Le 1er janvier 1973, le Royaume-Uni rejoint officiellement « en fanfare » la Communauté européenne après 10 années d’âpres négociations, mais l’opinion publique britannique apparaît déjà réticente à l’idée de clore « mille ans d’histoire ».
Le gouvernement conservateur tient alors à marquer avec faste ce moment qualifié de « très émouvant » par le Premier ministre Edward Heath, fervent européen et cheville ouvrière de l’adhésion.
Pendant une dizaine de jours, 300 manifestations sportives et culturelles vont vanter à travers tout le pays les mérites et les gloires des neuf pays associés au sein de la Communauté européenne élargie dans le cadre d’un festival baptisé « Fanfare pour l’Europe ».
Une sélection de footballeurs des trois entrants (le Danemark et l’Irlande rejoignent aussi la CEE) affronte une équipe composée de joueurs des six autres Etats membres (victoire 2-0 des entrants). L’Italie a prêté un Michel Ange pour une exposition, les Pays-Bas un Rembrandt. Seul couac, le Louvre a refusé de laisser sortir La Joconde.
????Le 22 janvier 1972 Edward Heath signait le traité d’adhésion à la communauté européenne et louait la future construction de l’Europe politique et un avenir brillant pour les futures générations pic.twitter.com/sBWZZaSSsV
— Patrick MartinGenier (@MartinGenier) January 29, 2020
A la veille du jour « J », la presse consacre ses unes à cet événement qui, pour le Sunday Times, clôt « un chapitre de mille ans d’histoire pour les Britanniques » et « paraîtra plus tard aussi décisif pour l’histoire britannique que les batailles d’Hastings ou de Waterloo », selon le Sunday Telegraph.
Elle fournit aussi sur le ton de l’humour maintes recommandations aux insulaires qui vont « affronter » les « continentaux ».
« Le Daily mail met surtout en garde ses lecteurs contre l’emploi intempestif d’expressions populaires qui pourraient choquer les habitants des huit autres pays », écrit l’AFP. Ainsi, le journal exprime « ses plus grandes réserves » quant à l’usage de « l’expression médicale +French crown+ (couronne française) qui désigne la calvitie consécutive à la syphilis ».
De leur côté, les adversaires les plus militants de l’idée européenne organisent leur baroud d’honneur. Le 31 décembre, c’est au son… d’une cornemuse que 500 opposants participent à une retraite aux flambeaux devant le palais de Westminster où siège le Parlement.
Le 2 janvier, un dîner « européen » de 258 couverts organisé par le Conseil britannique du mouvement européen au château de Hampton Court, une ancienne résidence royale, donne le coup d’envoi des festivités.
Accueillis sous des boules puantes
Le lendemain, la reine Elizabeth II, le prince Philip et Edward Heath assistent à la première grande soirée de gala, à l’opéra de Covent Garden. Ils sont accueillis sous des jets de boules puantes par 200 militants du Front national, un parti nationaliste.
L’AFP décrit alors une opinion publique « hésitante » et « profondément divisée ». Cette adhésion avait été décidée en 1972 par un vote du Parlement et les électeurs n’avaient pas été consultés par référendum, contrairement à ceux des deux autres entrants, l’Irlande et le Danemark.
Parti sonder l’« homme de la rue », le reporter de l’Agence, Basile Tesselin, rencontre, dans un pub de Londres, un imprimeur qui lui assène : « Nous avons un gouvernement qui est le nôtre, un Parlement que nous élisons. Nous ne voulons pas être dirigés d’on ne sait quel Bruxelles. Tout ce que nous avons est meilleur que chez vous ».
« Vous deviendrez tous communistes en nous ruinant avec vous »
« Je me méfie de vous … je vous vois venir. Vous nous cajolez. Et puis, lorsque nous serons dans votre sacré piège, votre paradis pour imbéciles, vous nous brouillerez avec nos vrais amis, les Américains, les Canadiens, les Australiens. Et vous deviendrez tous communistes en nous ruinant avec vous », renchérit un chauffeur de taxi écossais.
L’estaminet s’emplit de récriminations : sur la TVA, le poids des camions, l’entrée libre des Européens…
Un camionneur écossais tranche enfin : « J’aime bien aller en Europe. Spécialement en France. Je m’y sens chez moi. Je n’ai pas confiance dans les Anglais ».
#Brexit A 100 jours du divorce entre le Royaume-Uni et l’Europe, la première ministre britannique @theresa_may traitée de « stupid woman » par le chef de l’opposition travailliste @jeremycorbyn
cc @franceinfo @mariannetheo @10DowningStreet @UKParliament pic.twitter.com/ADYSzLzd7M— Florent Boutet (@Florent_Boutet) December 19, 2018
De son côté, l’opposition travailliste fait déjà part de son intention de renégocier le traité d’adhésion. Son leader, Harold Wilson, accuse le gouvernement d’avoir « abdiqué » ses responsabilités devant les instances de Bruxelles.
Revenu au pouvoir, et après avoir obtenu une renégociation, il organisera en 1975 un premier référendum sur le maintien du pays dans la CEE. Le oui l’emportera à 67%.
Quarante-et-un ans plus tard, le 23 juin 2016, les Britanniques voteront cette fois à 51,9% pour quitter l’UE. Un Brexit qui plongera le Royaume-Uni dans une succession de crises avant une sortie effective le 31 janvier 2020, puis la fin de sa participation au marché unique et à la libre circulation le soir du 31 décembre.
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