Il ne reste plus rien du Carrefour Market de Rivière-Salée, une commune populaire de Martinique, île des Antilles où la grande distribution fait figure d’épouvantail, en plein mouvement social contre la vie chère : l’alimentation y coûte 40% de plus qu’en métropole.
Il y a d’abord l’odeur de brûlé, qui stagne une semaine après l’incendie. Puis, en s’engouffrant dans l’obscurité, à travers le métal fou enchevêtré, des rayons carbonisés, un toit éventré, un magma grisâtre qui semble avoir absorbé ce qui a échappé au pillage.
Ces dernières semaines, les supermarchés et hypermarchés font partie des cibles favorites d’une mobilisation marquée par de fulgurantes flambées de violences. La grande distribution fait le dos rond. Elle s’active plutôt en coulisses, à l’instar de l’accord trouvé mercredi avec l’État au prix de concessions qui vont la pousser à réduire ses marges pour appliquer une baisse de 20% à la caisse, en moyenne.
Sébastien Daire a décidé de briser l’omerta, pour ne plus être vu comme le « diable » local. Le patron de huit Carrefour Market sur l’île a vu deux d’entre eux partir en fumée la semaine dernière, dont celui de Rivière-Salée, dans la nuit du 10 au 11 octobre. Résultat : 15 millions d’euros de dégâts, « sans les pertes d’exploitation », un bâtiment « bon à raser » et une cinquantaine d’employés au chômage pour ce seul magasin.
Le transport des marchandises en cause
« La vie chère est un vrai sujet, personne ne le nie. Maintenant il faut attaquer les vraies causes et pas se trouver un bouc émissaire », s’étrangle le dirigeant, pataugeant dans un rayon d’alcools forts.
« Nous on est en bout de chaîne, le dernier endroit où la personne sort sa carte bleue, son porte-monnaie », analyse jeudi auprès de l’AFP Sébastien Daire, pour qui le surcoût de l’alimentaire en Martinique s’explique essentiellement par le transport des marchandises. C’est ce qu’il a plaidé mercredi, comme le reste de la grande distribution, lors du dernier volet de négociations qui a permis d’aboutir à un accord, signé entre l’État, la Collectivité territoriale de Martinique et les acteurs locaux, distributeurs et grossistes notamment.
C’est l’« accumulation » d’« efforts collectifs » contenus dans cet accord devant entrer en application en janvier 2025 qui permettra de faire baisser les prix sur 54 familles de produits les plus courants (pâtes, beurre, lait…), a vanté le préfet de Martinique.
La grande distribution, en particulier, a pris une série d’engagements, à commencer par le fait de « répercuter intégralement les économies de coûts générées » par l’accord. Aux termes du document, les enseignes devront aussi « réduire les marges (…) à travers un gel des taux de marge ».
Un « effort historique »
« Il y a un effort historique qui a été demandé aux distributeurs » alors qu’« on est l’opérateur qui a le moins de marge de manœuvre dans toute la chaîne » d’approvisionnement, s’inquiète Sébastien Daire, franchisé dont l’activité est « en danger ».
« On va être asphyxiés. Un distributeur, quand ça tourne bien, il a 1% de résultat par rapport à son chiffre d’affaires », explique celui qui se dit « condamné à perdre de l’argent » en raison du coût « structurel » du transport vers l’île, où une « bouteille a triplé de prix à son arrivée sur le sol martiniquais, avant même qu’on ait fait de la marge ».
Autant d’arguments qui n’ont pas ému le président de la Collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy, qui a ouvert le dernier volet de négociations par une diatribe contre la « profitation sur l’alimentaire » parmi les acteurs locaux, agaçant visiblement les distributeurs, dont aucun à l’exception de M. Daire n’a répondu aux sollicitations de l’AFP.
Le collectif à l’origine du mouvement de contestation, le RPPRAC, doute pour sa part de la sincérité du secteur dans sa promesse de répercuter les prix. « Comment on s’assure que ça va vraiment baisser ? Il n’y aucune garantie », a souligné Gwladys Roger, une des leaders du mouvement, qui n’a pas signé l’accord en partie pour cette raison.
D’après le texte, des vérifications semestrielles sont prévues par l’État pour contrôler les « prix et (les) marges ». Il faudra attendre plusieurs semestres avant que les magasins de Sébastien Daire rouvrent. Dans celui en désolation de Rivière-Salée, une seule chose est restée intacte, comme étonnée de n’être même pas couverte de poussière : le terminal de paiement, à la caisse.
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