Le président Kais Saied a annoncé la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe de supervision judiciaire qu’il accuse de partialité, une décision suscitant dimanche des inquiétudes pour l’Etat de droit même si elle a été applaudie par des manifestants à Tunis.
« Le CSM appartient au passé », a déclaré le président tunisien dans une vidéo diffusée dans la nuit, dénonçant une instance, à ses yeux, corrompue qui aurait ralenti notamment les enquêtes sur les assassinats en 2013 de deux militants de gauche.
Il vise ainsi, selon les observateurs, le parti Ennahdha, sa bête noire, qui a contrôlé le Parlement et les gouvernements ces dix dernières années, après la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali et la révolution de 2011.
Le CSM, créé en 2016 pour garantir l’indépendance de la justice, est composé de 45 membres, pour les deux tiers des magistrats élus par le Parlement qui élisent le tiers restant.
« La place des magistrats (du CSM) est sur le banc des accusés »
« Les postes et les nominations se vendent et se font selon les appartenances » au sein du CSM, a accusé le président, en ajoutant: « vous ne pouvez pas imaginer l’argent que certains juges ont pu recevoir, des milliards et des milliards ». Pour lui, « la place des magistrats (du CSM) est sur le banc des accusés ».
M. Saied concentre tous les pouvoirs depuis le 25 juillet, quand il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement, des mesures dénoncées comme un « coup d’Etat » par Ennahdha et d’autres opposants.
Il a depuis nommé un gouvernement mais prend ses décisions par décrets, officiellement à titre provisoire jusqu’à des élections législatives programmées pour décembre, après un référendum constitutionnel.
« Un décret provisoire » de dissolution du CSM
La Commission internationale des juristes (ICJ), une ONG établie depuis 70 ans, a dénoncé comme « infondées » les « accusations de corruption contre le CSM », qui « défend l’indépendance de la justice ». Selon elle, « tout décret qui aboutirait à sa dissolution est illégal et inconstitutionnel » et « signifierait la fin de la séparation des pouvoirs en Tunisie ».
Le président a dit « travailler sur un décret provisoire » de dissolution du CSM.
Le Mouvement du 25 juillet appel à la dissolution du CSM et d’Ennahdha https://t.co/F2wCHeXxiz
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L’annonce a été saluée par le bâtonnier de l’ordre national des avocats tunisiens, Ibrahim Bouderbala: « dès que le décret sera publié, nous réagirons positivement », a-t-il dit à l’AFP.
Les coupables doivent « rendre des comptes »
La décision de M. Saied a été saluée aussi par quelque 500 manifestants réclamant « une justice équitable et indépendante ». Les coupables doivent « rendre des comptes », scandaient-ils rassemblés place des Droits de l’homme à Tunis pour commémorer l’assassinat le 6 février 2013 du dirigeant de gauche Chokri Belaïd et celui de Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013.
Des islamistes extrémistes avaient revendiqué ces meurtres, ce qui avait provoqué une grave crise politique et débouché sur le retrait provisoire du pouvoir du parti d’inspiration islamiste Ennahdha puis la formation d’un gouvernement de technocrates entre 2013 et 2014.
« Avoir un système judiciaire juste »
« Malheureusement, certains juges dans les tribunaux ont manipulé le dossier Chokri Belaïd », a dénoncé M. Saied dans sa vidéo. « Ce n’est pas le premier procès où ils essaient de cacher la vérité depuis des années », a-t-il encore accusé. Il a aussi invoqué le « droit des Tunisiens » d’« avoir un système judiciaire juste » et « contrôlé par des juges qui n’appliquent que la loi ».
Le »Mouvement 25 juillet » veut la dissolution du CSM https://t.co/SNE4zN5vyt
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Le 19 janvier, il avait déjà retiré une série d’avantages en nature aux membres du CSM (carburant à un tarif subventionné, primes de transport et de logement).
Présent à la manifestation des partis de gauche, le frère de Chokri Belaïd, Abdelmajid, a applaudi la dissolution du CSM, accusant Ennahdha d’avoir « manipulé et ralenti depuis neuf ans » l’enquête. « Ils essaient d’enfouir et démanteler le dossier » mais « je suis sûr que des juges nobles vont maintenant le traiter », a-t-il dit à l’AFP, assurant que « tant qu’on n’aura pas dissous le CSM on n’aura jamais la vérité ».
Non loin de là, quelques dizaines de membres du « mouvement du 25 juillet » de soutien au président Saied se sont regroupés à la mi-journée devant le siège du CSM.
Cela faisait plusieurs semaines qu’ils pressaient le président de dissoudre le CSM et de « purger » le pouvoir judiciaire des « magistrats corrompus ».
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