Kimono, au bonheur des dames

Par Epoch Times
6 mai 2017 06:24 Mis à jour: 1 avril 2021 19:18

Nous ne connaissons pas exactement les origines du kimono. Ce vêtement aux décors enchanteurs, porté par des hommes et des femmes, riches et pauvres, est devenu l’emblème du Japon depuis le XVIIe siècle et le symbole de la beauté féminine en Occident depuis la fin du XIXe.

Jusqu’au 22 mai, le musée Guimet présente Kimono, au bonheur des dames, une exposition sur l’évolution du kimono dans laquelle sont exposées pour la première fois, des pièces de la fameuse maison Matsuzakaya fondée en 1611 parmi lesquels quelques chefs-d’œuvre exceptionnels.

Rencontre avec la commissaire de l’exposition Aurélie Samuel, conservatrice du Patrimoine et directrice des collections de la Fondation Pierre Berger – Yves Saint Laurent.

Kosode à motifs de cascades et éventails, teinture à réserve sur fond en crêpe de soie chirimen bleu, seconde moitié du XVIIIe siècle, H. 150 ; l. 59 cm. Collection Matsuzakaya.

Comment l’exposition est-elle née ?

J’ai été contactée en 2011 par la maison Matsuzakaya, fondée au début du XVIIe siècle et connue aujourd’hui comme un grand magasin. Elle souhaitait commémorer les 400 ans de la maison de couture. Je me suis rendue au Japon à Nagoya où la Maison mère est installée et où se trouvent les pièces maîtresses. J’ai trouvé une collection exceptionnelle de kimonos qui remontent jusqu’au XVIe siècle.

Quel est le rôle de la maison Matsuzakaya dans l’évolution du kimono ?

La maison Matsuzakaya a un rôle très important dans l’histoire du kimono et de la mode au Japon, puisque jusqu’à l’époque d’Edo qui commence en 1603, lorsqu’on voulait un kimono, on allait chez les personnes qui faisaient les kimonos, les teinturiers, les tisserands, ou dans les ateliers impériaux si on était de la haute société et on le choisissait par rapport à ce qui existait déjà.

La Maison Matsuzakaya, lorsqu’elle crée l’atelier, propose un cahier d’images, qu’on pourrait qualifier d’un carnet de tendances tel qu’on le connaît aujourd’hui dans la mode. Ce sont les femmes qui viennent au magasin et commandent leur kimono à partir de ce livre d’images selon les motifs, les dessins et les couleurs.

Il s’agit là d’un phénomène nouveau. Le kimono devient alors un objet de mode. Ce n’est plus simplement le kimono que l’on met selon sa classe sociale, la saison ou l’événement. Il devient un vêtement qui montre son tempérament, ou tout simplement les motifs et les couleurs que l’on souhaite porter.

Furisode avec illustration de la fête des feuilles jaunes et rouges de l’automne, teinture yuzen et broderies sur un fond en sergé de soie saya jaune, première moitié du XIXe siècle, H. 147

Ce phénomène est-il lié à des changements sociaux ?

À l’époque d’Edo, la capitale impériale est transférée de Kyoto à Edo, plus tard à Tokyo. Un changement social se produit, le shogunat prend le pouvoir. Une nouvelle classe sociale émerge, celle des marchands, des citadins et des bourgeois. Cette nouvelle classe commence à sortir, elle va au théâtre ou contemple les cerisiers, et elle a besoin de vêtements adaptés.

On pense que le kimono ainsi que d’autres caractéristiques culturelles ont été importés au Japon à l’époque des Tang. Pourquoi a-t-il fallu attendre presque mille ans pour qu’il devienne le symbole du Japon ?

En effet, ce qu’on pense, c’est qu’il vient de la robe traditionnelle des Tang du VIIe siècle et que les Japonais ont adopté ce vêtement ample, très facile à porter, en soie, en lin ou en coton. Mais le coton n’arrive qu’aux alentours du XVe siècle au Japon. Les Japonais l’ont modulé en fonction de leurs attentes en rajoutant une obi, cette grosse ceinture très large et rigide qui structure les corps des femmes. On pense qu’il est apparu ainsi vers le XVe-XVIe siècle à l’époque Kamakura et Momoyama pour devenir l’emblème du Japon et de la mode japonaise à l’époque d’Edo.

On pourrait dire que les Japonais ont gardé une seule mode, valable pour tous à travers les siècles.

