ENTRETIEN — Fruit d’un compromis entre le camp présidentiel et l’opposition de droite, le projet de loi immigration aura connu un parcours chaotique jusqu’à son adoption par l’Assemblée nationale. Une victoire à la Pyrrhus pour le gouvernement, qui se retrouve désormais empêtré dans une crise inédite au sein de ses propres rangs. Rejeté par la gauche et une partie de la majorité, ce texte représente toutefois une avancée intéressante, mais insuffisante, aux yeux du Rassemblement national. Vice-présidente du RN et députée de la Gironde, Edwige Diaz revient dans cet entretien sur les tenants et aboutissants de cette nouvelle législation, son devenir incertain, ainsi que les dissensions fracturant le camp Macron, sans manquer de tacler sa communication.
Epoch Times : Quel regard portez-vous sur la nouvelle version du texte de loi issu de la Commission mixte paritaire et adopté ce mardi par l’Assemblée nationale ?
Edwige Diaz : Loin d’être parfait, ce texte va néanmoins dans le bon sens, puisqu’il reconnaît que l’immigration dans notre pays est insuffisamment contrôlée, qu’il établit le lien entre immigration et insécurité, et qu’il introduit la notion de priorité nationale, un principe très important pour le Rassemblement national. Cette loi comporte toutefois d’importantes carences. Défense des frontières, budget alloué à la lutte contre l’immigration clandestine, fraude au statut de mineurs non accompagnés, voies d’amélioration en matière d’exécution des OQTF… Autant d’aspects critiques à la gestion de l’immigration qui ne figurent pas dans cette nouvelle législation. C’est pourquoi nous pouvons parler d’acte 1 du durcissement de la politique migratoire française. L’acte 2 interviendra quand Marine Le Pen deviendra, je l’espère, présidente de la République en 2027. Nous proposerons alors aux Français un référendum pour modifier la Constitution.
D’aucuns dénoncent une énième loi qui ne changera rien, parce qu’elle ne supprime pas le droit du sol, ne restreint pas suffisamment le regroupement familial, et ne revoit pas l’accord franco-algérien de 1968.
Comme je l’ai dit, cette loi est imparfaite. Au Rassemblement national, nous souhaitons supprimer le droit du sol. Dans ce texte, il est durci. C’est donc un petit pas. Marine le Pen au pouvoir, nous le supprimerons, nous interdirons toute possibilité de régularisation d’un clandestin, et nous modifierons l’accord de 1968 avec l’Algérie. En 2022, ces points figuraient déjà dans le programme de Marine Le Pen. Aussi, nous avons voté en faveur de la proposition de révision des accords à l’occasion de la niche parlementaire des Républicains. Il n’existe aucune ambiguïté sur ce sujet.
Suite au vote de la loi immigration, le président de la République a annoncé saisir lui-même le Conseil constitutionnel. Mercredi, la Première ministre Elisabeth Borne a affirmé sur France Inter que certaines mesures du texte pourraient être jugées contraires à la Constitution. Peut-on s’attendre à ce que l’institution présidée par Laurent Fabius caviarde les dispositions de cette nouvelle législation perçues comme trop à droite ?
Oui. Et si le Conseil constitutionnel retoque les dispositions les plus fermes de ce texte de loi, alors cela nous permettra d’évoquer deux hypothèses. La première, la censure des articles en question met en lumière l’amateurisme, l’impréparation et même l’incompétence de M. Darmanin : quand on est ministre de la France, votre équipe est censée vous alerter sur l’éventuelle inconstitutionnalité de certaines mesures.
La seconde, M. Darmanin a fait passer des dispositions législatives tout en sachant pertinemment qu’elles seraient retoquées par le Conseil constitutionnel. Dans ce cas, une pareille manœuvre aura été la manifestation d’une profonde hypocrisie, signant alors une trahison à l’égard des Français. Pour une grande partie de nos concitoyens, cette loi apporte quelques éléments de satisfaction : je rappelle que 80% des Français veulent durcir la politique migratoire. Faire porter au Conseil constitutionnel la responsabilité du réassouplissement du texte, c’est-à-dire de sa gauchisation, illustrerait de surcroît la lâcheté politique de messieurs Darmanin et Macron.
Notons par ailleurs que si le texte était vidé de sa substance par l’instance, l’analyse de Marine Le Pen serait une fois de plus confirmée : pour reprendre en main notre politique migratoire, une modification de la Constitution par voie de référendum est indispensable.
« Je ne veux pas de loi immigration avec les voix du RN », a lancé Emmanuel Macron en réunion à l’Élysée, mardi soir, avant le vote du projet de loi. Que vous inspirent ses propos ?
Je trouve que les macronistes, qui nous ont habitués au déclenchement à répétition de 49.3, ont beaucoup de mal avec la démocratie. Non seulement ne respectent-ils pas le résultat issu des urnes en juin 2022, mais en plus, ils s’octroient le droit de décider quel député est le bienvenu à voter tel ou tel projet de loi. Ce qu’ils font, c’est un tri entre les députés, ce qui s’appelle de la discrimination. Il s’agit là d’un manque de respect vis-à-vis de la démocratie et du Parlement.
