Alors que le nombre de nouveaux arrivants reste obstinément élevé, plusieurs pays européens durcissent le ton concernant l’accélération des expulsions des demandeurs d’asile déboutés.
Le ministre de l’Intérieur suédois a récemment annoncé que son pays s’apprêtait à expulser près de la moitié des 163 000 demandeurs d’asile arrivés en 2015. La Finlande a déclaré qu’elle prévoyait d’expulser les deux tiers de ses 32 000 demandeurs d’asile. L’Allemagne, qui a accueilli le plus grand nombre de demandeurs l’année dernière, vient quant à elle d’approuver des mesures destinées à accélérer les expulsions, notamment vers les pays qualifiés de « sûrs ».
Mais, en réalité, les expulsions sont difficiles à mettre en œuvre. Avant même que de nombreux pays soient débordés par la crise actuelle, les États membres ne réussissaient déjà guère à accélérer le retour des demandeurs d’asile déboutés et des immigrés clandestins.
En 2014, selon les dernières données d’EuroStat disponibles, plus d’un demi-million de ressortissants de pays tiers séjournaient illégalement sur le territoire de l’Union européenne (UE). La grande majorité d’entre eux faisaient l’objet d’une décision de retour les enjoignant à quitter le territoire dans un délai réglementaire (30 jours, généralement). Ceux qui n’obtempéraient pas étaient censés être expulsés de force, mais en réalité, seulement 40 % l’ont été.
Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’UE, qui rassemble les chiffres produits par les autorités nationales, compte que les États membres ont renvoyé de force dans leur pays un peu plus de 52 000 immigrés en situation irrégulière au cours des trois premiers trimestres de 2015 (quelque 57 000 seraient partis volontairement). Les données des États membres concernant les expulsions ne sont pas ventilées en fonction du type d’immigration. Il est donc impossible de savoir combien de ces immigrés étaient des demandeurs d’asile déboutés. Toutefois, étant donné que l’Europe a reçu près de 800 000 demandes d’asile au cours de la même période, on peut se faire une idée des efforts que devra fournir la Suède pour joindre le geste à la parole avec une même fermeté.
« De par leur nature, les retours volontaires sont bien plus difficiles à comptabiliser, car il n’existe aucun système permettant de vérifier que les demandeurs d’asile ayant reçu une décision d’éloignement quittent réellement le territoire de l’État membre – Jean-Pierre Schembri, porte-parole de l’EASO
Que dit la loi ?
Depuis la fin de l’année 2010, l’expulsion des migrants en situation irrégulière est régie par la « directive retour » [à l’exception du Royaume-Uni et de plusieurs autres pays qui ont choisi de ne pas y adhérer]. Cette directive limite le recours à la rétention et aux mesures coercitives et est plus favorable aux retours volontaires qu’aux retours forcés.
Non seulement les retours volontaires sont considérablement moins chers, mais ils sont évidemment plus humains. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) dénonce cependant un manque de données concernant les retours volontaires. Une seule exception : le nombre relativement limité de personnes participant aux programmes de retour volontaire assisté – souvent mis en œuvre par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en coordination avec les autorités nationales – qui aident les candidats à organiser leur voyage et leur proposent divers avantages incitatifs.
Lorsque des migrants ou des demandeurs d’asile déboutés décident de partir par leurs propres moyens, leur départ n’est pas enregistré dans le système Eurodac, une base de données européenne qui enregistre les empreintes digitales des demandeurs d’asile à leur arrivée, mais pas lorsqu’ils quittent l’UE.
« De par leur nature, les retours volontaires sont bien plus difficiles à comptabiliser, car il n’existe aucun système permettant de vérifier que les demandeurs d’asile ayant reçu une décision d’éloignement quittent réellement le territoire de l’État membre », a dit à IRIN Jean-Pierre Schembri, porte-parole de l’EASO.
En Suède et en Allemagne, de nombreuses personnes faisant l’objet d’une décision d’éloignement n’ont manifestement pas de mal à se glisser dans l’ombre et à vivre pendant des années dans la clandestinité. Contrairement au Royaume-Uni et à quelques autres États membres, la Suède et l’Allemagne ont limité ces dernières années le recours à la rétention pour éviter que les demandeurs d’asile disparaissent de leur vue.
Grund Grauselds, porte-parole de l’Office suédois des migrations, a expliqué qu’en Suède, lorsque quelqu’un reçoit un ordre d’éloignement, il a trois semaines pour quitter le pays volontairement. Pendant cette période, il doit rencontrer régulièrement l’agent responsable de son dossier et reçoit de l’aide pour obtenir les documents de voyage nécessaires auprès de l’ambassade. « Il arrive fréquemment que des personnes ne se présentent pas aux rendez-vous », a-t-elle avoué. « Nous les signalons alors à la police. »
Combien de temps le processus prend-il ?