Je crois que le Japon est le seul pays au monde avec un seul vêtement qui a gardé la même forme, c’est-à-dire cette forme en T pour les hommes, pour les femmes, pour toutes les classes sociales, pour tous les usages et à toutes les époques. C’est très étonnant. En Chine par exemple, vous avez différents vêtements à chaque dynastie, les costumes des Han ou les costumes des Mandchous. En Inde, il y a eu des costumes drapés ou cousus. En Europe, bien sûr il y a eu toutes les modes qui ont suivi toutes les époques mais au Japon il n’ y a qu’un seul costume.

« Une pièce à décor très particulier : le fond uniquement est décoré en soie damassée, ce qui signifie que le motif apparaît uniquement lorsque la lumière se reflète. La partie inférieure présente une scène puisée dans Le Dit du Genji, l’œuvre littéraire majeure datant du XIe siècle, ce qui permet de constater l’influence de la littérature sur la confection du kimono. La sophistication des techniques permet de rendre des motifs très complexes. »

 La forme du kimono est simple. Comment se manifeste la créativité ?

Comme le kimono a toujours la même forme, c’est par le tissu qu’il varie. On change par la façon de le fermer et par son décor. C’est par le décor qu’on va différencier les classes sociales ; les aristocrates préfèrent des motifs simples et des matériaux très nobles. Chez les femmes des samouraïs, le décor est floral ou puise dans le monde animalier, qui évoque les saisons, le courage. Les seules à développer finalement plus de décors et plus de techniques sont les femmes des marchands puisqu’elles n’ont pas la contrainte de la représentativité. Elles n’ont pas un rôle dans la société comme épouse de leur mari. Elles peuvent donc se permettre de porter ce qu’elles veulent comme motifs, couleurs, toutes les fleurs, les teintures et les broderies.

Le kimono devient un support de l’art, à l’instar d’une toile de peinture. De nouvelles techniques de teinture se développent tel le Yuzen, qui est caractérisé par une grande précision.

Mais la créativité se manifeste également dans la manière de le porter, près du corps ou au contraire, si le col est plus renversé, sur les épaules pour dénuder le cou, ou alors plus proche du cou. Il ne faut pas oublier que quand on parle de kimono, on porte plusieurs couches. La superposition crée bien-sûr aussi une silhouette.

Franck Sorbier, grand couturier et maître d’art kimono. « Ailes de Papillon » organza de soie blanc, picoté et redécoupé et appliqué par la maison de couture Sorbier haute couture, été 2008, Collection Franck Sorbier. (Franck Sorbier © Photographie : Patrick Gries )

Dans l’exposition on peut apprécier également les accessoires qui accompagnent le kimono. Pourriez-vous nous en parler ?

Le kimono est porté avec des accessoires comme des peignes en laque et des épingles à cheveux extrêmement variées et raffinése. Le kimono, c’est une silhouette totale.

L’un des thèmes évoqués dans l’exposition est le mariage, un événement très important dans la vie des Japonais pour lequel on a créé les kimonos les plus sophistiqués. On voulait montrer également les accessoires et un trousseau qui était utilisé avec le kimono. Le trousseau de mariage que la mariée offrait à son mari et qui contenait un très beau mobilier en laque.

Dans l’exposition Du Nô à Mata Hari que vous avez organisée en 2015 au musée Guimet, on constatait que le kimono a une place importante au théâtre.

Oui, il y a des kimonos qui sont liés au théâtre. Le kimono du théâtre Nô et celui du Kabuki. Le Nô exige la plus haute sophistication et des techniques pour le kimono. C’étaient les pièces les plus précieuses qui sortaient des grands ateliers impériaux, décorées avec la lamelle de papier doré – le Kinran. Ce qui est important dans le kimono du théâtre, c’est qu’il reflète l’état d’esprit du personnage que l’on joue. Le décor du kimono est en adéquation avec la pièce et le rôle du personnage. Par exemple, un kimono recouvert de saules, d’érables évoque que la pièce se passe en automne, un motif sinueux nous suggère que la scène se passe au bord d’un ruisseau. Dans le théâtre Nô, il n’y a pas de décors. Le kimono sert de décors et l’acteur évolue avec son décor sur lui.

Le Kabuki est un théâtre populaire et donc beaucoup plus vivant et dynamique. Il doit être vu de loin car il se joue en plein air. Le travail du kimono exige donc beaucoup moins de technicité mais sa taille et ses motifs sont exagérément agrandis. Dans le Kabuki, on change souvent de costume sur scène. Et les costumes sont souvent réversibles.

