ENTRETIEN – Le philosophe et enseignant à l’Institut Catholique de Paris Bernard Bourdin répond aux questions d’Epoch Times sur la réouverture de la cathédrale Notre-Dame.
Epoch Times : Que symbolise, pour vous, la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris les 7 et 8 décembre, plus de cinq ans après l’incendie ?
Bernard Bourdin : La réouverture symbolise avant tout la réussite de la restauration de la cathédrale. Nous sommes quand même partis de loin. Cet événement signifie également qu’il y a, malgré la crise politique que nous traversons, en France, un savoir-faire et l’aspiration à une certaine grandeur de la France.
Notre-Dame est un symbole mondial de cette grandeur. Je dirais même, un symbole mondial de l’image que nous avons de nous-mêmes et que le monde a de nous-mêmes. C’est-à-dire un pays qui ne recule pas devant les grandes choses.
La cathédrale est aussi un symbole de tensions françaises entre l’Église et l’État, entre le politique et le religieux de manière plus générale. Elle est plus qu’un lieu de culte et en même temps, le lieu de culte comme tel ne peut pas être dénié non plus, sinon ce ne serait plus qu’un musée.
Pour que Notre-Dame ne soit pas réduite à sa dimension uniquement politisée ou culturalisée, il faut reconnaître qu’elle est d’abord un lieu de culte et de célébration de la foi. Autrement, elle perdrait sa raison d’être.
Cela étant, si cette cathédrale n’était qu’un lieu de culte, elle serait accaparée par les pratiquants. Or, c’est aussi un monument d’union nationale et parfois de désunion.
Vous avez donc, dans Notre-Dame, une double grandeur qui symbolise quelque chose de la grandeur française, de ses tensions et de ses défis.
Des images de la cathédrale restaurée ont été diffusées la semaine dernière. Que pensez-vous du résultat ?
En visionnant ces images, j’ai pu constater la blancheur de la cathédrale. Ce qui m’a, en quelque sorte, inquiété même si j’attends de la voir en vrai.
Le blanc est, certes, le symbole de la nouveauté, du flambant neuf et de la pureté. En même temps, j’appréciais la cathédrale avec sa noirceur et l’usure du temps au bon sens du terme.
En étant trop neuve et trop propre, Notre-Dame ne donne plus l’impression qu’elle a 800 ans d’histoire.
Vous avez parfois ressenti quelque chose de « faux » ?
C’est beau, mais en même temps très artificiel. Quoi qu’il en soit, cette blancheur est aussi la marque d’une régénération, d’une renaissance. Il n’y a pas que du négatif dans cette blancheur. Mais il va falloir que Notre-Dame retrouve le sens de son histoire, ce qui l’a fait vieillir au travers des siècles et qui a fait tout son charme.
Selon un sondage Verian pour La Croix, 47 % des Français prévoient de visiter la cathédrale après sa réouverture. Comment expliquez-vous ce lien qui unit la population française à ce monument ?
À mon sens, cela s’explique par le fait que nous sommes à Paris et la France, comme vous le savez, est un pays monocentré, à la différence de l’Allemagne qui est polycentrée.
Comment se fait-il, par exemple, que Chartres, qui a une cathédrale magnifique que nous pourrions même classer en deuxième position après Notre-Dame avec ses vitraux splendides, ne suscite pas le même effet ? Certes, il n’y a pas eu d’incendie. Si cela devait arriver, les choses seraient peut-être différentes.
Mais la cathédrale de Chartres étant par définition à Chartres, et Notre-Dame à Paris, le symbole n’est pas le même.
Notre-Dame symbolise la profondeur de notre histoire au sein même de la ville qui fut la capitale du royaume de France avant d’être celle de la République et de la nation. Par conséquent, elle incarne bien plus cette profondeur de notre histoire que la Tour Eiffel, trop récente ou même l’Arc de Triomphe.
Tout ceci en dit long sur l’ancienneté historique. Il n’y a pas de nation, de peuple digne de ce nom, conscient de lui-même sans une histoire profonde.
