Pourquoi le Mercosur attise-t-il à nouveau la colère des agriculteurs ?

Par Germain de Lupiac
15 novembre 2024 08:48 Mis à jour: 15 novembre 2024 08:49

Avec une rare unanimité, le monde politique et les acteurs agricoles français sont mobilisés contre la signature d’un accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur.

Plus de 600 parlementaires français ont écrit à Ursula von der Leyen pour marquer leur opposition au traité, craignant une “déflagration démocratique” si l’accord était signé. Ils évoquent un « tel fossé » dans les normes environnementales, sanitaires et de bien-être animal entre les pays du Mercosur et l’Europe, qu’il « présente un risque sanitaire sérieux pour les consommateurs européens » et « constitue une concurrence déloyale pour nos producteurs agricoles ».

Moins d’un an après une mobilisation record des agriculteurs en France, qui s’était traduite notamment par des blocages d’autoroutes et une montée sur Paris, les syndicats agricoles appellent à nouveau à une mobilisation nationale à partir du 18 novembre, au moment du début du G20 au Brésil qui pourrait entériner l’accord.

Mais la France, “grand pays fondateur de l’Union », pourrait ne pas avoir les soutiens suffisants pour faire entendre sa voix au Parlement européen et prévenir une nouvelle grogne des agriculteurs dans toute l’Europe.

La France mobilisée contre l’accord avec le Mercosur

L’Union européenne semble déterminée à signer d’ici la fin de l’année un accord de libre-échange avec des pays latino-américains du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), au grand dam de la France.

Les agriculteurs dénoncent la bureaucratie des normes européennes et la faiblesse de leurs revenus, mais sont aussi excédés par le coût des mauvaises récoltes et les pertes liées à des maladies animales émergentes. La perspective d’une signature d’un accord tel que le Mercosur est la goutte de trop.

L’alliance syndicale agricole majoritaire formée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) a lancé un appel à une mobilisation nationale des agriculteurs à partir de lundi 18 novembre, au moment où les membres du G20 se réunissent au Brésil, pour manifester leur opposition à l’accord avec le Mercosur.

« Notre objectif n’est pas d’ennuyer les Français », et « encore moins de les affamer comme on a pu l’entendre », a répété le président de la FNSEA Arnaud Rousseau, en référence à la promesse de la Coordination rurale de « bloquer le fret alimentaire ».

« Je n’ai pas envie de prendre en otage la période de Noël qui est une période de consommation de nos produits », a précisé Arnaud Rousseau, ajoutant que la mobilisation pourrait reprendre « en janvier » s’ils n’obtenaient pas satisfaction.

Le Mercosur, un « cocktail explosif » pour les agriculteurs français

L’eurodéputée Manon Aubry a dénoncé l’accord UE-Mercosur, qu’elle décrit comme « un cocktail explosif dont personne ne mesure l’impact ».

L’UE et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie) négocient depuis plus de vingt ans un accord visant à créer une zone de libre-échange, en supprimant la majorité des droits de douane entre les deux zones au sein d’un espace de plus de 700 millions de consommateurs.

Un accord politique avait été conclu en 2019, mais l’opposition de la France, notamment, avait bloqué l’adoption définitive, opposition qui s’est renforcée avec la crise agricole qui sévit en Europe.

La France espère obtenir une minorité de blocage au sein de l’UE pour s’opposer à l’adoption européenne du texte. « Il faut donc qu’ils aient avec eux 45% des États qui représentent 35% de la population européenne », selon la présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen. « L’Autriche, les Pays-Bas ont émis des réserves. Mais même avec la France on serait loin de la minorité de blocage », regrette Manon Aubry.

L’Allemagne espère une conclusion rapide des négociations sur cet accord, et le chancelier Olaf Scholz rappelait début octobre que des pays comme l’Italie et l’Espagne y sont favorables. En revanche, selon Manon Aubry, « une écrasante majorité des parlementaires français sont opposés » à ce traité avec le Mercosur, « parfois à rebrousse-poil de leur groupe d’ailleurs ».

La député regrette également la grande opacité derrière le texte. « Depuis que ce texte est négocié, nous les Parlementaires européens n’y avons jamais eu accès », a-t-elle assuré, expliquant que son groupe allait « mener une bataille sur la transparence » autour de cette question à Bruxelles.

Plus de 600 parlementaires français craignent « une déflagration démocratique »

Plus de 600 parlementaires français (députés, sénateurs et députés européens), issus de plusieurs groupes parlementaires, ont rappelé dans un courrier à la présidente de la Commission européenne, leur opposition au projet de traité UE-Mercosur, qui pourrait être signé au G20 les 18 et 19 novembre.

« Nous n’imaginons pas, Madame la Présidente, que vous puissiez prendre l’initiative d’un vote au Conseil et au Parlement contre l’expression démocratique de la quasi-unanimité des parlementaires français », écrivent les élus allant du PCF aux sénateurs LR, en passant par le PS, les Écologistes, Renaissance, Liot, MoDem, Horizons, et l’UDI, dans ce courrier à l’initiative du sénateur écologiste Yannick Jadot. Les députés LR, LFI et RN n’ont pas signé.

« Nous ne concevons pas non plus que la Commission et le Conseil s’assoient sur l’opposition de la France, grand pays fondateur de l’Union », ajoutent-ils, en prévenant: « Une telle situation générerait sans aucun doute une déflagration démocratique dans notre pays qui se trouve déjà sous la menace politique d’un populisme antieuropéen ».

Pour les parlementaires signataires de ce courrier, la France a posé « trois conditions à la signature de l’accord »: « Ne pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne, mettre l’accord en conformité avec l’Accord de Paris sur le climat et instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale. À l’évidence, ces conditions ne sont pas satisfaites ».

Cet accord de libre-échange, « qui prévoit l’ouverture de quotas additionnels sans droits de douane ou à taux réduit de bœuf, de volaille, de maïs, de sucre et d’éthanol, se ferait fatalement au détriment des producteurs et éleveurs européens, sur fond de distorsions de concurrence et de naïveté coupable avec l’absence de contrôles sur les produits importés », poursuivent les signataires.

Enfin, il ferait peser « un risque substantiel sur la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité alimentaire en Europe », affirment-ils.  « De tels enjeux économiques, sociaux, environnementaux et sanitaires ne sauraient être réglés avec quelques compensations financières transitoires », martèlent-ils.

La France n’acceptera pas l’accord « dans les conditions actuelles », assure Barnier

« J’ai dit à la présidente que, dans les conditions actuelles, cet accord n’est pas acceptable par la France et il ne le sera pas », a déclaré le Premier ministre français Michel Barnier à l’issue d’une rencontre à Bruxelles avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

« Je recommande qu’on ne passe pas outre la position d’un pays comme la France », a-t-il mis en garde. Dénonçant « l’impact désastreux que cet accord aurait sur des filières entières notamment de l’agriculture et de l’élevage », M. Barnier a assuré qu’il y avait « les mêmes craintes dans beaucoup de pays européens ».

Interrogé sur les aménagements qui pourraient rendre le texte acceptable pour la France, il n’est pas rentré dans les détails. « Il ne s’agit pas de mettre des rustines ou de compenser », a-t-il simplement lancé.

« Nous sommes en solidarité avec le monde agricole sur cette question qui inquiète beaucoup, à juste titre, qui est celle du Mercosur », a dit le Premier ministre.

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