ARTS & CULTURE

Les trésors du musée des Tissus de Lyon bichonnés avec « humilité »

novembre 22, 2024 10:30, Last Updated: novembre 22, 2024 18:35
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À l’arrière d’une maison de tisserands en France, une tunique de l’Égypte antique, une robe couture des années 2000 et d’autres pièces inestimables du musée des Tissus de Lyon se font dorloter en attendant sa réouverture en 2028.

Munie d’un scalpel, Anne-Rose Bringel gratte méticuleusement la colle incrustée depuis des lustres sur un fragment de velours en laine rouge, époque Renaissance. « Les textiles anciens, il faut les traiter comme des personnes âgées, avec douceur et humilité », explique la restauratrice de 57 ans, concentrée sur son travail chirurgical.

Une des plus importantes collections de textiles au monde

Le musée des Tissus de Lyon – la troisième ville française –  dispose de l’une des plus importantes collections de textiles au monde, avec 800.000 pièces venues des quatre coins de la planète, vieilles du temps des pharaons jusqu’à nos jours.

Une conservatrice du patrimoine textile archive un textile ancien dans les réserves et ateliers du Musée des Tissus de Lyon. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

Depuis sa création en 1864, elle ne cesse de s’enrichir grâce à des dons, de simples particuliers ou collectionneurs généreux, mais également via le marché de l’art avec des pièces préemptées aux enchères.

En 2021, ses locaux du centre de Lyon (à 400 km au sud de Paris) ont fermé pour d’importants travaux de rénovation. En attendant sa réouverture, ses réserves et ateliers ont été déplacés non loin, près de la ville de Saint-Étienne.

Dans ce lieu tenu secret compte-tenu des trésors qu’il recèle, Anne-Rose Bringel s’arme maintenant d’un mini-aspirateur à brosse pour enlever les débris de colle, ainsi que la poussière accumulée sur le tissu, dont le lavage à l’eau est proscrit.

« Quand une oeuvre est sale, elle attire plus vite les insectes, et c’est un bon substrat pour les moisissures », indique-t-elle. La bête noire des conservateurs ? « Les poissons d’argent », friands d’humidité et de fibres naturelles.

Une conservatrice du patrimoine textile restaure un textile ancien dans les réserves et ateliers du Musée des Tissus de Lyon. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

L’air est donc toujours sec et la température stable entre ateliers et réserves. Les oeuvres sont elles systématiquement placées en quarantaine lorsqu’elles arrivent de l’extérieur.

On sait parfois très peu de choses sur leur « profil génétique », et Julia Gazères, chargée des analyses textiles, doit alors user de son microscope électronique. Sur son écran d’ordinateur, l’image distingue chaque fil de soie et d’or d’un tissu « techniquement très sophistiqué, digne d’ateliers royaux », décrit-elle.

Une conservatrice du patrimoine textile restaure un textile ancien dans les réserves et ateliers du Musée des Tissus de Lyon, dans un lieu tenu secret près de Saint-Etienne, dans le centre de la France, le 19 novembre 2024. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

Ce textile d’apparat (Turquie, 16e siècle) doit son bleu et son rouge à des colorants naturels de l’époque, « sûrement de la fleur d’indigo et des cochenilles écrasées ».

Éviter plis et exposition à la lumière

Dans les réserves, la « boîte aux merveilles » du musée, selon sa directrice générale Aziza Gril-Mariotte, les pièces sont entreposées à plat dans des boîtes en carton, ou en rouleaux pour les grands formats, afin d’éviter plis et exposition à la lumière, délétères pour la conservation.



Des conservatrices du patrimoine textile archivent des textiles anciens dans les réserves et ateliers du Musée des Tissus de Lyon. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

On y trouve des échantillons de la créatrice années 50 Andrée Brossin de Méré, motifs fruitiers ou colibris irisés; un tapis d’Inde occidentale, début 17e siècle, tissé d’animaux en fils dorés; une robe couture Carven (2004) en tissu d’ameublement de soie jaune Tassinari & Chatel…

Des conservatrices du patrimoine textile protègent des textiles anciens pendant qu’ils les archivent dans les réserves et les ateliers. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

Les « deux Joconde » du musée

Et surtout, les « deux Joconde » du musée, sourit Aziza Gril-Mariotte en dévoilant le premier trésor: un pourpoint de Charles de Blois, neveu du roi de France Philippe VI, en textile d’Irak datant du Moyen-Âge, jadis conservé comme relique à Angers (ouest).

Des conservatrices du patrimoine textile archivent un pourpoint textile médiéval irakien de Charles de Blois, neveu du roi Philippe VI de France. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

L’autre, une tunique funéraire égyptienne en lin, datée de 2.150 ans avant Jésus-Christ et quasi jamais exposée au public, repose deux allées plus loin dans un fin tiroir.

Une conservatrice du patrimoine textile ferme un tiroir alors qu’elle archive une tunique funéraire égyptienne en lin, datée de 2 150 avant J.-C. (Photo JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP via Getty Images)

« On a rarement autant de temps pour vérifier l’état des œuvres et les documenter »

Le projet de rénovation du musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon (les deux ont fusionné) est financé par la région et dirigé par le célèbre architecte français Rudy Ricciotti.

« Ces années de travaux sont vraiment une chance pour les collections et le musée », affirme Mme Gril-Mariotte. « Dans la vie d’une institution, on a rarement autant de temps pour vérifier l’état des œuvres et les documenter. »

Ce temps servira en outre à préparer le prochain parcours des collections, destiné à « raconter le vêtement, en tant qu’objet artistique, technique, et fait social », dit-elle, du kimono japonais à la mousseline la plus légère au monde.

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