Apprendre Shakespeare à vos enfants

Par Michal Bleibtreu Neeman
15 janvier 2019 22:27 Mis à jour: 19 mars 2021 00:54

Quand la fille de Ken Ludwig a eu 6 ans il voulait, comme la plupart des pères, partager avec elle l’une de ses passions. Auteur dramatique ayant remporté deux fois le prix Laurence Olivier, Ludwig a été séduit par Shakespeare.

Il a commencé avec sa fille puis continué avec son fils. «J’ai adoré m’asseoir avec eux pendant des heures le week-end», a-t-il déclaré.

Après avoir écrit 25 pièces de théâtre et comédies musicales, qui ont été jouées dans plus de 30 pays, dont six productions de Broadway et sept dans le West End de Londres, on pourrait dire que Ludwig a une bonne connaissance du théâtre.

Écrire un livre sur l’enseignement de Shakespeare aux enfants peut sembler naturel : son article «Comment enseigner à vos enfants, Shakespeare» a remporté le Falstaff Award du meilleur livre de Shakespeare en 2014.

Dans le livre, il explique comment l’enseignement à ses propres enfants a rendu sa «famille plus forte, et ses membres plus tolérants les uns envers les autres».

Shakespeare n’est peut-être pas la première chose à faire lorsqu’on veut divertir ses enfants, mais Ludwig raconte à Epoch Times à quel point cette expérience peut être profitable et enrichissante pour tous.

(Avec la courtoisie de Ken Ludwig)

Epoch Times: Votre livre m’a réconcilié avec Shakespeare et m’a permis de voir son travail avec des yeux neufs. Mon expérience de Shakespeare a été un travail aride et ardu à l’école. Je me suis davantage intéressé à la pièce Le songe d’une nuit d’été à Regents Park, à Londres.

Comment arrivez-vous à persuader les adultes que Shakespeare est pertinent pour leur enfant si leur expérience a été similaire à la mienne?

Ken Ludwig: Votre voyage n’est pas un voyage atypique. Le titre de mon livre n’est pas simplement «Comment enseigner à vos enfants, Shakespeare»; le titre secret est «Comment t’apprendre Shakespeare», car le fait est que la plupart des gens ont peur de Shakespeare. Ils y sont peu exposés et quand ils le sont, c’est déroutant. Cela ressemble littéralement à une langue étrangère qu’ils ne peuvent pas comprendre, surtout quand ils essaient de la lire. C’est une lecture assez intense pour quelqu’un qui ne sait pas comment s’y prendre.

C’est pourquoi il est particulièrement bon de présenter Shakespeare aux enfants: parce que leur esprit est ouvert à tout. C’est comme de petites éponges et ils ne sont pas prévenus contre l’idée de lire Shakespeare. Cela est particulièrement vrai pour les enfants très jeunes, de 6 à 12 ans.

Mon livre tente donc d’exposer les enfants et leurs parents à la beauté et à l’intelligence – et tout simplement au plaisir – de Shakespeare, sans aucune connaissance préalable.

J’ai récemment eu une merveilleuse rencontre avec un Anglais qui est devenu un homme d’affaires très prospère. Ce n’est que plus tard dans la vie, à la fin de la trentaine, qu’il découvre et tombe amoureux de Shakespeare pour la première fois. Comment a-t-il fait?

Il m’a dit qu’il avait l’habitude d’emmener un groupe de ses employés à Londres une fois par an pour une journée complète de bien-être, de nourriture et de divertissement pour passer un temps de qualité ensemble. Ils commençaient par un bon repas au pub, puis ils assisteraient à un match de sport ou à un événement similaire, et enfin ils auraient un excellent dîner ensemble, et c’est tout.

Mais il y a environ 20 ans, ils se trouvaient sur la South Bank à Londres et passaient devant le théâtre du Globe. Il y restait des billets disponibles. Le spectacle au Globe ce jour-là était Comme il vous plaira, et ils ont acheté les billets les moins chers (où on assiste débout dans la cour du théâtre) et ont décidé de tenter leur chance. Et pour mon ami et ses compagnons, ce fut comme une révélation. Il a dit que c’était comme une brume qui disparaissait sous ses yeux. Son expérience de Shakespeare jusqu’à ce moment-là avait été source de confusion et de frustration, et tout à coup, «c’était le meilleur après-midi que j’ai jamais passé». Depuis, il est devenu un amoureux et défenseur de Shakespeare. Shakespeare a enrichi sa vie.

Voir une pièce de Shakespeare interprétée par de bons acteurs dans une grande production – comme celles du Globe, de la Royal Shakespeare Company ou du Folger Theatre à Washington, DC – ces représentations changent tout simplement votre vie. Les bons acteurs racontent les histoires clairement, simplement, afin que le public puisse comprendre chaque mot.

