Lagos, mégapole de vingt millions d’habitants, est connue pour ses routes bloquées par des embouteillages sans fin. Mais sa lagune et les canaux qui la traversent de part en part sont également bouchés, par un autre type d’envahisseur: la jacinthe d’eau.
Cette plante, mystérieusement importée d’Amérique du Sud, se répand à toute vitesse et asphyxie les eaux et toute espèce aquatique. « C’est tout ce que j’ai réussi à pêcher depuis ce matin », se désole Solomon Omoyajowo. Au fond de son canot en bois, une poignée de poissons agonisent dans un petit saladier.
Comme beaucoup de ses collègues, ce pêcheur de 45 ans a dû quitter les rivages de la rivière Ogun, dans le nord de l’Etat de Lagos, totalement recouverte par les herbes. Il s’est rapproché de la mer, vers une zone un peu plus épargnée par la salinité de l’eau. Mais pour encore combien de temps? Durant la saison des pluies, lorsque des litres d’eau douce s’abattent du ciel, Lagos et sa lagune se recouvrent désespérément d’un vert intense.
« C’est une plante saisonnière, surtout visible pendant les pluies », explique à l’AFP Noah Shemede, militant écologiste et habitant de Makoko, un ancien village de pêcheurs construit sur pilotis, avalé par la mégapole. Dans ce qui est maintenant un immense quartier d’une grande pauvreté, construit sur pilotis avec des matériaux de récupération, « la plante apparaît partout lorsque les pluies sont fortes et que le niveau de sel est plus bas », poursuit M. Shemede.
Une catastrophe pour les dizaines de milliers de membres de cette communauté qui vivent des revenus de la pêche. A l’entrée du bidonville, sur le canal, un pêcheur tire son filet. Quatre petits poissons s’agitent. Adisa est catégorique: « les jacinthes d’eau tuent le poisson ». « Je ne sais rien faire d’autre », se lamente ce père de famille d’une quarantaine d’années. La jacinthe d’eau est apparue pour la première fois au Nigeria au début des années 1980, à l’ouest de Lagos, dans les criques de Badagry, arrivant du Bénin voisin.
Quarante ans plus tard, d’épais tapis de mauvaises herbes recouvrent toutes les rivières du Sud, jusque dans le Delta du Niger, cœur pétrolier du pays. Une étude de l’Université Obafemi Awolowo, dans l’Etat d’Osun, estime que le tiers de l’approvisionnement local en poisson, base alimentaire bon marché pour des millions de Nigérians, est menacé.
La jacinthe « est devenue une menace pour les écosystèmes marins de Lagos », explique à l’AFP Nkechi Ajayi, représentant des autorités en charge des voies fluviales de l’État de Lagos. « Cela a aussi un impact important sur les activités socio-économiques » de la mégapole, ajoute-t-il. En effet, l’industrie des transports est également touchée par la jacinthe, qui abîme les moteurs, les hélices des bateaux et cause des accidents.
« Il est de plus en plus difficile de naviguer avec ces mauvaises herbes partout », rapporte le capitaine John Ibikunle, en attendant que ses quelques dizaines de passagers embarquent vers Lagos Island. Le gouvernement de l’Etat de Lagos veut encourager le transport fluvial pour décongestionner les routes saturées de voitures. Abisola Kamson, directeur de l’Agence des voies navigables de l’État de Lagos (Lagos State Waterways Authority), assure avoir installé deux machines pour éliminer de la jacinthe d’eau des canaux.
« Ces machines agissent comme une tondeuse à gazon sous-marine », explique M. Kamson. « Elles coupent les plantes et les stockent à bord. » Reste à savoir quoi faire avec ces tonnes de déchets verts. Achenyo Idachaba a fondé une entreprise pour transformer la mauvaise herbe en paniers et sacs tissés à la main.
« Les jacinthes coupées sèchent au soleil et sont ensuite transformées en petites cordes à tisser », raconte l’entrepreneur avec fierté. Mais seul un plan de grande envergure pourra permettre de mettre un terme à ce désastre écologique. Des scientifiques de l’Université de Lagos travaillent à transformer ces herbes en biomasse pour créer de l’énergie et pallier les pénuries chroniques d’électricité dans l’une des mégapoles les plus polluées de la planète. Ils promettent de faire de Lagos une ville verte. Mais plus seulement dans ses rivières.
D.C avec AFP
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