une forme d’euthanasie ?

Dr Gomas : l’arrêt de la nutrition et hydratation artificielles en fin de vie fait-il mourir de faim et de soif ?

« Ma mère est décédée de la maladie de Charcot et je suis en colère »

Fin de vie : « On a le contrôle jusqu’au bout, c’est vraiment la personne qui décide », témoigne une infirmière après 40 ans de métier

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.