Epoch Times: Avez-vous des retours de la part d’adultes qui ont des révélations similaires après avoir lu votre livre?

Ludwig: Oui. Tout à fait. Et c’est la meilleure partie. Je suis un dramaturge de profession et c’est ainsi que je gagne ma vie. Écrire ce livre a été un travail d’amour. Croyez-moi, personne n’a jamais gagné sa vie en écrivant un livre sur Shakespeare. Mais vous le faites parce que vous l’aimez tellement et que vous voulez le partager avec le monde.

Et la meilleure partie a été quand les gens m’écrivaient et disaient: «Oh, mon Dieu! J’enseignais cela à mon fils et à ma fille et nous avons tous commencé à le comprendre ensemble, et maintenant nous l’aimons tous!»

«Peur», tel est le mot clé, ils me disaient : «J’avais peur de Shakespeare. Mais, oh mon dieu! Je l’ai juste adoré. Je l’ai compris pour la première fois!»

Et comprendre cela pour la première fois est vraiment une question de faire ce que le livre dit dans ces premiers chapitres : Tout d’abord, lisez quelques lignes – celles que je suggère dans le premier chapitre – de simples et belles lignes d’un passage simple et compréhensible. Le passage que je suggère pour commencer est un extrait du Songe d’une nuit d’été.

Il décrit un endroit dans une forêt où la fée magique de la forêt dort la nuit. Le passage commence ainsi :

«Je sais un banc où s’épanouit le thym sauvage, où poussent l’oreille-d’ours et la violette branlante. Il est couvert par un dais de chèvrefeuilles vivaces, de suaves roses musquées et d’églantiers. C’est là que dort Titania, à certain moment de la nuit, bercée dans ces fleurs par les danses et les délices» ; (traduction éditée chez Flammarion).

Nous apprenons que ces lignes sont prononcées par un personnage hilarant, dangereux et merveilleux, nommé Oberon, et qu’il raconte à son homme de main Puck où dort sa femme Titania – afin que Puck puisse la retrouver et l’enchanter d’une fleur magique. Quand mes enfants ont entendu parler de tout cela pour la première fois, ils étaient stupéfaits d’enthousiasme. Qu’est-ce qui pourrait être une meilleure histoire pour un jeune enfant qu’une histoire sur une forêt magique, un esprit de fée espiègle et une belle princesse?

Deuxième étape : comme le dit le livre, assurez-vous que vos enfants et vous-même comprenez chaque mot du passage, puis mémorisez-le, ce que vous pouvez faire en 10 minutes environ. Avec ce début, les choses vont commencer à se mettre en place.

La troisième étape consiste à prendre le temps de regarder une bonne production de Shakespeare. Vous pouvez le faire en personne si vous avez un bon théâtre à proximité ou en ligne. Il existe de très bons films de Shakespeare sur Amazon et Netflix, ou vous pouvez regarder GlobePlayer, qui enregistre bon nombre des meilleures productions montées par le théâtre du Globe à Londres.

 

Enfin, revenez à la lecture de Shakespeare et apprenez de nouveaux passages par cœur, les uns après les autres. En faisant cela, vous apprenez les histoires, vous comprenez les problèmes moraux soulevés par Shakespeare, vous rencontrez les personnages et vous tombez amoureux de la langue.

(Avec la courtoisie de Ken Ludwig)

Epoch Times: Certains personnages sont-ils de bons archétypes?

M. Ludwig: En tant que dramaturge, je vois comment, pièce après pièce, Shakespeare coche une case après l’autre : des personnages intéressants, une excellente intrigue, un langage fantastique, il bouleverse notre cœur, nous fait rire et nous rend conscients de notre fugacité.

Chaque pièce est remplie de personnages dont nous nous souvenons pour toujours. Ils sont presque vivants. Béatrice et Benoît, le couple romantique qui plaisante dans Beaucoup de bruit pour rien, vous pourriez vivre avec eux pour toujours.

Ils forment la base de toute notre tradition de comédie romantique. Grâce à Shakespeare, nous avons vu des couples comme eux dans les films au cours des 50 dernières années.

Epoch Times: Quelles valeurs inhérentes Shakespeare nous montre-t-il?

Ludwig: Shakespeare est particulièrement intéressant dans la mesure où il fait tout son possible pour ne pas émettre de jugement moral à l’encontre de son auditoire. Il est toujours ouvert à l’interprétation. C’est pourquoi il a duré si longtemps. Nous lisons Shakespeare depuis 450 ans parce que nous pouvons constamment le réinterpréter et l’intégrer à nos propres vies.

