ENTRETIEN – Éric Henry, délégué national du syndicat majoritaire Alliance Police nationale revient pour Epoch Times sur la montée de l’insécurité en France. Pour lui, un choc d’autorité est plus que nécessaire. Le syndicaliste revient également sur le phénomène très inquiétant de la forte augmentation du nombre de suicides dans la police ainsi que la réforme de la police judiciaire.
Epoch Times : Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on a vu une jeune fille se faire très violemment agresser par quatre autres jeunes femmes à Lyon. Mercredi 13 décembre, dans un collège à Rennes, une élève de 12 ans a menacé sa professeure d’anglais avec un couteau. Thomas a été tué à Crépol le 19 novembre. Ces faits sont-ils révélateurs d’une forte augmentation de la violence et de l’insécurité dans la société ? Pour vous, s’agit-il plutôt d’un sentiment d’insécurité comme le disent certains ou d’un ensauvagement de la société comme peuvent l’affirmer d’autres ?
Éric Henry : Comme nous le disons depuis longtemps au syndicat Alliance, il y a vraiment de l’insécurité et non simplement un sentiment. Une insécurité matérialisée par des données objectives, notamment en matière de hausse de la délinquance. Nous sommes à + 15 % sur ce qu’on appelle les violences volontaires, + 14 % en ce qui concerne les usages de stupéfiants, +10 % sur les violences sexuelles, cambriolages et homicides. Il y a même une augmentation de 30 % sur les vols de véhicules. Concrètement, la délinquance augmente depuis 2017. C’est pour cela que dernièrement, nous avons rédigé une lettre ouverte dans laquelle nous appelons à la mise en œuvre d’un choc d’autorité. Pour nous, c’est une nécessité au redressement national. Avec ce choc d’autorité, il s’agit également d’exiger une réponse pénale plus ferme et un véritable plan Marshall pour la police et la justice.
Certains analysent la situation et parlent d’un ensauvagement de la société. À Alliance, nous parlons plutôt de brutalisation mais, c’est un synonyme. Nous sommes désormais au-delà de l’ensauvagement. On est sur une pente extrêmement glissante et dramatique pour l’évolution de la société. Pour nous, c’est quand même quelque chose d’inquiétant.
Vous avez évoqué toute une série de drames récents. Je pense qu’il faut les analyser sous plusieurs formes. D’abord parce qu’il peut y avoir une dimension géopolitique, mais également le phénomène de la déresponsabilisation parentale qui fait que certains jeunes sont livrés à eux-mêmes et ne supportent plus la frustration. Nous pourrions aussi parler du laxisme judiciaire qui engendre une sorte de culture de l’excuse permanente, notamment pour les mineurs.
En tant que policier, constatez-vous un rajeunissement des profils des auteurs de faits de violences ?
Il est vrai que la mise en cause des mineurs dans les faits de délinquance et de violence de long terme a augmenté. On est en moyenne à 190.000 mineurs mis en cause par an et il y a une augmentation de quasiment 100 % par rapport aux années 1990. Parmi eux, vous avez 10 % de mineurs non accompagnés. Ils sont de véritables bombes à retardement. Nous ne savons pas quoi en faire. Pour s’en sortir, ils commettent des actes de délinquance et très souvent, ils sont pris en main par les réseaux des trafiquants qui les utilisent à des fins criminelles. Le problème étant que malgré la création en septembre 2021 d’un code de justice des mineurs, la justice française reste très influencée par l’ordonnance de 1945 qui donne la primauté aux mesures éducatives, de protection et d’assistance. Il y a donc là un sujet. Nous considérons qu’un jeune de 17 ans a le discernement d’esprit pour savoir ce qu’il fait lorsqu’il commet un crime ou un délit. Pour revenir aux 190.000 mineurs impliqués par an, vous devez savoir que 144.000 affaires sont traitées et seulement 48.100 mineurs sont poursuivis, soit 25 % d’entre eux. Ensuite, 17 % sont condamnés par un juge pour enfants. Il y a donc un gros problème judiciaire. À Alliance, nous ne sommes pas pour le tout carcéral mais nous souhaitons que des mesures fermes, même alternatives en fonction de l’âge du mineur soient mises en œuvre comme les centres éducatifs renforcés avec un cahier des charges draconien incluant des formations sur le civisme, les principes républicains, la citoyenneté puis également la formation professionnelle en la confiant au secteur privé par exemple. L’institution doit aussi apporter une réponse à la carence parentale.
