Le tribunal d’application des peines a ordonné vendredi la libération du militant libanais propalestinien Georges Ibrahim Abdallah, emprisonné depuis 40 ans pour complicité de meurtre de deux diplomates, décision dont l’exécution a toutefois été suspendue par un appel du Parquet national antiterroriste (Pnat).
« Par décision en date du jour, le tribunal d’application des peines a admis Georges Ibrahim Abdallah au bénéfice de la libération conditionnelle à compter du 6 décembre prochain, subordonnée à la condition de quitter le territoire national et de ne plus y paraître », a précisé le Pnat dans un communiqué à l’AFP.
Après l’appel du Pnat, il revient à la cour d’appel d’application des peines de définir une date d’audience, généralement « dans les trois mois », a déclaré Me Chalanset, l’avocat de M. Abdallah.
Né le 2 avril 1951 à Koubayat (nord du Liban), ce chrétien de rite grec-orthodoxe milite à 15 ans au Parti populaire syrien, formation favorable à une « Grande Syrie » incluant Liban et Palestine.
Blessé pendant l’invasion du Liban par Israël en 1978, il adhère au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), mouvement communiste et anti-impérialiste de Georges Habache.
Fondateur de l’organisation marxiste terroriste FARL
L’instituteur taciturne fonde ensuite, avec ses frères et des cousins, les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Il a déjà des contacts avec des mouvements terroristes : Action directe (France), Brigades rouges (Italie), le Vénézuélien Carlos et Fraction Armée rouge (Allemagne).
Groupuscule marxiste pro-syrien et anti-israélien, les FARL revendiquent cinq attentats, dont quatre mortels en 1981-1982 en France.
Les conditions de l’arrestation d’Abdallah sont inédites. Le 24 octobre 1984, il entre dans un commissariat de Lyon, demandant à être protégé des tueurs du Mossad qu’il dit sur ses traces.
Il est alors détenteur d’un passeport algérien, après avoir eu des passeports maltais, marocain et yéménite, utiles pour ses nombreux voyages (Yougoslavie, Italie, Espagne, Suisse, Chypre…). Mais la DST comprend vite que l’homme au français parfait n’est pas un touriste mais Abdel Kader Saadi, « nom de guerre » d’Abdallah.
Dans un de ses appartements à Paris, on découvre un arsenal dont des pistolets mitrailleurs et des postes émetteurs-récepteurs.
Condamné en 1986 à Lyon à quatre ans de prison pour association de malfaiteurs et détention d’armes et d’explosifs, il est jugé l’année suivante par la cour d’assises spéciale de Paris pour complicité dans l’assassinat en 1982 de deux diplomates, l’Américain Charles Ray et l’Israélien Yacov Barsimentov, et la tentative d’assassinat d’un troisième en 1984.
Abdallah nie, réaffirme « je suis un combattant, pas un criminel ». « L’itinéraire que j’ai suivi a été commandé par les atteintes aux droits de l’Homme perpétrées contre la Palestine », se défendait-il devant les juges. Mais il est condamné à la perpétuité, l’avocat général ayant requis dix ans d’emprisonnement.
Dans ses mémoires, Me Georges Kiejman, avocat des parties civiles, évoque un accusé se conduisant « comme le terroriste militant qu’il disait ne pas être ». « Il insultait tout le monde, nous traitait de “porcs” et de “sales impérialistes”, il a dû être expulsé de la salle d’audience ».
Son avocat, Me Jacques Vergès, voit dans le verdict « une déclaration de guerre ». Un comité de soutien est aussitôt créé, demandant sa « libération immédiate ».
Devenu un des plus anciens détenus de France, emprisonné à Lannemezan (sud-ouest), il n’a jamais émis le moindre regret.
« Il va bien intellectuellement. C’est un militant, il reste sur ses positions, lit beaucoup et se tient très au courant de ce qui se passe au Moyen-Orient. On lui écrit du monde entier », disait en 2022 à l’AFP son avocat Me Jean-Louis Chalanset.
Depuis 1999, année où il est devenu libérable, toutes ses demandes de libération conditionnelle ont été rejetées sauf une, en 2013, mais sous réserve qu’il soit expulsé, ce que ne met pas en œuvre le ministre de l’Intérieur d’alors, Manuel Valls.
Soutenu par le PCF et l’extrême gauche
Au fil des ans, son sort émeut et mobilise des militants proches du Parti communiste français (PCF) et de l’extrême gauche, qui accusent les gouvernements successifs d’acharnement et le considèrent comme « un prisonnier politique ». Des municipalités communistes le font même citoyen d’honneur et, régulièrement, des manifestations ont lieu devant sa prison.
« Georges Ibrahim Abdallah est victime d’une justice d’État qui fait honte à la France », a dénoncé en octobre dans le quotidien L’Humanité l’écrivaine Annie Ernaux, prix Nobel 2022 de littérature.
« À titre personnel, j’estime que Georges Ibrahim Abddallah pourrait être libéré », a estimé en 2021 Me Kiejman. « J’ai une forme de respect pour lui » désormais et « le braillard de la cour d’assises est devenu un intellectuel réfléchi », même si, « enfermé dans une certitude respectable mais dogmatique, il ne fait rien pour faciliter sa libération ».
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