Il suffit de penser : nous sommes au début du 21e siècle et les crises qu’il décrit ressemblent à nos propres crises. Il y a la crise politique de Richard III dans la pièce éponyme. Il s’agit d’un membre très corrompu de la famille royale qui assassine pour frayer son chemin vers le sommet juste pour s’asseoir sur le trône d’Angleterre et se déclarer souverain.

Antoine, dans Antoine et Cléopâtre, est un dirigeant qui abandonne sa femme et se rend en Égypte et tombe amoureux de la plus grande courtisane de son temps, Cléopâtre.

Et puis, il y a ce moment merveilleux dans la comédie La nuit des rois, où un rabat-joie amateur nommé Malvolio tente d’empêcher les autres membres de sa communauté de s’amuser. Ils organisent une fête au milieu de la nuit, chantent des chansons et dérangent la maison, et cette figure paternelle, Malvolio, entre en colère et leur dit de s’arrêter.

À ce moment, un des fêtards (un sir Toby Belch, bien nommé) répond : «Ne va-t-il plus y avoir de gâteaux et de bière?» Et voilà qu’une seule petite phrase contienne une philosophie de la vie, qui mène jusqu’à nous 450 ans plus tard.

Ces moments formidables, d’ailleurs si nombreux chez Shakespeare, dans lesquels il aborde une idée qui a une résonance si profonde et la résumer en quelques mots, nous parlent aujourd’hui comme à toutes les générations, siècle après siècle. Aucun autre écrivain n’a eu autant de résonance ou d’influence sur les auteurs qui sont venus après lui.

C’est ainsi que Shakespeare nous enseigne. Il nous fait réfléchir. Il nous laisse trouver les leçons en nous-mêmes. Et en les trouvant ainsi, elles restent avec nous pour toujours.

Epoch Times: Dans votre livre, vous mentionnez que «Être ou ne pas être» de Hamlet est comme un rite initiatique d’adolescence. Au cours de votre vie, vos enfants se sont-ils identifiés à des différents personnages à des différents moments?

Ludwig: Oui, oui, exactement. Quelqu’un est grognon (moi) et ils se tourneront vers moi et me diront: «Y aura-t-il plus de gâteaux et de bière?» Et je suis abasourdi et fier.

Ma fille l’a fait l’autre jour. Nous parlions de quelqu’un qui n’a montré son potentiel que plus tard dans la vie, et elle s’est tournée vers moi et a dit:

« Je vous connais tous, et je veux bien me prêter quelque temps — à l’humeur effrénée de votre désœuvrement. »

(Traduction par François-Victor Hugo. Œuvres complètes de Shakespeare, Pagnerre, 1872).

Elle se souvenait de ces paroles dans Henri IV, lorsque le jeune prince Henri déclara qu’il allait montrer un jour au monde entier qu’il était meilleur et plus sage qu’il ne le semblait en ce moment.

Croyez-moi, mes enfants sont très gentils mais tout à fait ordinaires, sans aucun talent particulier. Mais nous avons passé beaucoup de temps en famille à apprendre ces passages de Shakespeare, et cela est resté gravé en eux et a enrichi leur vie.

Alfred North Whitehead, mathématicien et philosophe, est l’un de ceux dont je parle souvent dans mes conférences. Il décrit l’art comme la recréation de modèles que nous, lecteurs, reconnaissons à partir de notre vie quotidienne, de livres et de peintures que nous avons lu ou vu dans le passé.

Il dit que la joie esthétique que nous procurent les œuvres d’art – le souffle de joie que nous ressentons lorsque nous voyons une sculpture de Michel-Ange ou une pièce de théâtre de Shakespeare – est liée à notre reconnaissance d’un motif très humain que nous avons déjà rencontré, soit dans la vie soit dans l’art.

Et c’est ce que Shakespeare fait par excellence; il trouve un moyen de nous rappeler des parties de notre vie qui fonctionnent sous la surface. Ainsi, lorsque nous voyons l’une de ses pièces, nous nous disons : «Oh, mon Dieu! J’ai été là. Je connais ce sentiment. Je comprends cette ardeur,  cette énergie, cette émotion. Je sympathise avec cet amant ou cette victime ou ce héros. Et du coup je ne me sens plus si seul.»

Ces modèles font partie de la façon dont Shakespeare nous aide à comprendre la vie et c’est pourquoi Shakespeare a une résonance si profonde dans le cœur de nos enfants.

Lorraine Ferrier

Version anglaise: Don’t Be Afraid to Teach Your Children Shakespeare

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