Loïk Le Floch-Prigent est un industriel originaire des Côtes d’Armor en Bretagne. Il a été président de grandes entreprises telles que GDF et Elf Aquitaine. Il est aujourd’hui président de plusieurs PMIs, une industrie « classique » près du terrain, mécanique et métallurgique. Il est le président de la branche industrie du Mouvement patronal Ethic « le mouvement qui n’a peur de rien ». Il écrit régulièrement, en particulier sur le site Atlantico.fr, il est aussi l’auteur de livres prémonitoires, tels que « Il ne faut pas se tromper », ou encore « Capitaines d’industrie » qui retrace l’histoire de l’industrie française de l’après-guerre à nos jours. Sur son blog loikleflochprigent.fr, il traite chaque semaine l’actualité industrielle et énergétique en donnant de l’espoir aux générations récentes et à venir, témoignant de l’épanouissement dans le travail et de la beauté des outils industriels français comme des produits qui en résultent.
Epoch Times: Bonjour Loïk Le Floch-Prigent, dans le contexte d’augmentation des prix de l’énergie et de l’état du parc nucléaire français, doit-on s’attendre à un crash énergétique en 2023 ? Quel est l’état de l’industrie de l’énergie française en ce début de 2023 ?
Loïk Le Floch-Prigent : Dans notre pays, depuis plusieurs dizaines d’années, nous voulons à la fois faire disparaître notre dépendance aux énergies fossiles et affaiblir la production d’énergie électrique d’origine nucléaire et hydraulique au regard d’autres critères. Le résultat est aujourd’hui devant nos yeux, d’une situation que nous avions créée d’une énergie abondante, bon marché et souveraine, nous sommes passés aux risques de pénurie et à l’explosion des prix à payer par tous les consommateurs. Mais ce sont surtout les industriels et artisans « énergétivores » qui voient leurs factures d’énergie s’envoler, multipliées par 3, 4, 5 et jusqu’à dix fois le prix antérieur.
La production d’énergie en France est essentiellement d’origine électrique, nous sommes importateurs de pétrole, de gaz, nous disposons de raffineries, de stockages de gaz et de terminaux gaziers de regazéification de Gaz Naturel Liquéfié, et de stockages de produits pétroliers. Nous avons fermé beaucoup de raffineries ces dernières années, et nos produits pétroliers viennent en partie de raffineries étrangères. En ce qui concerne l’électricité, notre indépendance est allée jusqu’à 85% de notre consommation grâce au nucléaire et à l’hydraulique, le reste provenant, pour les pics de consommation, du charbon, du gaz et du fioul. Ceci nous permettait aussi d’être exportateur d’électricité vers les voisins européens.
Nous avons décidé en 2012 de réduire notre potentiel nucléaire pour passer de 75% à 50%, d’abord en 2030, puis repoussé à 2035. À la même période nous avons décidé de fermer les centrales charbon et fioul et mené une politique de sobriété électrique tandis que nous avons voulu éradiquer les véhicules thermiques au profit de véhicules électriques et les chauffages au fioul et au gaz par des pompes à chaleur… électriques. À l’occasion des sanctions contre la Russie décidées par les chefs d’États européens, les populations ont enfin compris que les énergies éoliennes et solaires étaient intermittentes et que pour obtenir un service continu d’électricité, elles dépendaient de l’existence de « doublures » pour 75% du temps, de gaz ou de charbon ! Les énergies alternatives étaient donc des énergies fossiles cachées.
Mais pendant ces dernières dix années, que de dégâts ! Fermeture de Fessenheim et d’Astrid, un pilote dans la recherche des réacteurs à neutrons rapides, une nouvelle génération de centrales utilisant les déchets. La maintenance des réacteurs a été sommaire, les recrutements abandonnés… La filière nucléaire est encore vaillante mais entamée par les coups de boutoir des décideurs politiques et administratifs. Heureusement des programmes à l’étranger ont permis de maintenir une grande partie de la compétence, mais il va falloir rebâtir une confiance en l’avenir et surtout changer les normes et règlements du nucléaire pour, soit adopter les règles internationales de toute notre concurrence, soit faire adopter nos standards. Mais on ne peut pas continuer à construire en cinq ans une centrale en Chine et dire qu’il nous faut quinze ans en France, pour la même unité !
