La fin de l’été a été particulièrement diluvienne. Tous les regards se sont ainsi tournés vers l’ouragan Harvey, l’un des plus violents depuis une décennie, et dont le passage sur la côte sud-ouest des États-Unis laisse un Texas dévasté et une facture astronomique. Au même moment, l’Asie du Sud, et notamment une partie de l’Inde du Nord, le Népal et le Bangladesh, se noyaient sous une mousson brutale. Celle-ci a, depuis deux mois, englouti les sols, envahi les habitats et déplacé près d’un million de personnes.
Bombay (Mumbai) n’a pas été épargnée. La capitale financière de l’Inde a vu se noyer plusieurs habitants tandis que d’autres trouvaient la mort dans l’effondrement d’un immeuble de trois étages, fragilisé par les pluies incessantes.
Villes surpeuplées
La densité et la croissance de la population sont souvent tenues responsables de ces accidents tragiques dans les grands centres urbains. En effet, les villes indiennes ont connu un développement sans précédent. Ainsi, de 2,86 millions d’habitants en 1950 à 21 millions aujourd’hui, Bombay pourrait atteindre les 28 millions d’ici à 2030.
Construite sur une langue de terre le long de la côte ouest de l’Inde, assise sur une série d’îlots, la ville est toujours au contact de l’eau : vasières, marais, lacs, criques, rivières la traversent.
Le manque de terres disponibles a engendré des prix astronomiques dans de nombreux quartiers de la ville. C’est ainsi sans surprise que cette dernière a préféré sacrifier l’écologie sur l’autel du développement. Les projets immobiliers, industriels et d’infrastructures au service de la ville (rails, routes, aéroport) se sont développés sur les cours d’eau dans de nombreux points stratégiques et les ont étouffés. Et, à chaque mousson, la mégalopole est inondée.
Autrefois, vasières, zones humides, plaines inondables, mangroves et végétation boisée ralentissaient considérablement l’avancée de l’eau.
La complexité du système de racines de la mangrove et l’architecture des branches d’arbres agissaient telle une barrière naturelle qui pouvait repousser les flux. Mais, aujourd’hui, ce bouclier vert a été recouvert par le bâti.
Les poubelles se déversent aussi partout, étranglant les conduites d’eau. Et les canalisations, également endommagées par les constructions, ne peuvent plus acheminer l’eau jusqu’à la mer. Celle-ci est alors forcée d’emprunter un autre chemin, celui des terrains de faible altitude, qui ne peuvent empêcher l’eau de se déverser ensuite dans la ville et de l’inonder.
Les vasières et les zones humides font intégralement partie de la ville, qu’elles connectent depuis la fin du XIXᵉ siècle.
En recevant l’eau de pluie, qu’elles conservaient et absorbaient, elles permettaient aussi aux puits et aux nappes phréatiques de se remplir.
Aujourd’hui, la surface terrestre de la ville, complètement bétonnée et construite, ne peut plus accueillir cette eau. Dans les périodes de pluies intenses, les désastres sont considérables. Plus de 5 000 personnes auraient péri dans les terribles inondations de 2005, dont les retombées économiques avaient été estimées à près de 700 millions de dollars.
Crucial besoin d’introspection
Suite aux inondations de 2005, un comité, créé par le gouvernement afin d’enquêter sur les raisons d’un tel cataclysme, avait conclu qu’il était urgent de restaurer les zones humides et les conduites d’eau de la ville.
En 2007, la municipalité a dessiné et promu son Plan d’action pour le Grand Bombay, centré notamment sur la restauration de la rivière Mithi, transformée en à peine plus qu’un égout à ciel ouvert depuis quelques années.
Au même moment, l’expert Madhav Chitale, qui présidait ce programme, a rappelé à quel point peu de progrès étaient réalisés dans l’application des directives. L’une des raisons évoquées fut notamment le manque de données topographiques, essentielles avant d’envisager la construction de trottoirs et autres structures permettant l’écoulement de l’eau, et donc la limitation des inondations.
Ces dernières années, les spécialistes du climat, les urbanistes et les membres de la société civile n’ont cessé d’alerter le gouvernement et le public au sujet du risque d’inondations qu’encourait Bombay face à des pluies puissantes.
Le désastre prédit était inévitable : les pluies drues, en partie dues au changement climatique, et le manque d’anticipation et de préparation de la ville ont créé une situation catastrophique.
Les urbanistes de Bombay savent que le changement climatique peut avoir un impact important, en modifiant et en augmentant considérablement les précipitations, et, aussi, à quel point les zones humides, les rivières et les plaines inondables sont vitales dans le contrôle de ces flux.
Hélas, l’avidité et l’appât du gain que représentent les projets de développement immobiliers ont complètement ignoré ces facteurs. L’argent ne peut remplacer la nature dans les villes.
Une lecture attentive de l’histoire urbaine indienne montre que les métropoles ont grandi avec la nature, et que celle-ci a pendant longtemps apporté un équilibre et un soutien au développement urbain.
Lorsque ce système s’érode – comme on le voit désormais, y compris à Delhi, Bangalore ou Chennai – c’est la survie même de la ville qui est en jeu.
L’histoire de Bombay offre aujourd’hui matière à réfléchir sur les maux qui minent les villes, y compris dans le reste du monde, comme à Miami ou à Houston. Dans l’hypothèse d’un futur toujours plus humide, la ville a d’autant plus besoin de l’écologie pour vivre et grandir.
Harini Nagendra, Professor of Sustainability, Azim Premji University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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