L’histoire n’existe pas seulement par les concepts ou une narration, par ailleurs trop stigmatisés aujourd’hui, mais aussi par des murs et une architecture.
En réalité, les concepts ne symbolisent pas, ce n’est pas leur rôle. Ils sont faits pour expliquer. Par exemple, à la basilique de Reims, vous pouvez apercevoir à la fois le symbole de l’Empire et de l’Église, c’est-à-dire le temporel et le spirituel.
Vous dites que Notre-Dame incarne la « profondeur de notre histoire ». Pourriez-vous développer ?
Oui. la première convocation des États généraux par Philippe IV le Bel en 1302, roi en conflit avec l’Église, a lieu, non pas dans une instance purement politique ou laïque, mais dans Notre-Dame.
Ce serait pour nous inconcevable ! Nous l’avons vu avec la polémique autour de la prise de parole du président Macron. Il souhaitait qu’elle ait lieu à l’intérieur et non à l’extérieur de la cathédrale. Mais en pleine chrétienté, le « spirituel » et le « temporel » n’étaient pas confondus sans être dissociés non plus.
À sa façon, la Révolution a poursuivi ce lien surprenant : la cathédrale a été le lieu du culte de l’être suprême cher à Robespierre. Notre-Dame a vraiment été le lieu d’événements considérables.
Bien qu’initialement invité, le Pape François ne se rendra pas à la réouverture de Notre-Dame ? Êtes-vous surpris par la décision du souverain pontife ?
Cette décision rentre tout à fait dans sa personnalité. Je dirais également que Notre-Dame ne correspond pas à sa géopolitique qui est celle de la visite des périphéries du monde. C’est la raison pour laquelle il a préféré se rendre en Corse.
Cependant, sa non-venue à la cérémonie pourrait également résulter d’un froid implicite entre lui et le président Macron depuis la constitutionnalisation de la loi sur l’avortement.
Par ailleurs, François ne voit pas dans cette cérémonie une manifestation populaire, alors qu’elle le sera. Il y voit surtout un enjeu institutionnel : des personnalités importantes seront présentes à l’instar du président américain élu Donald Trump, et je pense que ça ne l’intéresse pas.
Bien sûr, en bon patriote français, il y a de quoi être vexé par la décision du souverain pontife.
En même temps, n’oublions pas que Notre-Dame est, historiquement, un haut lieu du gallicanisme (c’est-à-dire l’Église du royaume de France). Au fond, je me demande si le pape n’a pas voulu, par cette décision, nous renvoyer à notre propre histoire et donc, n’a pas souhaité se mêler à ce qui se passe dans la cathédrale et ainsi, a laissé l’archevêque de Paris présider la cérémonie.
Dans un entretien au Figaro au mois d’octobre, la ministre de la Culture Rachida Dati proposait de faire payer l’entrée de la cathédrale aux touristes 5 euros pour financer « un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux ». Quel regard portez-vous sur cette idée ?
J’avoue ne pas avoir d’idées arrêtées sur le sujet. Dans beaucoup de pays, l’entrée de certains lieux de culte est payante et je ne trouve pas cela scandaleux.
Certains affirment que la sauvegarde du patrimoine religieux doit se faire autrement. Peut-être qu’ils ont raison.
Cela étant, Notre-Dame étant ce qu’elle est, un lieu de mémoire, je pense qu’on ne doit pas faire payer l’entrée d’un lieu de mémoire de ce niveau-là. Nous devons assumer le symbole pour ce qu’il est. Il faudrait , à mon sens, trouver une autre solution.
Naturellement, les évêques ont mis en avant l’argument de la dimension cultuelle du lieu, ce qui est tout à fait défendable. Notre-Dame ne relève pas seulement du patrimonial. C’est un lieu de culte vivant. Le patrimonialiser reviendrait à en faire un lieu de culte mort.
Pour ma part, cette cathédrale doit, quoi qu’il en soit, rester un lieu vivant et un symbole qui poursuive l’histoire de France, de manière à ne pas avoir le regard uniquement tourné vers le passé, mais vers l’avenir. C’est le grand enjeu de ce symbole.
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