Avec de longs couteaux, deux maîtres boulangers tout de blanc vêtus découpent une grosse et lourde tranche de pâte à pain d’épices dans un gros bac métallique au fond de l’une des plus anciennes boulangeries du monde.
Comme le vin, la pâte a mûri depuis quelques mois, à l’abri d’une cave de l’usine de confiserie Kopernik, dans la vieille ville de Torun. Les employés y goûtent et vérifient si tous les bacs sont prêts pour la cuisson. L’entreprise utilise un mélange d’épices dont la composition est un secret bien gardé depuis sa fondation en 1763. Depuis deux siècles et demi, elle fonctionne pratiquement sans interruption, sauf pour quelques années pendant la IIe guerre mondiale.
Les initiés qui connaissent les proportions et les espèces des épices utilisées ne sont que six, selon le porte-parole Jakub Kopczynski. « Les clous de girofle préservent la pâte qui contient bien entendu de la farine et du sucre, et lui permettent d’acquérir son parfum unique pendant qu’elle mûrit ». La cannelle, le gingembre et le poivre font également partie du mélange, ajoute-t-il, avant de refuser poliment d’en dire davantage.
« Comme le bon vin, le bon pain d’épices doit vieillir. Et, comme pour le vin, ce processus nécessite beaucoup de savoir-faire », poursuit Kopczynski. Il parle au milieu d’une centaine de bacs alignés sur le sol de l’usine, chacun pesant environ 700 kilos. L’arôme attirant du pain d’épices flotte sur la grande usine à la sortie de Torun.
Sa recette secrète descend de la tradition remontant au Moyen-Age, quand les épices d’Inde ou du Moyen-Orient ont commencé à arriver à Torun, devenue par la suite un important carrefour commercial hanséatique. Si ses origines sont fort anciennes, le pain d’épices de Torun sait évoluer avec son époque: il est certifié végan, casher, sans OGM et sans huile de palme.
« C’était depuis toujours notre tradition, maintenant c’est reconnu formellement », commente Kopczynski, passant dans une partie de l’établissement où un tapis roulant fait entrer des pains d’épices en forme de cœur dans un four long de 36 mètres où ils subissent une cuisson de sept minutes.
L’usine est une société par actions appartenant à son personnel, actuel et ancien. Les propriétaires ont repoussé des offres d’investisseurs étrangers pour éviter qu’ils s’emparent de la précieuse recette. L’entreprise portant le nom de Nicolas Copernic, le célèbre astronome né à Torun, appelé Mikolaj Kopernik en Pologne, a produit cette année 3.500 tonnes de pain d’épices vendu en Pologne et partout dans le monde.
Une lycéenne, Jagoda, enfonce une boule de pâte à pain d’épices dans un moule en bois sculpté à la main. Le gâteau prend l’aspect d’un fer à cheval affichant le mot « szczescie » (« chance » en polonais). Jagoda est venue avec sa classe de la ville voisine de Bydgoszcz pour un cours pratique de boulangerie au musée du pain d’épices de Torun, installé dans l’ancien bâtiment de briques rouges de l’usine Kopernik.
« Dans ma famille nous avons une tradition de pains d’épices décorés que nous offrons comme cadeaux de Noël », explique la jeune fille de 17 ans, montrant un gâteau en forme de cœur avec un motif floral. Sortant de leurs moules en bois et ressemblant aux chevaliers, anges, princesses ou carrosses, les grands pains d’épices ont fait office de cadeaux de choix de l’ère préindustrielle, jusque vers la fin du 18e siècle.
« Comme les épices importées étaient chères, le pain d’épices était un produit de luxe que seule l’élite pouvait s’offrir », explique la directrice du Musée, Malgorzata Mikulska-Wernerowicz. Ses fabricants étaient eux aussi riches et occupaient une place élevée dans la société d’autrefois. « Les rois visitant Torun recevaient du pain d’épices offert par le conseil municipal », ajoute-t-elle, montrant des moules sculptés dans le bois de pommier ou de poirier, datant des 17e et 18e siècles.
Invités par un prince local, les Chevaliers Teutoniques sont venus de Terre Sainte pour fonder Torun – Thor en allemand – en 1233. Ce sont probablement eux qui ont apporté les premières épices du Moyen-Orient. Leur goût a suscité une demande et ensuite un commerce lucratif qui a contribué à faire de Torun l’une des plus riches villes d’Europe jusque pendant la Renaissance.
Le pain d’épices reste toujours une affaire qui marche à Torun, une ville de quelque 200.000 habitants, avec des dizaines de boulangeries et de magasins, et même un musée interactif privé. A la différence du pain d’épices mince et croustillant de tradition scandinave ou britannique, celui de Torun est épais et moelleux.
Si ses ingrédients de base sont le miel, l’alcool et la farine de blé et de seigle, des documents anciens montrent que la variété de Torun était déjà fabriquée au milieu du 16e siècle par des boulangers allemands et que son nom – Pfefferkuchen – est venu de celui du poivre plutôt que du gingembre.
Le terme polonais utilisé aujourd’hui – « piernik » – a la même origine. Selon la légende, Copernic lui-même aimait mâcher du pain d’épices. « Il venait d’une famille de riches marchands, donc on ne voit pas pourquoi il se priverait du pain d’épices », plaisante Mikulska-Wernerowicz, avec un clin d’œil.
D.C avec AFP
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