La République populaire de Chine (RPC) semble en position de force pour imposer ses vues au sein des principales organisations internationales. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) – deux instances dont l’absence de neutralité a accéléré la plus gigantesque pandémie du XXIe siècle – se trouvent déjà sous son influence. L’OACI, et trois autres agences de l’ONU sur quinze au total – l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), et l’Union internationale des télécommunications (UIT) – ont à leur tête des ressortissants chinois, soit trois de plus que n’importe quel autre pays, et sept Chinois y occupent des postes de directeurs généraux adjoints, un chiffre également record. Enfin, début avril, la RPC a intégré un important groupe consultatif du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU constitué de seulement cinq pays.
La Chine – dont il convient de rappeler qu’elle se trouve également à l’initiative de nombreuses organisations multilatérales géographiques ou sectorielles où elle pèse de tout son poids (format 17+ 1, Organisation de coopération de Shanghai (OCS), Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), etc.) pour dupliquer le système international – se montre particulièrement offensive à l’ONU, se concentrant en priorité sur les domaines qui possèdent à ses yeux une importance stratégique.
Chine/États-Unis : le match du siècle
Ironie de l’histoire, la RPC et ses pères fondateurs, Mao Zedong en tête, n’ont adhéré aux vertus du multilatéralisme et du droit international que sur le tard en évinçant d’abord leur rivale, la République de Chine (Taïwan), du Conseil de sécurité de l’ONU comme membre permanent. C’était en 1971, et avec le soutien – pour des raisons souvent divergentes – de la diplomatie française (un héritage gaullien), de pays africains fraîchement décolonisés, et des États-Unis de Richard Nixon qui souhaitaient se rapprocher de la Chine communiste pour faire contrepoids à l’Union soviétique. Cet équilibre n’est plus, et l’histoire la plus récente montre deux tendances rivales à l’œuvre opposant la Chine et les États-Unis.
D’un côté, Washington, qui dénonce l’incapacité de l’ONU tout en abondant son budget à raison de 27,9 %, s’exonère assez souvent de la caution de l’Organisation pour agir en solitaire. De l’autre, la Chine, dont la contribution aux finances onusiennes est de 15,22 %, se réclame de sa légitimité de membre permanent du Conseil de sécurité, et en même temps de celle du « plus grand pays en développement » pour rassembler autour d’elle des pays (majoritairement du tiers monde, mais pas seulement) contestant la prévalence des États-Unis et de l’Occident.
Pékin a par ailleurs mis en place un Fonds d’affectation spéciale pour la paix et le développement (Peace and Development Fund), dont l’allocation est décidée conjointement par des diplomates chinois et par le Secrétaire général des Nations unies. La RPC a ainsi acquis dans les procédures onusiennes une force qui va bien au-delà de son simple usage du droit de veto, et également au-delà de son traditionnel pouvoir d’influence à l’Assemblée générale de l’ONU, où elle était parvenue, depuis une décennie, à former plus de coalitions de vote que n’importe quel autre État membre.
Vers une sinisation des normes internationales ?
À l’ONU, la Chine utilise lobbys, menaces et sanctions, y compris au moyen de leviers budgétaires qui lui permettent par exemple de bloquer les opérations de maintien de la paix comportant des aspects de défense des droits de l’homme.
Récemment, le langage des nouvelles routes de la soie (l’initiative Belt & Road, en abrégé BRI), est entré dans de nombreuses déclarations et organisations de l’ONU, devenant un thème phare. Le chercheur François Godement souligne ainsi, dans un rapport récent de l’Institut Montaigne :
« Même le Haut-Commissaire des Nations unies pour les Réfugiés, dont les missions semblent pour le moins éloignées des enjeux des nouvelles routes de la soie, a ressenti le besoin de signer avec Pékin un Mémorandum d’action sur la BRI. »
Par ailleurs, l’attitude de la Chine à l’égard des procédures de règlement des différends et, particulièrement, vis-à-vis de l’arbitrage international a évolué à mesure que son économie s’ouvrait au commerce et aux investissements internationaux. Il semble que le courant favorable à une forme de « normalisation » progressive des pratiques chinoises par rapport à celles des partenaires étrangers monte en puissance à mesure que se renforce la position de négociation de la RPC dans ses projets ayant trait à la BRI mais aussi dans sa volonté concomitante de faire valoir des normes et des modèles originaux.
Le risque est que, à terme, seuls quelques centres constitués en Chine (par exemple, Shenzhen et Xian) auraient vocation à régler les différends sur les investissements réalisés dans le cadre du projet BRI. Dans ce processus, l’intervention de professionnels étrangers pourrait se trouver limitée à une phase amiable, la phase décisionnelle étant réservée à des arbitres chinois.
