La modification constitutionnelle voulue par Recep Tayyip Erdogan pour renforcer ses pouvoirs en tant que président turc est finalement adoptée, à la force du poignet et des coups de poings qui ont conduit trois parlementaires à l’hôpital. Si validée comme prévu par référendum ce printemps, cette réforme aura transformé en trois ans la fonction présidentielle turque en un nouveau sultanat, qui ne s’embarrassera pas même de grand vizir – le poste de Premier ministre étant supprimé – et dans lequel le Parlement sera réduit à un rôle de simple exécutant.
Un projet bien préparé
Depuis qu’il a troqué, en 2014, le costume de Premier ministre pour celui de président, Recep Erdogan a une nouvelle vision de la fonction et de l’organisation de l’exécutif turc. Il l’a d’abord exprimée par ses attaques sur la presse, en menaçant, par exemple, directement et personnellement des journalistes qui avaient révélé la livraison d’armes par la Turquie à l’État islamique – journalistes depuis condamnés à cinq ans de prison.
Mais les élections parlementaires de 2015 ont accéléré le processus : le 7 juin 2015, l’AKP était balayé lors des élections législatives. Les parlementaires pro-kurdes du parti démocratique des peuples (HDP) y gagnaient 80 sièges, alors que le parti d’Erdogan, l’AKP (parti de la justice et du développement), en perdait 70 et n’avait plus assez de voix pour gouverner. Prétextant ne pouvoir constituer de gouvernement, Erdogan annonçait deux mois plus tard l’organisation d’élections législatives anticipées, tenues en novembre 2015. D’août à novembre, plus de 400 attaques violentes contre les locaux et les médias de l’opposition ont été enregistrées. Dans les zones pro-kurdes comme la province de Sirnak, des conseils électoraux ont annoncé à un mois du scrutin ne pas pouvoir ouvrir certains bureaux de vote pour des raisons « sécuritaires », empêchant le vote de nombreux électeurs du HDP. Enfin, le 10 octobre, à Ankara, deux attentats successifs font plus de 100 victimes parmi les militants du HDP, lors d’une manifestation pour la paix. L’attentat, le plus meurtrier de l’histoire turque, est officiellement attribué à l’Etat islamique, mais aurait été commandité par des proches d’Erdogan, croient les leaders de l’opposition. Durant toute cette période et, en particulier, avec l’attentat d’Ankara, le sentiment d’insécurité grandit dans le pays et favorise le vote pour l’AKP. Celui-ci regagne 60 des 80 sièges perdus en juin, tandis que l’HDP en perd 20.
Le coup d’Etat manqué du 15 juillet dernier, en réaction probable aux évènements de 2015, a finalement été un outil inespéré pour Erdogan.
Le coup d’État manqué du 15 juillet dernier, en réaction probable aux événements de 2015, a finalement été un outil inespéré pour Erdogan : depuis juillet, 100 000 fonctionnaires ont été suspendus ou limogés, sans que cela soit nécessairement lié à leur sympathie pour le mouvement Gülen. Début novembre enfin, dans la vague d’arrestations justifiée par la tentative de coup d’État, 11 parlementaires pro-kurdes ont été arrêtés de façon coordonnée, chez eux, en pleine nuit. Pour Omer Taspinar, expert en politique turque de la Brookings Institution, cité par le New York Times, l’actualité turque « permet de continuer les purges en totale impunité, et sans place pour les recours légaux. La répression contre les Kurdes renforce aussi l’alliance avec les nationalistes au Parlement et aide [Erdogan] à garantir la majorité parlementaire dont il a besoin pour les changements constitutionnels. »
Pour un petit paradis présidentiel
Le 30 décembre dernier, une commission parlementaire validait le projet de réforme constitutionnelle du président Erdogan, qui a donc finalement été mis au vote des parlementaires ce 21 janvier et adopté à 2 heures du matin par 339 voix contre 142 – Erdogan a pour cela profité à plein des équilibres de la nouvelle Chambre constituée après les législatives anticipées de fin 2015. En s’alliant avec les ultranationalistes du MHP et en faisant emprisonner des parlementaires de l’opposition, le parti AKP d’Erdogan n’aura manqué que de 28 voix l’adoption sans besoin de passer par un référendum populaire. Les débats parlementaires, non retransmis en direct à la télévision malgré l’importance de la session, ont été l’occasion de quelques pugilats. Jeudi 19, une députée de l’opposition, Aylin Nazliaka, s’est menottée à la tribune pour protester du passage en force de la réforme constitutionnelle : immédiatement entourée de parlementaires de l’AKP, elle s’est retrouvée au centre d’un pugilat féminin à coups de poings, de pieds, agrémenté d’arrachage de cheveux.
Cette réforme « réduit à néant un principe angulaire de notre Constitution, celui d’être une République démocratique, laïque, avec un État de droit », commente le député Ali Seker pour le New York Times. « Cet ensemble de lois crée un régime qui fonctionnera selon l’humeur d’une seule personne. C’est ce qu’on appelle une dictature. »
Le président, une fois élu, pourra rester à la tête de son parti politique. Il s’appuiera sur un nouveau Parlement élu en même temps que lui (synchronise des élections parlementaire et présidentielle), nommera et révoquera seul ses ministres, désignera les juges (y compris ceux de la Cour constitutionnelle, censés contrôler son action et ayant le pouvoir de le destituer). Luxe suprême, il pourra gouverner par décret, ne laissant ainsi au Parlement qu’un pouvoir d’intendance. C’est la fin de l’opposition en Turquie, sauf si le peuple dit « non » lors du référendum prévu au printemps. Mais si d’ici là de nouveaux attentats avaient lieu, si l’actualité faisait apparaître la sécurité nationale comme menacée, ce peuple inquiet pourrait sentir – comme lors des élections parlementaires – le besoin d’être protégé par un sultan.
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