Tandis que l’économie de la zone euro se montre résiliente, l’Allemagne, première puissance économique européenne, est entrée en récession au premier trimestre 2023. Ce recul de l’économie allemande à contre-courant du reste de l’Europe interroge sur ses vulnérabilités.
Après une baisse de 0,5% entre octobre et décembre, le Produit intérieur brut (PIB) outre-Rhin a de nouveau chuté de 0,3% entre janvier et mars, en données corrigées des variations de saison et de calendrier, a indiqué jeudi 25 mai l’Institut national des statistiques (Destatis). Le recul du PIB sur au moins deux trimestres consécutifs signait l’entrée de l’économie allemande en récession. La dernière enregistrée remonte à 2020, au milieu de la crise sanitaire provoquée par le coronavirus.
Après plusieurs mois de hausse, la production du secteur manufacturier, centrale pour le modèle économique allemand, a baissé de 3,4% sur un mois. La production de véhicules automobiles a notamment diminué de 6,5% et la construction de 4,6%. Les commandes industrielles ont également rechuté lourdement en mars de 10,7% sur un mois, du jamais vu depuis le creux de la pandémie. Et les exportations, essentielles pour ce secteur, ont fortement reculé à 5,2%.
Pour autant, toutes les conditions nécessaires pour relancer la première puissance économique européenne semblent au rendez-vous : en premier lieu, les 65 milliards euros d’aides publiques massives pour lutter contre l’inflation actés depuis septembre dernier, ensuite un début de baisse des prix du gaz depuis l’automne. S’ajoutent à cela la réouverture de la Chine ainsi qu’une atténuation des difficultés d’approvisionnement sur les marchés internationaux.
Malgré ces mesures favorables, la quatrième économie mondiale chute, tandis qu’en Europe, même les pays les moins économiquement avancés ont retrouvé le chemin de la croissance ces deux derniers semestres. Ces contrastes frappant interrogent sur la nature de la récession économique allemande : structurelle ou simplement conjoncturelle ?
Un modèle économique « performant mais vulnérable »
Henrik Uterwedde, professeur à l’Institut franco-allemand, n’a pas attendu les dernières retombées trimestrielles concernant la contre-performance de l’économie allemande pour passer « en revue les principaux événements qui ont contribué à questionner la résilience du modèle allemand ». Dans son article publié début 2023, l’économiste a entrepris une réflexion sur chacun de ces événements, à savoir, les problèmes des relations économiques avec la Chine, la crise du climat, la crise de Covid, et enfin la guerre en Ukraine. Il en a déduit que le modèle économique allemand est « performant mais vulnérable ».
Plusieurs vulnérabilités de l’économie outre-Rhin sont mises en lumière dans l’étude de Henrik Uterwedde. Parmi celles-ci, la « déstabilisation économique liée aux menaces de pénurie énergétique » et la « perte de compétitivité suite à la flambée des prix énergétiques » sont de nature conjoncturelle, mais « les failles de la globalisation et leurs effets sur le système productif [allemand] fortement imbriqué dans l’économie mondiale » peuvent avoir un caractère structurel.
Une forte insertion dans la mondialisation
Ce qui caractérise en premier lieu le modèle économique allemand est le poids particulièrement important de l’industrie dans l’économie, notamment dans la création de la valeur ajoutée. Le marché national allemand étant trop étroit pour un secteur productif large et fortement spécialisé, les échanges commerciaux extérieurs ont pris un rôle de plus en plus dominant dans le processus de génération de la croissance et de l’emploi.
