La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs victimes de violences sexuelles, dont certaines dispositions étaient contestées dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a été officiellement validée par le Conseil constitutionnel le 21 juillet. Pour Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé et porte-parole de Juristes pour l’enfance, association qui veille à la protection des droits de l’enfant, il était difficile d’imaginer que l’instance puisse juger cette loi inconstitutionnelle : « Le seul fait qu’on lui ait posé la question permet de comprendre la gravité de la situation », souligne-t-elle. Désormais, reste à voir si la loi sera appliquée par les juges, car « il y a hélas encore en France une complaisance coupable avec la pédocriminalité ». Entretien.
Etienne Fauchaire : Comment l’association Juristes pour l’enfance a-t-elle réagi à l’annonce de la validation de la loi Billon ?
Aude Mirkovic : Franchement, nous ne voyions pas comment le Conseil constitutionnel aurait pu déclarer cette loi contraire à la Constitution car aucun des arguments invoqués n’était pertinent. Cela dit, l’insécurité juridique étant forte en raison de la crise que traverse la société en général et le droit en particulier, nous nous réjouissons de cette décision !
Cette loi de 2021, qui a inscrit dans la loi pénale l’impossibilité d’un prétendu pseudo consentement d’un mineur de 15 ans à un acte sexuel avec un adulte, ne fait que tenir compte de la réalité de ce qu’est l’enfance, et de l’incapacité structurelle de l’enfant à donner un consentement en connaissance de cause, en raison de son immaturité. Le statut juridique de la minorité est un statut protecteur, qui tient compte de ce que l’enfant est un enfant et non un adulte en miniature. Cette loi est d’autant plus remarquable qu’elle va à contre-courant d’une tendance à vouloir émanciper les enfants de l’autorité parentale et de leur statut de mineur, tendance qui repose sur une vision faussée de l’enfance : en effet, si les parents prennent les décisions concernant leurs enfants, ce n’est pas pour les brimer mais parce que les enfants n’ont pas la capacité juridique de le faire, cette incapacité juridique ne faisant que relayer leur incapacité tout court à prendre des décisions en raison de leur manque de maturité. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, les parents l’associent aux décisions qui le concernent, afin que l’enfant apprenne à faire usage de sa liberté et soit capable de prendre ses décisions lui-même, le moment venu. En attendant, ce n’est pas rendre service aux enfants que d’ignorer leur immaturité structurelle, sous prétexte d’autonomie ou de les libérer de je ne sais quoi. En matière sexuelle, ce n’est pas à l’enfant de dire non, c’est à l’adulte de mettre une barrière entre lui et l’enfant, même dans des cas où l’enfant pourrait avoir l’air de « demander ». L’enfant n’a pas de responsabilité dans ce genre de situation, et par conséquent pas de culpabilité à porter si ces faits se produisent : le coupable est l’adulte, et lui seul, quelle que soit l’attitude de l’enfant. La loi a, sur ce point, rendu aux enfants leur enfance.
Les auteurs d’une question prioritaire de constitutionnalité soutenaient qu’en fixant le seuil de consentement à 15 ans, cette nouvelle loi, instaurait notamment une « présomption irréfragable de culpabilité ». Comment analysez-vous cet argument ?
La loi n’instaure pas de présomption irréfragable de culpabilité, elle modifie la définition des infractions de viol et d’agression sexuelle : lorsque ces infractions sont commises par un majeur sur un mineur de 15 ans (18 en cas d’inceste), la condition que l’acte soit imposé par « violence, contrainte, menace ou surprise », auparavant requise, ne l’est plus. Le majeur est désormais coupable des infractions en cause dès lors que l’acte sexuel est caractérisé, viol s’il y a pénétration, agression sexuelle s’il n’y a pas pénétration, quelle que soit l’attitude de l’enfant qui ne sera même pas questionnée. Il n’est donc plus nécessaire que l’enfant ait été contraint, menacé, surpris et, concrètement, cela signifie que le majeur ne peut plus se dédouaner au prétexte que l’enfant aurait été « consentant ».
