Pourquoi les collectivités s’inquiètent-elles d’une baisse de leur budget ?

Par Germain de Lupiac
6 novembre 2024 07:56 Mis à jour: 6 novembre 2024 07:56

Sommées de participer à l’effort d’économies prévu dans le budget 2025, les collectivités locales, départements en tête, ne décolèrent pas, y voyant « un coup de grâce », alors que leurs finances sont déjà dans le rouge.

Au total, l’effort budgétaire demandé aux collectivités locales s’élève à 5 milliards d’euros, au travers de différents mécanismes. Le courroux des élus départementaux est d’autant plus vif qu’ils ont le sentiment d’assumer de longue date des manques de l’État.

L’effort demandé aux collectivités est un « coup de grâce »

« L’effort supplémentaire pour le Gers, c’est 10 millions d’euros. À titre de comparaison, c’est la contribution du département au service d’incendie et de secours », explique Philippe Dupouy, président PS du conseil de ce département rural du sud-ouest.

« Si on l’enlève, le service ne fonctionne plus, avec toutes les conséquences que cela peut avoir », dit l’élu « très amer », qui ne sait encore quels « choix draconiens » faire dans son budget.

Chez son voisin haut-garonnais, le constat est partagé, avec une enveloppe d’économies à trouver d’une toute autre ampleur: « Plus de 150 millions d’euros », détaille Sébastien Vincini, président lui-aussi PS qui résume: « D’une situation intenable, on passe à de l’insoutenable ».

Et l’alarme lancée n’est pas liée à l’étiquette politique des patrons de départements.

« Il est parfaitement scandaleux de vouloir faire supporter le poids du dérapage incontrôlé des finances du pays aux élus locaux », s’insurgeait ainsi Nadège Lefebvre, présidente LR du conseil départemental de l’Oise.

Pour faire face à l’effort demandé, son homologue de Haute-Marne et camarade de parti, Nicolas Lacroix, évoque ironiquement un projet de mise en vente sur le Bon coin de plusieurs bâtiments du département, comme la préfecture ou le palais de justice.

Assumer de longue date des manques de l’État

« Toutes les politiques sociales complexes que l’État n’arrivait pas à mettre en œuvre, il les a décentralisées et données aux départements : la protection de l’enfance, le choc du vieillissement avec la prise en charge de nos seniors en perte d’autonomie, le handicap ou encore le RSA, etc. », détaille M. Vincini.

« Le département c’est la collectivité de la solidarité », souligne M. Dupouy pour lequel les économies demandées sonnent comme « un coup de grâce pour de nombreux départements ».

En l’état, dit-il, ce sont « 85% des départements, selon les projections qui sont faites, qui vont tomber en épargne négative fin 2025 », c’est-à-dire qu’ils vont devoir piocher dans leurs économies… quand ils en ont.

Face à des dépenses sociales toujours plus importantes, les départements ont en effet vu fondre leurs recettes, assises sur des droits de mutation (taxes sur les transactions immobilières) qui se sont effondrées : 253 millions d’euros de perte en deux ans en Haute-Garonne par exemple.

Des économies qui seraient un « danger pour le pays »

La ponction sur les recettes des plus grandes collectivités pour réduire le déficit public de l’État n’est « pas acceptable » et est « dangereuse pour le pays », a déclaré Johanna Rolland, présidente de France urbaine, association qui représente les grandes villes et intercommunalités.

« Cette addition que l’État nous demande aujourd’hui de régler à sa place en nous demandant de prélever 2% des recettes de fonctionnement à la source, je le dis clairement, cette mesure n’est pas acceptable, elle est dangereuse pour le pays », a estimé la maire socialiste de Nantes, au lendemain de la présentation du projet de loi de finances 2025 et en clôture du congrès de l’association.

Selon les propositions faites par le gouvernement, les communes et leurs intercommunalités, les départements et les régions seront amenés à participer à hauteur de 5 milliards d’euros à l’effort budgétaire visant à ramener le déficit public de l’État de 6,1% à 5% du PIB.

« Non seulement les choses [ont] été faites sans nous, mais en plus le curseur a été mis haut, très haut, trop haut pour nous imputer non pas une juste part, mais une injuste part », a déclaré Mme Rolland.

Outre le montant et la méthode, le calendrier pose problème aux élus. La plupart des grandes villes ont de fait déjà arbitré leur budget pour 2025.  « C’est comme si on changeait les règles du match de foot à deux minutes de la fin », a estimé la présidente de France urbaine.

Une austérité qui se répercutera sur les petites communes et l’économie locale

Parmi les mesures confirmées par le gouvernement, c’est le prélèvement de 3 milliards d’euros sur les recettes des collectivités dont les dépenses de fonctionnement dépassent 40 millions d’euros qui a été le plus mal accueilli par les élus de France urbaine, l’association des grandes villes et intercommunalités réunie à Lyon.

Ce « fonds de précaution » concernera 450 collectivités qui ne « présentent pas de fragilité sociale » et sera « restitué », a promis le ministère du Partenariat avec les territoires, excluant d’emblée vingt départements sensibles.

« J’entends beaucoup dire qu’on va toucher les grandes collectivités qui seraient soi-disant riches, mais deux tiers des Françaises et des Français en situation de pauvreté dans ce pays vivent dans nos grandes villes », a commenté  Johanna Rolland, maire PS de Nantes et présidente de France urbaine.

L’État demande aux collectivités d’assumer ses « propres turpitudes », dénonce David Lisnard

Le président de l’Association des maires de France (AMF), David Lisnard, a estimé que l’État demandait aux collectivités d’assumer ses « propres turpitudes » budgétaires, alors que Bercy leur a demandé la veille de dégager cinq milliards d’euros d’économies.

« Une fois de plus, l’État demande aux autres d’assumer ses propres turpitudes. Et ça, ce n’est pas acceptable », a déclaré au micro de France Info le maire LR de Cannes en estimant que le gouvernement comptait « augmenter les dépenses de 2,5% l’an prochain ».

« Je n’appelle pas ça des économies. C’est du rafistolage d’un système qui est à bout de souffle. Ce qu’il faut, c’est changer le périmètre de l’intervention publique », a-t-il déclaré en énumérant plusieurs transferts récents de compétences de l’État aux communes et intercommunalités.

« Le problème des comptes publics, c’est les grandes masses. Et c’est d’abord les dépenses de l’État qui ont augmenté de façon exponentielle », a ajouté le président de l’AMF.

La commission des Finances rejette les économies demandées aux plus grandes collectivités

Les députés ont rejeté le 30 octobre en commission des Finances un article du projet de budget 2025 du gouvernement qui prévoit de prélever 3 milliards d’euros sur les recettes des 450 plus grandes collectivités de France.

Vivement dénoncé par les élus locaux, cet article prévoyant d’instaurer un fonds d’épargne appelé « fonds de précaution », est la principale mesure du plan demandant aux collectivités territoriales un effort total d’économies de 5 milliards d’euros en 2025.

Ce dispositif « imposé aux collectivités n’est autre qu’un prélèvement injustifié sur leurs recettes pour les forcer à participer à la cure d’austérité », selon l’exposé des motifs de l’amendement de suppression de l’article en question.

« 450 collectivités seraient concernées pour pas moins de 3 milliards d’euros de ponction, et seules seraient exonérées les collectivités dont les indicateurs de ressources et de charges sont les plus dégradées », soit les plus fragiles, poursuit le texte.

La commission des Finances a par ailleurs voté en faveur des crédits alloués aux collectivités territoriales, dans le volet « dépenses » du projet de loi. Les amendements votés rajoutent 153 millions d’euros aux crédits de la mission.

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