Malgré un engouement toujours plus fort pour le Made in France, le concept peine à exister d’un point de vue économique
Le Made in France a toujours autant de succès. Fabienne Delahaye, commissaire général du salon qui lui a été consacré Porte de Versailles, confirme : en quatre ans, le nombre d’exposants du salon est passé de 80 à 450 exposants et de 15 000 à 55 000 visiteurs. « On n’est pas dans un effet de mode, mais dans une prise de conscience des consommateurs qui veulent de plus en plus donner du sens à leurs achats », explique-t-elle.
Depuis la couverture du Parisien d’Arnaud Montebourg en marinière arborant un mixer, la France renoue avec le patriotisme économique. Pourtant, plusieurs freins existent toujours dans la consommation MIF, et un paradoxe, non des moindres, s’offre à lui : du point de vue des sciences économiques et sociales, le concept est difficilement définissable.
Prise de conscience
Philippe Sozedde, gérant de Roger Orfèvre, coutellerie de Thiers (63), présentait ses créations d’Arts de la table, certificat en main, ainsi que certains produits de la régions qui n’auraient aucune chance de gagner en visibilité sans un coup de promotion. Satisfait de la progression de son entreprise, Philippe Sozedde s’inquiète malgré tout de la disparition des artisans autour de lui : « Dès qu’un produit commence à fonctionner, celui-ci est rapidement copié, celui qui bénéficie de la récolte n’est pas forcément celui qui plante… Mais on est tenace », indique-t-il.
Son créneau, le qualitatif français, est aussi celui de beaucoup des exposants du salon, qui ont conscience que pour exister, il faut dépasser la concurrence et proposer le « meilleur au moins cher », et surtout, promouvoir sa marque.
Selon des statistiques d’Ifop, 89% des Français achèteraient un produit de provenance française plutôt qu’un produit étranger à équivalence de prix. Et 86% d’entre eux regardent les étiquettes.
« Quand vous allez au Royaume-Uni ou en Irlande, vous n’avez pas cette prise de conscience. À Dublin, les gens qui vont au supermarché ne regardent pas les étiquettes », note Alexandre Hilf, responsable opérationnel chez Made in France Box, ajoutant que « la France est très en avance sur cette prise de conscience ».
Chaque mois, son équipe sélectionne huit produits locaux d’une région et crée une box « Made in France » expédiée aux abonnés. Là encore, le qualitatif est privilégié et la concurrence est rude.
« Le Made in France, quand on en parle cinq minutes, tout le monde trouve cela super. Mais après, la plupart d’entre nous va faire ses courses au supermarché ». Le jeune homme croit à une démarche différente. « Pour trouver mes producteurs, je vais sur les pages jaunes, j’appelle les particuliers et je leur demande ce qu’ils me conseilleraient. Je ne vais même pas sur Internet car le référencement SEO des grosses sociétés est tellement puissant que si vous n’allez pas sur les pages 15-20 vous ne trouverez pas les petits producteurs », explique-t-il.
Contradictions et freins
Malgré sa popularité, le Made in France échappe mal à ses contradictions. Arnaud Montebourg, patriarche du concept, en a fait l’expérience : son livre, Le Retour de la France, a été imprimé en Italie. Après avoir « passé un savon à [son] éditeur », l’ancien ministre a concédé sur Europe1 : « vous voyez en quoi c’est une cause difficile […] je me suis fait prendre ».
Cette notion de patriotisme économique, si elle rencontre un succès grandissant, peine à se définir sur l’économie de marché actuelle. Car le dynamisme et les emplois dépendent de la croissance, et non du lieu de production. Jean-Christophe Hauguel, docteur en économie de l’École de Management de Normandie, écrit dans un article de The Conversation : « La sacro-sainte croissance n’est pas le fruit de la production mais de la valeur ajoutée. Et seule la valeur ajoutée est source de la croissance. Produire en France pour 100 et vendre en France pour 110 est moins générateur de PIB et d’emplois que produire à l’étranger pour 50 et vendre en France pour 150 ».
L’artisanat français issu des PME suit un modèle difficilement comparable à celui des grands groupes. Par exemple, les chiffres communiqués par Total indiquent que 67,8% des 100 307 collaborateurs du groupe ne sont pas français, et que seulement 27,9% du capital est détenu par des actionnaires français. Et seulement 22% du chiffre d’affaire de Total est réalisé en France. Les modèles économiques des grands groupes, du processus de leur production à la distribution, impliquent souvent des acteurs étrangers.
L’idée du Made in France est bien partie pour faire rêver. Mais pour se faire une place durable face aux produits concurrents, celle-ci devra être plus qu’une bonne idée. Difficile de statuer, à ce jour, qu’un renforcement du protectionnisme permettrait aux produits français de mieux se défendre face à la concurrence étrangère. La signature du CETA (en français Accord Économique et Commercial Global, AÉCG) et la facilité avec laquelle les produits de demain seront importés et exportés promettent une concurrence plus difficile dans le cas où de nouveaux produits canadiens s’inviteraient sur les étalages français, mais donnerait également l’opportunité aux produits français de mieux s’exporter.
Jean-Christophe Hauguel compare le Made in France aux grands clubs de foot. « Manchester United, le Real Madrid ou le PSG clubs made in « England », « Spain » ou « France » sont des clubs historiques, fondés sur des valeurs locales fortes, faisant rêver des milliers de supporters locaux et soutenant l’économie locale. Mais pour être compétitifs dans leur domaine, ils composent des équipes de joueurs multiculturels, entraînés par des « étrangers », soutenus par des équipementiers, des investisseurs et des sponsors internationaux, entretenant des réseaux de millions de supporters dans le monde entier », conclut-il.
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