Ce qui est observable en matière de droit commercial l’est aussi dans la capacité de Pékin à imposer ses vues auprès de la communauté internationale sur les questions thématiques liées aux droits de l’homme dans le monde entier, telles que la liberté d’expression et de religion depuis que la Chine a rejoint le panel du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU. Elle peut dorénavant exercer son pouvoir d’arbitraire et de censure sur la répression des Ouïghours – dont un million croupissent dans des camps d’internement – et des dissidents nationaux comme Ren Zhiqiang… en toute légalité. Impunément, elle pourra soutenir les positions des quatre autres régimes autoritaires et non moins alliés, déjà membres du Conseil, que sont le Venezuela, le Pakistan, l’Érythrée et le Qatar. Cette stratégie globale pourrait à très court terme offrir un cadre légal à certaines opérations extérieures envisagées par Pékin. On pense à Taïwan, bien sûr, mais aussi à des pays situés en plus lointaine périphérie, africains notamment, à l’instar de l’évacuation partielle de ressortissants chinois depuis la Libye en 2011.
Préempter les institutions internationales onusiennes
La Chine, on l’a dit, est engagée dans une logique de préemption des institutions internationales, y compris les agences de l’ONU.
Qu Dongyu, ancien vice-ministre de l’Agriculture, dirige la FAO depuis juin 2019 après une bataille d’influence avec l’Europe et les États-Unis. Sa candidature a bénéficié du vote massif des États africains. La FAO produit des normes et des réglementations dans le secteur très stratégique de l’agriculture et de l’alimentation. Rappelons ici que la Chine est le premier pêcheur, le premier éleveur et le premier aquaculteur mondial, dont les besoins alimentaires ont structuré depuis 30 ans une conquête internationale dans le domaine de la pêche et de l’agriculture.
Fang Liu, ancienne dirigeante de l’aviation civile chinoise, a rejoint l’OACI en 2007. Elle en est la directrice depuis 2015 (effectuant un second mandat). L’OACI a pour rôle la standardisation du transport aéronautique international. Cette organisation produit des normes qui s’appliquent à la planète entière et supervise l’ensemble des vols quotidiens mondiaux.
Li Yong, ancien vice-ministre des Finances en Chine, dirige l’ONUDI depuis 2013 (second mandat également). Cette organisation promeut le développement industriel dans les pays en développement. C’est un relais non négligeable pour la promotion du « modèle » de développement chinois.
Enfin, Zhao Houlin, à la tête du bureau de normalisation des télécoms chinois, a intégré l’IUT en 2015. Il dirige depuis 2018 cette organisation qui est en charge de la réglementation des télécommunications dans le monde (normes, attributions de fréquences radioélectriques hertziennes, assignation d’orbites aux satellites, Internet haut-débit, navigation maritime et aéronautique, accès à Internet, etc.).
Récemment (début mars dernier), Wang Binying, l’une des candidates à la direction générale de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) (elle y est déjà vice-directrice d’un des départements), a été battue par 28 voix contre 55 par le Singapourien Daren Tang. Alors que la Chine a fait des transferts de technologies et du contournement de la propriété intellectuelle des paramètres essentiels de son ascension économique et géopolitique, la candidature d’une fonctionnaire chinoise de l’ONU à l’OMPI a impulsé une bataille diplomatique avec l’Occident, États-Unis en tête.
Enfin, un Chinois briguerait la direction du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP). Alors que la Chine n’est pas engagée militairement dans les grands dossiers de sécurité internationale, son implication dans les opérations de maintien de la paix lui permet de se renseigner, de conforter des savoir-faire, et d’augmenter son influence dans des zones sensibles du monde couvertes par les Casques bleus.
Enfin, d’autres institutions sont à suivre de très près. L’influence que la Chine peut y exercer et les enjeux stratégiques qu’elles représentent pour Pékin leur font d’elles de futurs enjeux de luttes de pouvoir : Organisation maritime internationale (OMI), Tribunaux internationaux, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), etc.
La bataille est engagée
Si le vide laissé par les États-Unis, la fragmentation au sein de l’Occident et le travail patient et très offensif de la Chine ont contribué à façonner le paysage onusien d’aujourd’hui, l’exemple de la défaite cuisante subie par Pékin pour le contrôle de l’OMPI pourrait constituer un précédent, en particulier avec la mise au jour progressive de l’influence de la Chine dans les organisations et de la dissimulation d’ampleur de la crise du Covid-19. Le rapport de forces entre la RPC et les États-Unis et dans une certaine mesure, bon nombre d’acteurs étatiques, pour le contrôle des institutions internationales va sans doute se durcir dans le temps.
Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) – USPC et Emmanuel Lincot, Spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut Catholique de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Emmanuel Véron, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) – USPC et Emmanuel Lincot, Institut Catholique de Paris
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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