Une démocratie peut-elle équilibrer son budget ? Pour de nombreuses personnes, aujourd’hui, la réponse est non. Cela peut se comprendre quand on considère la situation catastrophique de la Grèce, berceau de la démocratie.
Dans ce pays emblématique, les responsables politiques ont trop longtemps cru que leurs électeurs ne pourraient supporter d’entendre la vérité sur la situation économique. Afin de financer leurs promesses irréalistes, ils ont donc emprunté de manière irresponsable au lieu de réformer le système fiscal. Ils ont menti au sujet de la dette publique galopante, avec le résultat qu’on connaît : une crise monumentale. Même au cœur de la tourmente, les dirigeants grecs ont eu peur de dévoiler à leurs électeurs les mesures nécessaires à la sortie de la crise. Ils ont laissé leurs créanciers européens dicter des politiques d’austérité qui continuent à créer d’immenses souffrances. Dans l’espoir d’un changement, les électeurs grecs ont donc renvoyé les hommes politiques établis depuis toujours, en faveur d’un nouveau mouvement de gauche.
Crises financières ou crises démocratiques ?
Cette crise financière est peut-être particulièrement violente, mais ses causes sont loin d’être spécifiques à la démocratie grecque. D’autres démocraties ont été forcées de prendre des mesures budgétaires drastiques en réponse à la crise financière mondiale.
Dans mon pays, l’Australie, les dirigeants de centre-gauche ont lourdement emprunté afin de stabiliser la demande économique. Au niveau des États comme au niveau national, ces politiques keynésiennes ont minimisé le coût humain de la crise, mais, lors des élections suivantes, les responsables sociaux-démocrates qui avaient instauré ces politiques ont refusé de les justifier publiquement, craignant que les électeurs ne puissent supporter un débat public transparent sur les questions budgétaires.
Leurs opposants de centre-droit n’ont fait guère mieux : ils ont promis d’équilibrer les budgets sans coupe majeure au niveau du secteur public. Or ces promesses se sont révélées impossibles à tenir : une fois au pouvoir, les gouvernements de centre-droit ont instauré des politiques d’austérité sans mandat électoral clair, et doivent aujourd’hui affronter la colère de leurs électeurs. L’un après l’autre, les gouvernements de centre-droit quittent le pouvoir après un mandat unique.
De nombreuses démocraties modernes souffrent du même problème sous-jacent : les hommes politiques pensent que leurs électeurs ne peuvent pas affronter la réalité financière. Ils croient qu’une démocratie n’est pas capable de gérer correctement les finances publiques. Selon eux, la seule manière d’équilibrer le budget est de laisser les électeurs dans l’ignorance.
En tant qu’historien spécialiste de la démocratie dans la Grèce antique, je tiens ces croyances comme totalement erronées. Les hommes politiques de l’Athènes antique, eux, ne raisonnaient certainement pas de cette manière. L’Athènes antique était un État incroyablement prospère. Elle avait développé la démocratie à un niveau dépassant de loin tout autre État pré-moderne. Elle était le leader culturel de son époque, et devint l’une des superpuissances du monde antique. Ces réussites ne sont pas tombées du ciel : elles reposaient sur la capacité de la démocratie athénienne à lever de nouveaux impôts, à contrôler les dépenses publiques et à équilibrer son budget.
Cette vision peut surprendre certains. Ainsi la méfiance des Allemands face aux choix budgétaires grecs ne date pas d’hier. En 1817, August Böckh publie sa célèbre critique de l’Athènes antique, affirmant que cette dernière dépensait plus pour le secteur public et les festivals culturels que pour son armée. Selon lui, ces dépenses somptuaires ont affaibli l’armée athénienne, rendant possible la conquête par la Macédoine.
Cette critique a fait école, mais de nombreux documents financiers ont été retrouvés au cours de deux derniers siècles, démontrant les erreurs de calcul commises par Böckh. En période de conflit, les électeurs athéniens acceptaient de dépenser quinze fois plus pour l’armée que pour les
dépenses de l’État ou les festivals. Même en période de paix, les dépenses liées à la sécurité de l’État dépassaient largement toutes les autres dépenses publiques confondues.
Par ailleurs, la démocratie athénienne imposait de franches discussions sur les dépenses publiques. Cette exigence était au cœur de son étonnant succès en termes d’équilibre budgétaire.
Lors des assemblées, les participants votaient pour ou contre chaque politique. L’assemblée se réunissait quarante fois par an, et 20 % des électeurs étaient systématiquement présents. Les électeurs athéniens attendaient d’une personne proposant une politique qu’elle estime précisément son coût. En effet, elle devait démontrer que l’État pouvait se permettre cette dépense.
Les trois leçons de l’Athènes antique
Les hommes politiques modernes peuvent tirer trois leçons essentielles des pratiques de la Grèce antique.
Premièrement, un débat public rigoureux est indispensable. Dans l’Athènes antique, ces discussions permettaient d’éliminer les politiques irréalistes et posaient les jalons des augmentations d’impôts nécessaires au financement d’autres décisions.
Deuxièmement, les hommes politiques modernes ne devraient pas craindre d’exposer à leurs électeurs la dure réalité financière. L’implication des électeurs dans les débats sur les finances publiques permet au contraire de créer un consensus autour des réformes difficiles. Les électeurs athéniens ne punissaient pas leurs représentants pour les augmentations d’impôts, puisqu’ils les avaient eux-mêmes votées.
Troisièmement, et c’est le point le plus important, la Grèce antique savait surmonter ses crises financières. Il n’y a pas de raison que nos démocraties modernes n’en soient pas également capables, si nos hommes politiques ont le courage de parler ouvertement des finances publiques.
David M. Pritchard, Chercheur et maître de conférences en histoire grecque , Université de Strasbourg
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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