Les pieds dans un pré verdoyant balayé par le vent et entouré de vaches blanches et noires, Jaap Sinke indique avec fierté l’endroit où sera posée la première pierre de la méga-église de Yerseke, petite bourgade de Zélande, une région bordée d’eau dans le sud-ouest des Pays-Bas.
Jaap Sinke est conseiller municipal pour le parti des protestants rigoristes (SGP), crédité de seulement trois sièges de députés au Parlement mais très présent localement, comme à Yerseke, où il est aux commandes.
Ce village de 7.000 habitants, connu pour sa mytiliculture et prisé chaque année par les touristes lors d’une journée entièrement dédiée aux moules, devrait bientôt disposer d’une église protestante de plus de 2.000 places entièrement financée par la communauté religieuse.
Cette méga-église, dont les travaux devraient commencer l’an prochain, sera la plus grande aux Pays-Bas en termes de superficie, édifiée sur une parcelle de trois hectares. Celle de Opheusden (centre), également réformée, reste la plus importante en termes de places assises, avec 2.850 sièges.
La situation est insolite car aux Pays-Bas comme ailleurs en Europe, il n’est pas rare de voir des lieux de cultes transformés en logements ou laissés à l’abandon par une population de moins en moins pratiquante, particulièrement dans les villes.
Mais pas en Zélande. Dans cette région émaillée de petits villages, l’importance religieuse et sociale de se retrouver à l’église le dimanche est préservée. Ici, où la communauté est orthodoxe, « on vit selon la Bible et se rendre à l’église fait partie des obligations », explique Jaap Sinke. Et comme la population de Yerseke est en croissance, la communauté religieuse l’est aussi, relève-t-il.
En Zélande, les ailes des églises sont agrandies, les édifices restaurés et de nouveaux lieux de cultes sortent de terre. C’est dans cette région que prend racine la « ceinture de la Bible », une diagonale fictive allant du sud-ouest au centre du pays et qui compte la plus forte concentration de protestants calvinistes orthodoxes.
« Les trois communes voisines de Yerseke ont toutes agrandi leurs églises ces dix dernières années », indique Jaap Sinke, qui s’est longtemps battu au sein du conseil municipal pour permettre la construction du futur « bijou », une église « moderne, élancée, avec de l’allure ».
L’église actuelle est bien trop petite aux yeux de cet homme, sobre et pragmatique, à l’instar de ses compatriotes. « Ce n’est plus possible. Cela fait des années que nous rajoutons des chaises et des bancs pour essayer de faire rentrer tout le monde. Le premier rang est collé à la chaire du pasteur », raconte M. Sinke.
Tous les dimanches, deux fois par jour, plus de 1.400 fidèles s’amassent dans l’église pendant que d’autres préfèrent regarder la retransmission de la messe à la maison par peur de ne pas avoir de place assise. La communauté ne cesse de croître et compte aujourd’hui 2.300 membres. Depuis sa construction dans les années 1960, l’église de Yerseke a subi plusieurs agrandissements. Durant les travaux, la messe était dite dans l’entrepôt à bulbes du presbytérien.
Après 15 ans de tergiversations puis de recherche d’un terrain approprié, le conseil municipal a voté en 2017 pour la construction d’une méga-église sur la parcelle d’un agriculteur d’accord pour la vendre. La superficie du bâtiment sera 10 fois supérieure à celle de l’église actuelle située dans le centre-ville, coincée entre les maisons et jardins d’habitants lassés par le ballet dominical des voitures.
« La nouvelle église sera bâtie en lisière de l’agglomération et aura un parking de 350 places et un souterrain qui pourra abriter 700 vélos », se réjouit M. Sinke, homme à lunettes et calvitie apparente. Mais une dizaine de villageois farouchement opposés à la construction d’un édifice aussi imposant, à cause de la gêne que sa fréquentation assidue impliquera, ont saisi le Conseil d’Etat. Il rendra une décision « après les vacances d’été », selon M. Sinke.
L’opposition au sein du conseil municipal a, elle, rendu les armes. « J’étais contre le projet. Il y a un parc naturel à quelques centaines de mètres du terrain », déclare Marien Weststrate, chef de file de Leefbaar Reimerswaal, parti local. Mais « je vois bien que de plus en plus de personnes se rendent à l’église et qu’il en faut une plus grande », poursuit ce grand moustachu, qui dit préférer « vivre sa foi » chez lui.
« En un demi-siècle, la fréquentation des églises a radicalement diminué chez les catholiques aux Pays-Bas. De nombreux lieux de culte ont fermé et des paroisses ont fusionné », explique Peter Nissen, professeur de théologie à l’Université de Nimègue (est). Mais du côté des protestants, c’est un autre son de cloche: environ 20% d’entre eux assistent aux offices religieux, contre 6% chez les catholiques.
La fréquentation des églises bat des records au sein de l’Eglise réformée de tradition orthodoxe, comme à Yerseke, où la religion est toujours synonyme d’« un fort lien social », poursuit M. Nissen. « Cette communauté compte plus de 100.000 personnes aux Pays-Bas et grandit chaque année de quelques centaines de membres », souligne le théologien.
Sur le parvis de la petite église de Yerseke, raconte Jaap Sinke, cela « fourmille » d’adolescents et de jeunes parents le dimanche.
DC avec AFP
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