Il y a bien longtemps, quand j’étais enfant, j’ai vu une publicité télévisée pour Anacin (une société pharmaceutique d’analgésiques) qui est restée dans ma tête pendant toutes ces années. Une mère et sa fille adulte travaillent dans une cuisine. La mère se demande si la soupe a besoin de plus de sel, et la fille réplique : « Maman, s’il te plaît ! Je préfère la faire toute seule. » Un narrateur dit alors, calmement et tranquillement : « Contrôle-toi. Bien sûr que tu as mal à la tête. Tu es tendue. Irritable. Mais ne t’en prends pas à elle. »
Peut-être qu’une des raisons pour lesquelles je m’en souviens encore a à voir avec le pouvoir des mots.
Force, inspiration, amour
Les mots peuvent faire ou défaire notre journée. Qu’ils soient écrits ou parlés, ils peuvent remonter le moral de ceux qui sont découragés, de ceux qui sont battus par les circonstances et l’échec, de ceux pour qui les compliments sont aussi rares qu’une tempête de neige en juillet. Si nous nous retrouvons enfermés dans un grenier sombre de l’esprit ou de l’âme, les mots d’encouragement peuvent devenir des chandelles qui illuminent l’obscurité, déverrouillent la porte, nous guident dans l’escalier sombre et nous escortent jusqu’au soleil. Un simple « Bon travail ! » prononcé par cette patronne habituellement taciturne peut laisser son assistante flotter sur un nuage pour le reste de la journée.
Beaucoup d’entraîneurs, d’enseignants, de conférenciers motivateurs et d’autres utilisent les mots pour rallier leurs auditeurs, insuffler de la fierté et du courage dans leur cœur, les mettre au défi et les diriger vers les hautes sphères de plus grandes réalisations. Le garçon de 14 ans qui reçoit quelques phrases d’éloges de son professeur pour sa dissertation en histoire se trouve encore plus en quête d’excellence. Dans le film Henry V de Kenneth Branagh, lorsque nous écoutons le discours que le roi prononce devant ses hommes avant la bataille d’Agincourt, certains d’entre nous se retrouvent aussi prêts que n’importe lequel de ces chevaliers anglais à lever son bouclier, brandir son épée et partir à la charge sur le champ de bataille.
Les mots ouvrent aussi la voie au romantisme et à l’amour. Peu d’entre nous peuvent écrire comme William Shakespeare ou Elizabeth Barrett Browning, mais la passion peut transformer même ce menuisier inarticulé ou ce barista timide en poètes bruts, en auteurs de vers parlés ou de lettres d’amour dont les rythmes maladroits et les sens maladroits sont appréciés par l’être aimé.
Un producteur laitier de Pennsylvanie que je connaissais depuis longtemps se levait bien avant l’aube pour aller traire les vaches. Il laissait souvent des petits mots dans la cuisine pour sa femme. Un matin, il a griffonné quelques lignes pour lui dire à quel point il l’aimait. Comme il était en retard pour revenir de la grange, elle est allée voir et l’a trouvé effondré, victime d’une crise cardiaque, sans qu’il ne reprenne jamais connaissance. Cette femme a perdu son mari, mais elle a gardé son simple petit mot jusqu’à sa propre mort, quelque 20 ans plus tard.
Juste un bref « Je t’aime, tu sais » dit au bon moment peut briller à travers le cœur comme un éclair dans un ciel noir orageux.
Le revers de la médaille
Ce qui nous amène au côté obscur du langage.
Les mots peuvent guérir, élever notre esprit et nous parler d’amour et d’affection, mais ils ont aussi le pouvoir de nous atteindre au plus profond de nous ou de laisser une blessure béante. On peut pardonner la remarque cruelle d’un ami, d’un employeur ou d’un conjoint, mais l’oublier est une tout autre histoire. Un exemple : quand j’étais en cinquième dans une école militaire, un nouveau cadet à plus de 300 km de chez moi, j’ai demandé à un élève de quatrième si je pouvais lui emprunter un crayon.
« Minick, m’a-t-il répondu, je ne te donnerais même pas la sueur de mon dos. » J’ai oublié depuis longtemps le nom de ce cadet et je n’ai aucune idée pourquoi il me méprisait, mais ce rejet et le rictus sur son visage sont aussi vifs pour moi que le jour où ces mots ont été prononcés.
La mère dont le tout-petit fait une crise au cours de laquelle il crie : « Je te déteste » oubliera probablement ce moment, mais la mère dont la fille de 16 ans crie les mêmes mots gardera probablement ce moment à jamais gravé dans sa mémoire. Cette pique, ces trois mots simples, restera une blessure dans son cœur pour le restant de ses jours. (Un mot de consolation pour les mères qui ont des adolescents difficiles : il y a fort à parier que le jeune qui vous maudit pleurera à vos funérailles.)
Mots sans visages
Aujourd’hui, les occasions de blesser les autres avec des mots se sont multipliées de façon incommensurable. Avec notre technologie, nous pouvons rabaisser un étranger qui se trouve à des milliers de kilomètres de distance tout en cachant notre identité derrière un pseudonyme, nous pouvons mettre fin à une relation avec un SMS d’une cruelle brièveté, et nous pouvons insulter ceux dont les opinions diffèrent des nôtres, le tout sans crainte de répercussions.
Libérés de rencontres en face à face inconfortables, libérés de la responsabilité même de nos paroles, certains jettent l’insulte et la déprédation obscène avec un abandon total, mettant de côté les manières et le décorum, et se délectant du rôle de tyran.
À cause de cette technologie, ce que nous écrivons peut aussi revenir nous hanter. L’homme adulte qui, à 15 ans, a écrit quelque chose de stupide en ligne sur la race ou le sexe, l’actrice de 30 ans qui avait envoyé un SMS privé dix ans plus tôt au sujet d’un réalisateur qu’elle méprisait, le politicien ayant tweeté une remarque qui est par la suite déformée en opinions qu’il n’avait jamais eues par des personnes malintentionnées : ceux-là et d’autres peuvent se retrouver, étourdis et honteux, au cœur d’une tempête de feu.
Certains d’entre nous avons entendu cette vieille comptine d’enfance en anglais :
« Les bâtons et les pierres peuvent me briser les os,
Mais les mots ne me feront jamais mal. »
Même quand j’étais enfant, cette leçon venue de la cour de récréation avait peu de sens pour moi. Loin de ne jamais me faire mal, les mots possédaient le pouvoir d’un bâton de dynamite, et l’explosion pouvait me faire bien plus mal que de simples bâtons et pierres. J’ai oublié depuis longtemps les douleurs et les blessures physiques de mon enfance – les bleus du football, les coupures et les plaies causées par les « batailles de mottes de terre », les genoux éraflés à vélo et les doigts coincés en jouant au baseball – mais beaucoup des lacérations causées par les mots demeurent. Pour que cela ait un sens, du moins pour moi, cette comptine devrait plutôt être :
« Les bâtons et les pierres peuvent me briser les os,
Mais les mots… les mots peuvent me briser le cœur. »
Jeff Minick a quatre enfants et un nombre croissant de petits-enfants. Pendant 20 ans, il a enseigné l’histoire, la littérature et le latin en cours à domicile à Asheville, en Caroline du Nord. Aujourd’hui, il vit et écrit à Front Royal, en Virginie, aux États-Unis.
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