Pour 2023 il faut que notre parc de centrales électriques fonctionne à plein, il faut rouvrir tout ce qui peut l’être, charbon, gaz, fioul, nucléaire, et pour cela il faut impérativement changer la loi actuelle et se soumettre aux règlements internationaux, ni plus ni moins !
Mais si nous pouvons résoudre facilement le problème de pénurie et celui de nos coûts nationaux, le marché artificiel de l’électricité créé au niveau européen est un handicap dont nos voisins espagnols et portugais sont sortis, nous n’avons pas eu cette anticipation et nous achetons désormais une énergie électrique à des prix impossibles alors que nous la produisons à bas coûts ! Pour éviter le crash énergétique qui va décimer industriels et artisans nous devons donc immédiatement sortir de ce marché qui ne nourrit que des parasites à notre détriment.
Les factures énergétiques des boulangers explosent, l’État est-il à la hauteur de la problématique ? Le principe d’aides est-il une réponse appropriée ?
Tous les artisans et industriels énergétivores ont vu leurs factures s’envoler, les autres aussi, mais l’impact est plus faible que pour ceux qui doivent chauffer ou refroidir. Plutôt que de traiter le problème du prix artificiel issu du faux marché de l’électricité, le gouvernement essaie de créer des boucliers avec des aides, des subventions, des chèques, en visant une profession en souffrance immédiate et symbolique, les boulangers. Mais il en est de même pour les bouchers, pour les filières « froid », pour les fondeurs, etc.
Les industriels et les artisans ne sont pas des mendiants qui doivent frapper à la porte pour être « aidés » mais ils paient des impôts, ils ont donc participé aux programmes d’infrastructures nationales de centrales électriques, le coût de l’énergie y est bas, ils doivent donc en bénéficier. Les coûts ont augmenté sur le gaz, mais pour 85% de l’énergie électrique, nucléaire et hydraulique, ce sont les mêmes qu’hier, c’est le marché de l’électricité qui a créé des prix qui n’ont plus rien à voir avec les coûts !
Vous avez dit récemment que « le fait de produire de l’énergie d’origine nucléaire à 40 euros, de la vendre à 42 euros, et ensuite de la racheter le 21 juillet à 397 euros devrait faire s’interroger tous les Français. » Pourquoi les Français doivent payer une énergie si chère par rapport à son prix réel de production ?
L’électricité est un produit particulier, dès qu’un électron est produit, il doit être consommé, il y a donc une instance qui fait correspondre à tout moment la production et la consommation et qui « appelle » un centre de production flexible comme une centrale hydraulique ou au gaz. On a créé un marché avec un marché de gros et un marché à terme. EDF doit donc vendre sur X mois une électricité qui va être produite, qui n’est pas stockable.
La Commission Européenne a exigé qu’elle vende ainsi 25% de sa production d’origine nucléaire à un prix « coûtant » de 42 euros le Mwh pour que les parasites appelés « fournisseurs » puissent la revendre aux « clients ». Mais si certaines centrales sont en maintenance, ce qui a été le cas en juillet, pour satisfaire le fournisseur, EDF a dû racheter son énergie du jour à 397 euros le Mwh. Je dénonce donc l’absurdité d’un système qui s’éloigne de la réalité physique, et que j’appelle artificiel.
On sait que les « fournisseurs » sont uniquement des spéculateurs, ils ne produisent pas, ne transportent pas, ne distribuent pas. Les « régulateurs » de ce système foireux non plus d’ailleurs. C’est aux pouvoirs publics de donner à la population les renseignements, mais les perdants sont à la fois EDF et les consommateurs français, et le mécanisme coupable c’est le marché de l’électricité et l’ARENH. L’électricité est cédée à un prix d’ami aux fournisseurs.