Invoquer une présomption de culpabilité, c’est comme si vous disiez que rouler à 180 sur l’autoroute introduit une présomption irréfragable de culpabilité. Non, celui qui roule à 180 n’est pas « irréfragablement présumé coupable » de quoi que ce soit, il est coupable d’excès de vitesse, point.
La présomption d’innocence n’est pas remise en cause car il faut bien sûr que les faits soient prouvés, c’est-à-dire qu’un acte sexuel commis par un adulte sur un mineur de 15 ans soit établi. Mais, une fois que c’est le cas, l’infraction est caractérisée et il n’y a plus à prouver en plus la violence ou la contrainte. J’ajoute pour être vraiment précise qu’il faut que l’acte en question soit volontaire, ce qui exclut le cas où un geste de nature sexuel serait fait par mégarde, par maladresse, en tombant sur un mineur par exemple, si tant est que ce soit imaginable. Dès lors que l’acte est volontaire et de nature sexuelle, l’infraction est caractérisée, c’est tout.
Maintenant que les dispositions contestées de la loi Billon ont été validées par le Conseil constitutionnel, peut-on s’attendre à une meilleure justice contre les auteurs d’actes pédocriminels ?
La loi est un excellent prérequis, et elle a clairement progressé en matière de protection des enfants contre la pédocriminalité. Mais suffira-t-elle ? Encore faut-il maintenant qu’elle soit appliquée, c’est-à-dire que les poursuites suivent, et les condamnations. Il y a hélas encore en France une complaisance coupable avec la pédocriminalité, y compris lorsque la loi existe. Je donnerai un exemple : le code pénal sanctionne la diffusion d’une image à caractère pornographique impliquant un mineur (article 227-23 al. 1er du code pénal), la pédopornographie étant définie par une directive européenne comme « tout matériel représentant de manière visuelle une personne qui paraît être un enfant se livrant à un comportement sexuellement explicite, réel ou simulé » (Directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011). C’est clair, et pourtant cela n’a pas empêché le Palais de Tokyo d’exposer une scène de pédocriminalité, un tableau représentant le viol d’une personne qui paraissait être un enfant, sans que le Conseil d’État n’y trouve à redire (affaire « Fuck Abstraction ! »). Juristes pour l’enfance a déposé une plainte pénale et nous espérons que ce musée sera condamné pour les infractions commises, afin que cela ne se reproduise pas car, si la loi interdit la diffusion de la pédopornographie, c’est parce que ces contenus mettent les enfants en danger.
Ajoutons cependant que le droit n’est pas le seul aspect : les enfants sont en danger en raison de l’hypersexualisation de la société, du relativisme généralisé qui diffuse l’idée que chacun pense, fait, est ce qu’il veut, et peine ensuite à justifier des interdits, la culture ambiante qui rejette l’idée même de frustration au profit de la réalisation de tous les désirs etc. : la loi de 2021 constitue un progrès majeur, le fait que le Conseil constitutionnel le déclare conforme à la Constitution est en soi une bonne chose mais le seul fait qu’on lui ait posé la question permet de comprendre la gravité de la situation.
Je rappelle qu’il y a encore ne serait-ce que cinq ans, des juges osaient retenir le pseudo-consentement d’une fillette de 11 ans ou de 13 ans à un acte sexuel avec un adulte. Nous revenons de loin en matière de pédocriminalité et la société doit être beaucoup plus exigeante pour protéger les enfants. Si le travail sans relâche des associations, Juristes pour l’enfance mais aussi beaucoup d’autres qui agissent auprès des victimes, est indispensable, protéger l’innocence de l’enfance est l’affaire de tous car la lâcheté, la résignation, l’idée confortable que nous n’y pouvons rien, peuvent nous rendre complices. La loi de 2021 a remis les pendules à l’heure, c’est bien. Maintenant, la société doit suivre et cela ne se fera pas tout seul !
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