Quelques secondes après le vote de la loi immigration, Gérald Darmanin s’est félicité d’un texte adopté « sans les voix du Rassemblement national ». Que lui répondez-vous ?
Qu’il devrait apprendre à compter. Cette déclaration met en exergue sa mauvaise foi, mais surtout toute sa fébrilité, car s’il y en a un qui l’a échappé belle, c’est bien lui. Si le RN avait voté contre le projet de loi, ce texte ne serait pas passé.
Invité hier dans l’émission « C à vous », le chef de l’État a soutenu que l’adoption de la loi immigration était « une défaite du Rassemblement national », allant jusqu’à qualifier le vote de votre parti en sa faveur de manœuvre de « garçon de bain ». Comment réagissez-vous ?
Le président de la République, qui est un adversaire politique du Rassemblement national, a fait preuve hier d’une mauvaise foi éclatante. Pourquoi avons-nous voté ce projet de loi ? Parce que c’est la première fois qu’un texte explicite le fait qu’il y a trop d’immigration dans notre pays. C’est la raison pour laquelle il faut durcir les conditions d’attribution et de délivrance de carte de séjour ou de visa. Puisque ce texte fait également le lien entre immigration et insécurité, il permet de faciliter l’expulsion des délinquants étrangers et de déchoir de leur nationalité des binationaux qui se rendraient coupables de certains méfaits. Et surtout, c’est une loi qui, pour la première fois, instaure une forme de priorité nationale, notamment dans la délivrance d’aides sociales.
En acceptant de durcir son projet de loi sur l’immigration, le camp Macron s’est profondément fracturé. Comment analysez-vous la crise dans laquelle vient de plonger la majorité et quelles en seront, selon vous, les conséquences politiques dans les semaines à venir ?
Cette crise met en lumière toutes les limites du « en même temps ». En matière d’immigration, on ne peut pas en même temps vouloir durcir et assouplir. Quand l’aile droite et l’aile gauche du camp présidentiel se rencontrent sur un sujet tel que celui-ci, forcément, il ne peut pas y avoir consensus, d’autant qu’Emmanuel Macron a toujours été lui-même très flou sur le thème de l’immigration. Les députés macronistes se sont donc retrouvés confrontés à leurs propres incohérences.
Les conséquences de cette crise sont importantes et, surtout, amenées à durer. 62 députés membres de la coalition présidentielle se sont prononcés contre ce texte de loi, dont des figures éminentes de la macronie. Des anciens ministres du gouvernement en place comme M. Travert et Mme Hai, et le président de la commission des lois, M. Houlié ont voté contre, tandis que la co-rapporteure du texte, Mme Jacquier-Laforge, par ailleurs vice-présidente de l’Assemblée nationale, s’est, quant à elle, abstenue. Première conséquence visible, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a démissionné. Cela laissera logiquement des traces, particulièrement du fait que le débat public autour de la politique migratoire va bientôt reprendre de plus belle en cas de censure par le Conseil constitutionnel des mesures fermes de la loi immigration et à la faveur de la réforme de l’aide médicale d’État (AME), sur laquelle Elisabeth Borne s’est engagée. La fracture au sein de la majorité n’est donc pas près de se refermer.
Nous concernant, au Rassemblement national, il n’existe aucune divergence de point de vue sur le dossier immigration. Très claires, les propositions que nous formulons, disponibles sur le site internet du RN, sont en phase avec les attentes du pays. C’est pourquoi je demande aux Français de nous accorder leur confiance au moment des prochaines élections s’ils désirent que la politique migratoire de notre pays, enfin, change.
À ce sujet, diverses enquêtes d’opinion placent le Rassemblement national largement en tête des intentions de vote lors des élections européennes qui auront lieu en juin prochain. Selon un récent sondage Odoxa pour Public Sénat, votre parti recueillerait 31 % des suffrages, progressant de presque 8 % par rapport au dernier scrutin européen de 2019 et dépassant de 10 points la liste de la majorité présidentielle (21 %). Selon vous, de quoi ces sondages sont-ils le signe ?
Je pense que ces sondages sont consécutifs à l’excellent travail réalisé par Marine Le Pen, Jordan Bardella, nos parlementaires et élus locaux. Les Français prennent conscience que les dangers sur lesquels nous alertons depuis des années sont malheureusement en train de se réaliser. Également, ils constatent que les solutions proposées par nos adversaires politiques sont inefficaces et se rendent compte que nos propositions sont conformes à leurs attentes. De plus en plus de Français nous rejoignent par adhésion à nos idées. Me déplaçant très régulièrement dans les fédérations RN de France, j’observe un assentiment favorable croissant à notre programme. Surtout, je sens chez nos adhérents une détermination à œuvrer en faveur de la victoire.
Par ailleurs, nous accueillons de plus en plus de Français qui s’étaient réfugiés depuis un certain nombre d’années dans l’abstention, faute d’une offre politique adaptée à leurs attentes. Un vrai sursaut démocratique est en train de s’opérer. Aux Français qui aiment la France, souhaitent la défendre, espèrent la voir à nouveau rayonner et prospérer économiquement, nous leur disons : rejoignez-nous, vous avez votre place à nos côtés.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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