D’un geste sûr, Stanislaw Migdal, flotteur des monts Piénines, enfonce sa longue perche dans l’eau pour pousser son radeau, où tiennent 12 touristes, à travers les époustouflantes gorges de Dunajec dans le sud de la Pologne, une tradition vieille de près de deux siècles. Gilet bleu brodé de fleurs multicolores, chapeau noir de montagnard sur la tête, il est fier d’appartenir à l’élite de 500 hommes qui, de père en fils, exercent ce métier. « Pour devenir flotteur ici, il faut être un montagnard des Piénines: il faut être né dans un des cinq villages au bord du Dunajec, y vivre, faire partie d’une famille de flotteurs. Depuis quelque temps, on tolère d’autres candidats venus d’ailleurs mais uniquement à condition qu’ils s’installent et vivent ici », déclare-t-il à l’AFP.
« Et puis, il faut être célibataire de père en fils… », lance-t-il en rigolant. Les gorges du Dunajec, qui forment une frontière naturelle entre la Pologne et la Slovaquie, offrent des paysages à couper le souffle. Pendant des millions d’années, la rivière a creusé son lit à travers les montagnes calcaires recouvertes d’arbres, créant un canyon surprenant. Les parois verticales y tombent tout droit dans l’eau. Certaines atteignent jusqu’à 300 mètres de hauteur. Et vus d’en haut, les radeaux ont la taille d’une fourmi.
L’an dernier, entre avril et octobre, plus de 230.000 touristes du monde entier ont ainsi fait du rafting à l’ancienne dans les gorges du Dunajec. Avant de transporter les touristes, les flotteurs des Piénines ont poussé pendant des siècles des trains de bois en les descendant sur le Dunajec puis la Vistule jusqu’au port de Gdansk sur la Baltique. La légende dit que pour chaque voyage, le flotteur ajoutait un coquillage au ruban qui entourait son chapeau.
Au début du 19e siècle, les flotteurs du Dunajec ont commencé à transporter des touristes pour arrondir leurs fins de mois. D’abord sur des embarcations creusées dans un seul tronc d’arbre puis, quand les arbres suffisamment grands se sont faits rares, sur des radeaux en planches. En 1932, une association de flotteurs est née. A l’origine, c’était un métier dur, car une fois la descente finie, il fallait remonter le radeau à contre-courant en le tirant à force de bras. Aujourd’hui, après la descente, les embarcations sont ramenées en amont par camion.
La descente dure entre deux et trois heures, selon le niveau d’eau. Par endroits, le courant accélère et le radeau, à la joie des passagers, vogue sur des eaux blanches, traversant des tourbillons. « C’est incroyable. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il n’y a pas de paysage comme ça en Irlande, pas à cette échelle », s’extasie Kevin, touriste irlandais de 30 ans.
Pour des raisons de sécurité, les conditions de recrutement des flotteurs sont strictes. « Pour postuler, il faut être un homme, âgé de 18 à 30 ans. Le règlement exclut les femmes. Les trois premières années, on doit se former auprès d’un maître avant de passer les examens, théorique et pratique. Seuls les maîtres peuvent naviguer lorsque le niveau du Dunajec est élevé car sa profondeur varie de quelques centimètres à 18 mètres, ce qui présente de nombreux dangers », explique Stanislaw Migdal, depuis 35 ans dans le métier.
Marek Kolodziej pousse son radeau depuis l’âge de 18 ans. « Mon père l’a fait avant moi, mon grand-père, mon frère le fait avec moi et maintenant c’est aussi mon fils qui le fait », déclare-t-il à l’AFP. « Depuis tout petit, on a rêvé d’être un flotteur, c’était naturel, personne ne pensait qu’on pouvait faire autre chose. » Comme autrefois, la navigation sur le Dunajec n’est pas exempte de dangers, surtout pour les jeunes flotteurs sans expérience.
« Je suis tombé plusieurs fois à l’eau lorsque j’ai commencé. J’étais timonier et ma perche s’était coincée entre des pierres au fond de l’eau. J’étais jeune, inexpérimenté et je ne voulais pas la lâcher », explique Czeslaw Kowalczyk, 56 ans, qui fait voguer son radeau depuis 41 saisons. Mais l’amour des flotteurs pour leur métier et leur région reste intact. « L’idée de quitter le métier ne m’est même pas passée par la tête », affirme Marek Kolodziej.
DC avec AFP
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