« Il était introverti, toujours plongé dans les livres et les journaux. Il aimait l’histoire et s’intéressait aussi à la philosophie ». Un demi-siècle est passé, mais la septuagénaire Ivana Zizkova ressent toujours de l’émotion en parlant de son ancien camarade de classe, Jan Palach.
« Il était beau. Très attaché à sa mère. Et ce qui n’était pas du tout habituel à l’époque communiste, il n’hésitait pas à se disputer avec les profs quand il n’était pas d’accord avec eux », se souvient-elle de celui qui était appelé par les diminutifs « Jenda » ou « Honza », et qui a passé comme elle son baccalauréat en 1966 à Melnik au nord de Prague.
Trois ans plus tard, le 16 janvier 1969, Jan Palach, alors étudiant en philosophie à l’Université Charles, s’immole par le feu sur la Place Venceslas, principale place pragoise. Par son geste, il veut dénoncer l’occupation soviétique qui avait écrasé dans le sang en été 1968 le mouvement réformateur « Printemps de Prague », et appeler ses concitoyens à ne pas se résigner face au nouveau régime, dur et inconditionnellement soumis au Kremlin.
Grièvement brûlé sur 85% de son corps, il succombe dans d’atroces souffrances le 19 janvier. Le jour de ses obsèques, 100.000 personnes défilent en silence à Prague. « J’étais en route entre Prague et Melnik et j’ai vu dans un journal une petite info: l’étudiant J.P. s’est immolé par le feu sur la Place Venceslas. Et puis j’ai compris que c’était Honza. J’étais sous le choc, bien sûr », raconte Mme Zizkova.
« Il avait en lui quelque chose de propre aux hommes de génie. Il voyait plus loin que nous autres. Il s’efforçait de mobiliser la nation. Je l’admire, et jusqu’à ce jour j’ai le frisson. Si jeune, il a sacrifié sa vie », confie-t-elle. Jan Palach était originaire d’une famille modeste de Vsetaty, un village à 30 km de Prague. Son père, décédé en 1962, était un patron pâtissier dont les communistes ont confisqué le commerce, sa mère, vendeuse dans un kiosque à la gare.
« En 1967 et 1968, Jan a participé à des brigades de travail des jeunesses en URSS. Il a vécu un choc face à la réalité soviétique, si différente par rapport à la propagande », raconte Jana Beranova, jeune présidente de la Société Jan Palach, basée à Vsetaty. « Il refusait de se résigner face à la léthargie où la société tombait petit à petit après l’occupation. Il a appelé, en vain, à une grève générale. Et puis il a pris sa décision ».
Le 16 janvier 1969 à l’aube, Jan Palach prend à Vsetaty le train pour Prague. Dans sa chambre au foyer étudiant, il achève son manifeste revendiquant la levée de la censure et l’interdiction du journal de propagande « Zpravy » (« Nouvelles »), diffusé par les troupes d’occupation et abondant en ce qu’on appelle aujourd’hui « fake news ».
A la mi-journée, il achète deux seaux en plastique et demande à un garagiste dans une rue adjacente à la Place Venceslas de lui vendre quatre litres d’essence. Vers 14 heures 30, Jan Palach monte vers le parvis du Musée national, dominant la Place Venceslas, bouillonnante à cette heure-là. Il s’asperge de l’essence et frotte une allumette…
« Il y a des moments dans l’Histoire où il faut faire quelque chose », parvient-il encore à murmurer sur son lit d’hôpital. Plusieurs Tchèques, inspirés par son sacrifice, s’immolent aussi, notamment l’étudiant Jan Zajic le 25 février et le technicien Evzen Plocek le 4 avril de la même année. Vingt ans plus tard, le 16 janvier 1989, un dissident nommé Vaclav Havel est arrêté alors qu’il dépose une gerbe à la mémoire de l’étudiant martyr.
Une vague de manifestations qui suit, baptisée « semaine Palach », ébranle le régime, balayé ensuite par la « Révolution de velours ». « Il y a aussi ceux qui désapprouvent l’acte de Jan Palach, estimant qu’il aurait dû mener son combat autrement, sans sacrifier sa vie », admet Mme Beranova, qui vit à Vsetaty et enseigne l’histoire dans un lycée pragois.
« Moi aussi je réfléchis souvent à ce sujet. Honza aimait notre nation et notre pays et c’est bien sûr dommage qu’il ne soit plus avec nous. Mais c’est son legs qui est important et c’est ce que je dis aussi à mes étudiants: il faut toujours être actif, il faut savoir prendre la responsabilité de ce qui se passe dans notre pays », souligne la professeure.
Jan Palach est enterré d’abord au cimetière pragois d’Olsany et sa tombe devient un lieu de pèlerinage. En 1973, la police secrète l’exhume pour l’incinérer et enterrer ses cendres à Vsetaty. Après la chute du régime communiste, les cendres de Palach ont été ramenés à Olsany où de nombreux Tchèques devraient aller lui rendre hommage le 16 janvier.
D.C avec AFP
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