Le 27 février 1953 (c’était un vendredi), Joseph Vissarionovitsch est allé au Bolchoï pour assister à une représentation du Lac des cygnes. Après le spectacle, la voiture le ramena à sa datcha de Kountsevo, tout près de Moscou. Le lendemain, on le conduisit au Kremlin, où Staline retrouva ses fidèles lieutenants et compagnons de beuveries, Beria, Khrouchtchev, Malenkov et Boulganine. En respectant une déjà vieille tradition, ils regardèrent ensemble un film. Tard dans la soirée, ils s’en allèrent, tous les cinq, dîner à la datcha. Ils causèrent politique, ils parlèrent aussi du complot des « blouses blanches », ces médecins juifs que Staline, dans sa paranoïa, accusait de vouloir assassiner la direction du Parti. Les médecins avaient été arrêtés, on les torturait pour qu’ils « avouent » leurs projets maléfiques : le scénario était bien rôdé, il avait été utilisé maintes fois, lors des procès truqués qui se terminaient invariablement par la condamnation à mort des « ennemis du peuple ». Vers quatre heures du matin (nous sommes donc dimanche, le 1er mars), Staline, ivre, accompagne ses camarades jusqu’à la sortie ; il est gai, il plaisante, se moque gentiment de Khrouchtchev en imitant son accent ukrainien. Après le départ de ses invités, il s’étend sur le sofa de la salle à manger. Les gardes et les domestiques avaient des consignes strictes : ils ne devaient en aucun cas déranger leur maître.
Les heures passaient, aucun mouvement. Très tard dans la nuit, un courrier du Kremlin apporta, comme d’habitude, la correspondance du Comité central. Le prétexte arrivait à pic : un des gardes prit son courage à deux mains et poussa la porte de la salle à manger. Ce qu’il vit le cloua sur place : Staline gisait par terre, en maillot de corps, baignant dans une flaque d’urine.
La suite est une tragicomédie avec des accents burlesques. Avertis, Beria, Khrouchtchev, Malenkov et Boulganine arrivent en hâte et leur première décision est de tenir secret l’état dans lequel se trouve Staline. En même temps, c’est une course effrénée pour le pouvoir qui commence, un ballet grotesque qui est aussi une lutte pour survivre. Ce fut le sujet d’un excellent film, La mort de Staline (2018), d’Armando Iannucci, film interdit dans la Russie de Poutine parce qu’il aurait présenté de manière « caricaturale » les dirigeants de l’Union soviétique. On fait venir des médecins (les meilleurs sont en prison), ces respectables spécialistes tremblent de peur et n’osent pas toucher le corps sacré du « Petit Père des peuples », ni même pour prendre son pouls. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : Staline ne peut pas être sauvé. Beria s’active, de temps en temps il embrasse fiévreusement la main de son maître et repart en vitesse afin de mener à bien ses intrigues. Cela ne le mènera pas très loin : bien que pour l’instant il semble détenir les clés du pouvoir, il sera fusillé quelques mois plus tard, par les soins de ses chers camarades. C’est Khrouchtchev qui aura le dernier mot et s’installera au faîte du pouvoir pour une dizaine d’années.
Staline meurt, après une pénible agonie, le 5 mars. Le moment de sa mort est décrit par sa fille Svetlana dans ses Mémoires. Les journées suivantes ont été marquées, en Union soviétique mais pas seulement (en France en particulier), par des manifestations délirantes du culte de la personnalité. A Moscou, le 9 mars, lors de grandioses funérailles, 1500 personnes sont mortes, ayant suffoqué ou été piétinées.
Le tyran, qui avait sur la conscience des millions de victimes, n’en finissait pas de tuer, même après sa mort.
Article écrit par Alexandre Calinescu. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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