Kosode à motifs de fleurs de prunier et bambous, teinture à réserve, couchure de fils d’or sur un fond en crêpe de soie chirimen bleu, première moitié du XVIIIe siècle, H. 134,4 ; l. 64 cm. (J. Front Retailing Archives Foundation Inc./Nagoya City Museum. )

L’exposition met plus d’accent sur les kimonos des femmes alors que les hommes aussi le portaient, pourquoi ?

Si j’ai traité surtout les kimonos des femmes, c’est parce que ce sont bien évidemment les kimonos les plus beaux et les plus décorés. L’obi, cette ceinture très rigide qu’on attache de manière très serrée qui comprime le corps et structure la silhouette et la démarche, peut être comparée au corset en Europe qui a contraint les femmes à marcher et à se tenir d’une certaine manière, et qui n’était pas du tout pratique dans la vie quotidienne. Au moment où les femmes ont commencé à abandonner le Kimono au Japon c’est le moment où les femmes ont compris que ce vêtement n’était plus du tout adapté à la vie quotidienne et surtout à une vie sociale de travail.

Vers quelle époque ce changement a-t-il lieu ?

C’est à la fin de l’époque d’Edo en 1868. C’est à cette époque que le Japon ouvre ses frontières et que les kimonos vont arriver en Europe et que les Européens, avec le mouvement du japonisme, l’adoptent. Donc finalement, la modernisation du Japon et son industrialisation va de pair avec l’abandon du costume traditionnel au profit du vêtement occidental, alors qu’en Europe c’est exactement le phénomène inverse : les kimonos arrivent et l’on découvre cet art jusque là peu connu. Les collectionneurs commencent à l’acquérir, beaucoup le portent chez eux, comme l’on peut voir cette femme qui porte un kimono en guise de peignoir, très sensuel, dans le tableau de James Tissot La Japonaise au bain présenté à l’exposition.

Au début du XXe siècle, les couturiers comme Paul Poiret ou Madeleine Vionnet vont reprendre à leur compte cette influence du kimono et l’insérer dans leurs collections de mode. Il y a un véritable chassé-croisé et en même temps de synthèse et d’influence réciproque entre la France et le Japon. Une relation qui d’ailleurs perdura jusqu’à nos jours.

(J. Front Retailing Archives Foundation Inc./Nagoya City Museum. )

Quelle est la place du kimono au Japon aujourd’hui et comment les japonais le considèrent-ils ?

Il y a eu un regain du kimono, surtout après la guerre parce que les Japonais ont recherché leur identité, parce qu’ils étaient effectivement très occidentalisés pendant un moment et ils ont voulu renouer avec leur culture traditionnelle. Des jeunes femmes qui n’avaient jamais porté de kimono ont commencé à le porter. Et comme on l’a présenté dans la dernière partie de l’exposition, les grands couturiers japonais comme Kenzo, Yohji Yamamoto, Issey Miyake mais aussi Junko koshino –Junko koshino qui est d’ailleurs présentée pour la première fois en France – ont réintégré le kimono dans leurs collections de couture.

Quand j’ai rencontré Kenzo, il m’a dit que quand il est arrivé à Paris dans les années 50, il cherchait sa propre identité et il s’est dit qu’il était japonais et que c’est dans le Japon qu’il devait chercher son identité et c’est comme ça qu’il a commencé à intégrer une partie de la forme du kimono mais surtout les décors comme les fleurs.

Les couturiers français sont-ils également présents?

Oui, le but était de montrer comment les Français ont interprété les kimonos, Yves Saint Laurent qui a réinterprété sa forme, John Galliano qui a totalement déstructuré le kimono sous l’influence du Kabuki, ou Sorbier qui montre un kimono évanescent qui rappelle le papillon avec un organza très transparent.

Certains kimonos seront remplacés au mois d’avril car trop fragiles, quelle est la pièce la plus ancienne ?

L’œuvre la plus ancienne est le Kosode à motifs de lignes ondulantes et chrysanthèmes. C’est une pièce de l’époque Momoyama du XVIe siècle. Celle qui est présentée en première rotation est un chef-d’œuvre sublime et entièrement broché. Le brochage permet de passer dans le tissu de fond un fil supplémentaire pour créer un motif. C’est extrêmement complexe et long à exécuter. Ce sont des pièces de très haut niveau de technicité destinées aux grandes familles. Nous avons très peu de pièces qui datent de cette époque et qui sont dans cet état de conservation. C’est absolument prodigieux d’arriver à montrer des pièces de cette époque.

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