Quels sont les choix politiques et stratégiques qui ont été faits pour arriver à cette perte de souveraineté énergétique française ?
Nous avons systématiquement combattu nos atouts dans le domaine énergétique. Nous avions un secteur public efficace et conquérant, nous avons laissé les idéologues le casser, le brader tandis que nous étaient imposés des choix techniques contraires à nos intérêts nationaux.
Le cas le plus scandaleux est la mise à mort par petites touches d’une des plus belles entreprises françaises, EDF, et de ses secteurs nucléaires et hydrauliques qui en faisaient une entreprise phare au niveau mondial. Les règles de la Commission Européenne – soutenues, hélas par beaucoup des élites nationales, ont permis l’éclatement d’EDF en trois entreprises, ont conduit à l’arrêt des investissements nucléaires et au soutien de filières solaires et éoliennes inutiles dans le cas français, chères et aux équipements achetés à l’étranger. Nous avons ainsi perdu une partie de nos compétences historiques et les énergies renouvelables ont augmenté les prix de l’électricité, conduisant à une perte de compétitivité préjudiciable à nos entreprises.
Nous nous sommes trompés et on nous a obligés à nous tromper pour satisfaire une idéologie de la concurrence d’abord et ensuite celle de l’écologie politique antinucléaire. Après l’erreur d’avoir voulu un programme européen de réacteur (EPR) au lieu de poursuivre le programme de nos 58 unités, nous avons accepté d’arrêter le programme SuperPhénix (1997) qui nous permettait le leadership de la quatrième génération nucléaire, les neutrons rapides.
La vente d’Alstom Energie avec ses turbines nucléaires et hydrauliques les meilleures du monde a été une autre épreuve démontrant l’aveuglement des politiques français dans ce domaine de l’énergie. Nous avons perdu notre souveraineté parce que les choix ont été désastreux.
Est-il possible de retrouver cette souveraineté et des prix de l’énergie abordables ?
Désormais revenir à une énergie abondante, bon marché et souveraine ne va pas être facile mais il faut la volonté d’y arriver avec la participation de toutes les générations pour reprendre notre marche en avant dans les domaines clés du nucléaire et de l’hydraulique. C’est possible, il va falloir faire tomber les obstacles dont celui des règlementations anti-nucléaires, anti-industrielles que nous avons érigé en dogmes. Nous avons encore le personnel nécessaire pour réussir cette transformation.
Le Parlement européen a voté en septembre en faveur d’une part d’électricité issue des renouvelables (éoliennes, panneaux solaires) de 45 % à atteindre d’ici 2030. Est-ce réalisable ?
En France nous n’avons pas besoin d’usines éoliennes ou solaires, elles déséquilibrent les réseaux existants, notre production. Il faut abandonner leur priorité. Par contre nous devons continuer à imaginer les circuits courts qui conduisent à accepter des installations limitées pour alléger les raccordements . Les « smart grids » ou réseaux intelligents vont permettre une optimisation de ces circuits courts branchés sur les grands réseaux sans les mettre en danger. Il faut donc revoir notre politique à cet égard. D’autres pays, sans nucléaire, peuvent les justifier techniquement et économiquement, pas nous.
Les énergies intermittentes ne peuvent être que marginales et la Commission européenne parle d’ailleurs de puissance installée, c’est-à-dire en énergie produite de 25% de 45% , c’est-à-dire de 11% de la production ! Il faut donc y associer 34% de centrales à gaz ou à charbon, tout cela est stupide. Nous n’avons pas à payer d’amendes, nous avons à mener la politique pour notre pays, et ce n’est pas la politique des usines éoliennes surtout en mer !
Notre dépendance vis-à-vis de la Chine sur les terres rares utilisées dans ces énergies va-t-elle également affecter notre souveraineté nationale?
Il est clair que nous n’avons aucune usine et aucun des matériaux nécessaires à la fabrication des panneaux solaires et des éoliennes, donc c’est une nouvelle dépendance vers laquelle on nous demande de marcher et c’est inacceptable.
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