Quarante-quatre ans plus tard, un témoignage a relancé en juin 2023 l’enquête pour éclaircir les causes du décès de Robert Boulin, ancien ministre de Valéry Giscard d’Estaing, retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet en 1979.
Alors que l’enquête en cours depuis 2015 s’acheminait vers un non-lieu, après un avis de fin d’information judiciaire et un réquisitoire du parquet en ce sens, la manifestation spontanée d’un témoin en 2022 a tout changé. « Cette audition relance l’instruction toujours en cours », a confirmé vendredi le parquet de Versailles sollicité par l’AFP.
Dans son réquisitoire définitif en 2022, le parquet avait estimé ne pas avoir assez d’éléments pour conclure à un assassinat.
Entendu en 2023 par la juge d’instruction, selon une source proche du dossier, le témoin mentionne plusieurs personnes impliquées à divers degrés dans l’assassinat de M. Boulin, 59 ans, alors membre du RPR et ministre du Travail du gouvernement de Raymond Barre.
L’homme politique avait auparavant occupé plusieurs portefeuilles sous les présidences de Charles de Gaulle et Georges Pompidou, et pendant le septennat en cours de Valéry Giscard d’Estaing.
« Ce témoin est clair et précis : il livre des noms, des dates, des éléments concrets, comme tant d’autres témoins qui attendent encore d’être entendus par la justice », a réagi pour l’AFP Marie Dosé, avocate de la fille du ministre, Fabienne Boulin-Burgeat.
Faire potentiellement de l’ombre à Jacques Chirac
Pour elle, c’est désormais une certitude : « plus personne ne peut objectivement soutenir aujourd’hui que Robert Boulin s’est suicidé, sauf ceux qui ont intérêt à le faire. »
Selon la source proche du dossier, M. Boulin a été violenté par plusieurs hommes pour le détourner de ses ambitions politiques supposées, potentiellement susceptibles de faire de l’ombre à Jacques Chirac alors patron du RPR.
Ce témoin cite deux hommes politiques de l’époque qu’il dénonce comme donneurs d’ordre, poursuit cette source : Pierre Debizet, patron du Service d’action civique (SAC), le service d’ordre du parti gaulliste, et Charles Pasqua, l’un des premiers dirigeants du SAC fondé en 1958.
Toujours selon la source, cette opération a alors mal tourné, et M. Boulin a été tué, son corps disposé de manière à simuler une noyade.
À l’époque, les enquêteurs concluent à un suicide par noyade après ingestion de barbituriques. Le ministre venait en effet d’être mis en cause concernant les conditions d’acquisition d’un terrain à Ramatuelle (Var). Une version contestée par la famille de la victime, qui avait relancé les investigations en déposant une plainte avec constitution de partie civile en 1983.
En septembre 1991, un non-lieu clôt l’instruction pour homicide volontaire, sans entamer la détermination de la famille, convaincue que Robert Boulin a été assassiné parce qu’il disposait d’informations sur un financement occulte de sa famille politique.
L’État assigné pour « faute lourde »
Fabienne Boulin-Burgeat demande plusieurs fois – en vain – la réouverture de l’instruction.
En 2015, elle dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, procédure qui permet d’obtenir quasiment systématiquement la désignation d’un juge d’instruction, sur la base du témoignage d’un homme ayant vu deux individus dans le véhicule du ministre le jour de sa mort.
Trois mois plus tard, le parquet de Versailles ouvre une information judiciaire pour arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat. Ces investigations s’achèvent en 2022, sans qu’aucun suspect ne soit mis en examen. Le parquet requiert alors un non-lieu, invoquant l’absence de preuves dans le dossier.
Des conclusions arrivées à la fin d’une information judiciaire « pas ou peu investie », avait déploré Me Dosé en 2022. L’avocate critiquait depuis plusieurs années « l’enterrement » de l’instruction, et s’était notamment indignée des refus d’actes en septembre 2021.
En parallèle, Mme Boulin-Burgeat a assigné en juin 2021 l’État pour « faute lourde », estimant que la justice avait failli dans cette affaire. « Je ne désespère pas de la justice car je suis résolument démocrate mais cela fait 42 ans que j’attends que la justice se fasse, je suis très patiente mais cela abîme notre démocratie de ne pas tout faire pour connaître la vérité sur la mort de mon père », avait alors déclaré la fille du ministre.
En 2019, des journalistes avaient demandé à Emmanuel Macron l’ouverture des archives des services de renseignement concernant cette affaire.
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