Essentiel aux yeux des policiers et gendarmes, le recours « massif » – estimé à 47 millions par an – aux contrôles d’identité, dont les objectifs sont « peu définis » auprès d’agents insuffisamment formés, est porteur de « dérives », écrit mercredi la Cour des comptes.
Saisis par la Défenseure des droits Claire Hédon, les magistrats de la Cour ont obtenu cette estimation inédite, bien que très incertaine, du nombre de contrôles d’identité réalisés en moyenne chaque année par les forces de l’ordre : « en moyenne neuf par patrouille et par jour » soit 47 millions.
Un chiffre jugé « vraisemblable » par la police, la gendarmerie et la préfecture de police, interrogées par la Cour des comptes, a déclaré son premier président Pierre Moscovici, lors de la présentation du rapport à la presse. « C’est colossal », environ « trois à quatre fois ce qu’on a pu dire jusqu’à maintenant », a souligné de son côté Claire Hédon, exhortant à la mise en place d’une « politique publique » car « on ne peut pas rester dans le statu quo« .
Pour l’obtenir, la Cour est allée regarder les historiques de deux fichiers communs à la police et la gendarmerie pour l’année 2021, le fichier des personnes recherchées (FPR) et le système national des permis de conduire (SNPC). Chaque agent est censé consulter l’un ou l’autre lors d’un contrôle. Dans le détail, 20 millions de contrôles d’identité, dont 8,3 dans le cadre d’un contrôle routier, ont été réalisés en 2021 par la gendarmerie. Les policiers ont eux réalisé 27 millions de contrôles, dont 6,6 millions sur les routes.
L’incapacité à « recenser de manière exhaustive » les contrôles
Il serait néanmoins présomptueux de parler de recensement exhaustif, encore moins de révélation d’« un chiffre noir », en raison « du caractère indirect et peu consolidé des données exploitées », déplorent les magistrats. Ces données comportent plusieurs biais, à la hausse comme à la baisse, précise la Cour. Certaines consultations de fichiers correspondent aux contrôles d’accès à certains sites et non à des contrôles de personnes, ou à des contrôles dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Par ailleurs, aucune garantie n’existe sur le fait que chaque contrôle donne lieu à une consultation de fichier.
L’incapacité de la police et de la gendarmerie à « recenser de manière exhaustive » les contrôles, à « comprendre leurs motifs » et « analyser les résultats » est « d’autant plus surprenante que la pratique des contrôles d’identité fait l’objet de longue date d’un débat dans l’opinion publique », étrille la Cour.
Au-delà, le rapport constate que ces contrôles sont considérés sous leur seul aspect « technique » et « juridique », sans envisager leurs effets sur la « relation police-population ». Des actes comme les palpations de sécurité, parfois pratiquées en dehors du cadre légal, ou le tutoiement, totalement proscrit mais pourtant pratiqué peuvent être à l’origine de « dérives », souligne la Cour.
Un « contrôle hiérarchique inversé »
Les magistrats de la rue Cambon ne se sont pas hasardés sur le terrain des contrôles « au faciès », dénoncés par des chercheurs, des ONG et le Défenseur des droits et reconnus en octobre par le Conseil d’État. Ces dérives pourraient être empêchées ou a minima limitées à la faveur d’un « mentorat des plus jeunes » et d’un encadrement plus resserré par des gradés plus expérimentés, observent les magistrats.
Malheureusement, « la réduction du nombre d’officiers » conduit à un « contrôle hiérarchique inversé », selon Pierre Moscovici. Ainsi, « dans la majorité des cas, seuls les contrôles dont les agents estiment eux-mêmes qu’ils doivent être portés à la connaissance de leurs supérieurs immédiats font l’objet d’une attention hiérarchique », regrette la Cour. Certains « manquements déontologiques » deviennent alors « indétectables », déplore-t-elle.
Même dans le cas de contrôles sur réquisition d’un procureur de la République, la vérification a posteriori des résultats des opérations est « très limitée » en raison du « peu de temps que les parquets peuvent y consacrer ».
Certaines évolutions, comme l’introduction du numéro d’identification (RIO), « qui reste encore, dans de nombreux cas, peu visible », et des caméras-piétons, dont le déploiement a été retardé en raison de difficultés techniques, n’ont pas encore permis d’améliorer la transparence des contrôles.
Formation continue peu suivie
Par ailleurs, l’enseignement en école s’attarde beaucoup sur la réglementation et la sécurisation des agents lors d’un contrôle mais très peu sur « l’évaluation de la nécessité de contrôler ou non une personne ». Une fois sur le terrain, les jeunes policiers s’en remettent davantage à leurs collègues qu’aux modules de formation continue, largement délaissés sur la question : seuls 300 policiers s’y inscrivent chaque année.
Côté de la population, les voies de recours en cas d’abus sont peu utilisées, avec 312 signalements en 2021 (dont 311 pour la police) et 222 en 2022 (218 pour la police). Ainsi, les inspections générales de la police et de la gendarmerie ne disposent pas d’une « appréciation globale » du respect du cadre légal des contrôles.
À défaut, la Cour recommande de lancer des « enquêtes de terrain » conjointes entre chercheurs et inspections. Si le rapport n’aborde pas la question essentielle de l’efficacité des contrôles dans la lutte contre la délinquance, Pierre Moscovici s’est prononcé contre leur suppression : « ce serait se désarmer. »
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