Sous la pression grandissante de la concurrence mondiale, les producteurs allemands ont largement procédé à une réorganisation de leur production et de leurs chaînes de valeur, en délocalisant de nombreuses phases de production vers des pays produisant à moindre coût. Toutes ces évolutions « ont renforcé l’insertion de l’industrie allemande dans la mondialisation, tant en amont (livraisons de pièces et de composants) qu’en aval (débouchés) de la chaîne de valeur », pointe Henrik Uterwedde. Et d’ajouter : « On peut dire que bon nombre d’interrogations et de critiques pointant les vulnérabilités de l’économie allemande, ses retards dans l’adaptation aux défis présents et futurs, voire son manque de résilience — ce terme n’étant pas encore en vogue à l’époque — sont apparues pendant le mandat d’Angela Merkel. (…) Il a fallu d’autres événements pour provoquer une montée en puissance de ces critiques. »
La pandémie provoquée par le coronavirus est en effet un événement exceptionnel. Pour l’économiste allemand, la crise de Covid-19 a ravivé le débat sur la dépendance de l’économie allemande des livraisons chinoises, notamment celles des matières primaires essentielles pour la production outre-Rhin. Selon une enquête de février 2020, « 46 % des entreprises industrielles ont indiqué qu’elles dépendaient de livraison de biens intermédiaires provenant de Chine ».
« La dépendance de l’économie allemande fortement exportatrice d’un régime économique mondial garantissant le libre-échange sans perturbations s’est avérée comme une vulnérabilité, voire une faiblesse, à plusieurs reprises », avance Henrik Uterwedde avant d’en donner une justification : « L’Allemagne a particulièrement souffert de la chute brutale des commandes lors de la crise économique mondiale de 2008-09. D’autres événements, comme la guerre commerciale déclenchée par le Président Trump, la stratégie expansive de la Chine, le Brexit ou encore des campagnes politiques répétées contre de nouveaux accords commerciaux multilatéraux, ont rappelé à quel point le commerce mondial peut être sujet de perturbations et de déstabilisations, risquant de fragiliser particulièrement l’économie allemande ».
Le problème de la souveraineté énergétique
Avant la guerre en Ukraine, l’Allemagne était très dépendante des importations russes en matière d’énergie. Cette dernière « repose majoritairement sur des centrales au gaz et au charbon depuis la décision brutale du gouvernement Merkel d’arrêter les centrales nucléaires après l’accident nucléaire provoqué par le tsunami à Fukushima au Japon en 2011 », soulignent Noémie Rebière et Léa Gobin, chercheuses en géopolitique.
En réaction à l’intervention militaire russe en Ukraine, des sanctions économiques lourdes ont été prises par les Occidentaux contre la Russie. Dans sa recherche de sources alternatives aux approvisionnements en provenance de Russie, l’Europe se tourne vers d’autres pays producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment les États-Unis et le Qatar. Le Président américain Joe Biden et la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont signé un accord pour livrer 15 milliards de mètres cubes de GNL à l’Union européenne. Par conséquent, la part des importations européennes de GNL a grimpé de 28% à 45% entre 2021 et 2022.
Une autre conséquence de cette dépendance au GNL américain – substitut des importations russes – est que le prix de l’énergie est beaucoup plus élevé en Europe qu’aux États-Unis. De quoi provoquer l’indignation chez le ministre allemand de l’Économie Robert Habeck : « Certains pays, mêmes amis, obtiennent parfois des prix astronomiques (…) Les États-Unis se sont tournés vers nous lorsque les prix du pétrole ont explosé (…) Je pense qu’une telle solidarité serait également utile pour amortir les prix du gaz. »
Le coût fortement compétitif de l’énergie de l’Oncle Sam et la possibilité d’obtenir des milliards d’euros de subventions américaines – dans le cadre du plan de relance lucratif baptisé « Inflation Reaction Act » sous l’administration de Joe Biden, séduisent les géants industriels allemands, à l’instar de Volkswagen et BMW. Ces derniers font en effet partie de la liste – publiée février dernier par la Maison-Blanche – des entreprises ayant récemment investi de manière massive dans le secteur de l’énergie « verte » aux États-Unis, signe alarmant d’une désindustrialisation potentielle. Or, le secteur industriel allemand est le moteur qui fait tourner l’économie outre-Rhin.
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