Un phénomène touche très durement l’institution policière. La forte hausse du nombre de suicides des fonctionnaires de police. Selon Mutualité Fonction Publique (MFP), plus de 1100 policiers se sont suicidés ces 25 dernières années, soit 44 suicides par an en moyenne, c’est-à-dire un taux de suicide supérieur de près de 50 % à celui de la population française. Comment expliquez-vous ce phénomène très inquiétant ? Quelles solutions devraient être mises en œuvre urgemment pour endiguer ce phénomène ?
C’est multifactoriel et extrêmement vaste. C’est aussi un petit peu une chape de plomb. Malgré les plans mobilisations suicides, la mise en place du soutien psychologique opérationnel qui est encore sous dimensionné, la création d’associations, et le travail des syndicats, c’est extrêmement difficile. Ce phénomène s’explique déjà par la dureté et la violence du métier au quotidien. On voit dans le cadre de nos missions classiques, la noirceur de la société. Nos missions sont aussi de plus en plus dangereuses, et ce, avec des rappels sans repos ainsi que des refus de congés et une cellule familiale qui explose. Un collègue sur deux divorce. Parfois, le management n’est aussi pas adapté. Il est trop autoritaire. Et certains privilégient leur carrière au détriment d’une bonne gestion des ressources humaines. Nous prônons en fonction des compétences et du niveau de responsabilisation des collègues un management participatif. Cela doit être la règle. Évidemment, hormis en urgences où nous sommes obligés d’opter pour un management plus vertical.
Je pense également que l’image qu’une certaine classe médiatique, politique et des associations donnent de la police participe à ce mal-être des policiers. Ceux qui parlent en permanence de violences policières, qui crient au racisme systémique, jettent l’opprobre sur notre institution et injectent un venin qui petit à petit, dans un moment de faiblesse, conduit à quelque chose de dramatique.
En ce qui concerne les solutions, il faudrait une répartition juste et dimensionnée des effectifs et un nombre suffisant d’agents dans chaque unité. Cela demande un gros travail de recrutement en solde net (en déduisant les départs en retraite et les démissions) qu’on a du mal à faire, parce que justement, l’image de la police en ce moment est dégradée. La réponse pénale doit elle aussi être forte et l’État doit protéger ses fonctionnaires qui risquent leur vie chaque jour. Il faut redonner un sens à notre métier, de notre part, l’administration doit faciliter la recherche de l’équilibre familial qui est trop souvent remis en cause. Enfin, l’administration doit remettre au centre du dispositif des moments de cohésion et institutionnaliser la pratique du sport.
Dans une tribune publiée dans le Monde, le président de l’Association nationale de police judiciaire, Yann Bauzin, qualifie la réforme de la PJ de « désastre, sur la forme comme sur le fond ». Il critique une nouvelle organisation de la PJ « imposée dans un flou et un amateurisme consternants ». Qu’en pensez-vous ?
Cette réforme de la Police judiciaire est globale. Elle concerne toute la Police nationale. Elle est décriée par les uns, voulue par d’autres. Notre position a été de réorienter le projet initial. Ce qui nous importe, c’est la protection des collègues en termes administratifs sur leur lieu d’affectation. Leur donner également les moyens de travailler, mais aussi en ce qui concerne la police judiciaire, que la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée soit toujours la priorité et qu’une doctrine d’emploi claire et nette, fige et sanctuarise cela pour que la PJ ne soit pas détournée de son cœur de métier. C’est pour cela que nous serons vigilants et que nous avons des délégués partout qui sont déjà sensibilisés pour faire remonter d’éventuels manquements à la doctrine d’emploi ou d’éventuelles velléités de vouloir un peu détourner cette doctrine et donc la philosophie de la police judiciaire.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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