L’Office suédois des migrations cherche à accélérer les retours, mais selon Mme Grauselds, l’accumulation des demandes d’asile rend cette tâche difficile. « Le temps de traitement moyen est actuellement de 11 mois, mais il augmentera probablement beaucoup cette année. Il pourrait atteindre les 18 mois. Puis, il faut compter le temps de la procédure judiciaire [pour ceux qui font appel après le rejet de leur demande]. Les affaires s’accumulent dans les tribunaux aussi et cela peut prendre 10 autres mois. »
Autrement dit, quelqu’un ne remplissant pas les conditions nécessaires pour obtenir l’asile peut rester dans le pays pendant plus de deux ans avant qu’une procédure d’éloignement soit mise en route.
Les retards s’accumulent particulièrement en Allemagne. Des centaines de milliers de demandeurs d’asile attendent encore d’être enregistrés et a fortiori de recevoir une décision concernant leur statut de réfugié.
Le système d’asile allemand est décentralisé et ce sont ses 16 États qui ont la responsabilité de traiter les demandes et d’exécuter les décisions d’éloignement. Le pays a expulsé 20 888 personnes en 2015, soit deux fois plus qu’en 2014. Cependant, ce chiffre n’impressionne pas les Allemands, qui s’inquiètent de l’arrivée de plus d’un million de demandeurs d’asile l’année dernière.
Le gouvernement allemand a déjà pris des mesures pour tenter d’accélérer les décisions de rejet et le retour des demandeurs d’asile de certaines nationalités présentant un taux de reconnaissance du statut de réfugié très bas.
Des mesures de répression vont-elles être prises ?
L’Allemagne fait l’objet de pressions pour augmenter de manière significative son taux d’expulsion et les associations de défense des droits des réfugiés craignent que cela conduise à un retour aux méthodes de rétention et d’expulsion plus draconiennes des années 1990.
« C’était une politique très dure », a commenté Karl Kopp, de l’association allemande de défense des droits de l’homme PRO ASYL. « Deux personnes sont mortes au cours du processus [de retour forcé]. La réglementation a ensuite été modifiée pour éviter d’expulser les gens à tout prix et le taux d’expulsion a baissé, mais maintenant nous revenons aux sanglantes années 1990. »
Le gouvernement allemand a déjà pris des mesures pour tenter d’accélérer les décisions de rejet et le retour des demandeurs d’asile de certaines nationalités présentant un taux de reconnaissance du statut de réfugié très bas. Dans les six premiers mois de l’année 2015, 40 % des demandes étaient déposées par des ressortissants de pays des Balkans comme la Serbie, le Kosovo et l’Albanie. La plupart des pays des Balkans sont maintenant considérés comme « sûrs » par l’Allemagne. Les demandeurs d’asile de ces pays peuvent donc maintenant faire l’objet d’un traitement accéléré de leur requête et être expulsés plus rapidement. Le gouvernement a récemment ajouté la Tunisie, le Maroc et l’Algérie à sa liste de pays sûrs, mais il ne peut pas procéder à des mesures d’éloignement tant qu’il n’obtient pas les accords de réadmission nécessaires.
Depuis mi-2015, la majorité des demandeurs d’asile arrivant en Allemagne et ailleurs en Europe vient de pays en guerre comme la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan. Même si l’Allemagne rejette un certain nombre de demandeurs d’asile afghans considérés comme des migrants économiques – comme elle a menacé de le faire – elle aura du mal à convaincre que l’Afghanistan n’est pas trop dangereux pour y renvoyer les demandeurs d’asile déboutés.
Coincés dans un vide juridique
Les demandeurs d’asile déboutés en Allemagne et qui ne peuvent pas être renvoyés chez eux pour diverses raisons – parce qu’ils sont atteints d’une maladie grave, que leur nationalité ne peut être prouvée ou que leur pays d’origine refuse de les réadmettre – rejoignent les rangs des « tolérés » (duldung en allemand). Ils ne peuvent être expulsés, mais n’ont pas de permis de séjour ; souvent, ils ne peuvent donc pas travailler ni avoir accès aux services sociaux.
Lorsque j’ai rencontré Neamat Kanaan, jeune Libanaise de 30 ans, dans la petite ville saxonne de Pirna en octobre dernier, cela faisait sept ans qu’elle vivait en Allemagne, dont une grande partie avec un permis Duldung. Elle n’avait pas le droit de travailler ni de quitter la ville, où sa famille et elle avaient fait l’objet de nombreux actes racistes, et elle dépendait des réseaux de solidarité. Son intégration était pratiquement impossible.
Tous les deux ou trois ans, l’Allemagne accorde un permis de résidence permanent à certaines catégories de Duldung qui, comme Kanaan, vivent dans le pays depuis plusieurs années. Cependant, des dizaines de milliers de nouveaux demandeurs d’asile rejetés et non expulsables prendront leur place au fil des ans.
« Ce n’est pas facile de chasser toutes ces personnes », a dit Kopp. « Les gens ont le droit de rester pour des raisons techniques et humanitaires. »
Source : IRIN News
Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d’Epoch Times.
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