Est-il possible de disqualifier l’ancien président Donald Trump d’un nouveau mandat présidentiel ? La réponse à cette question dépend en partie de la réponse à celle-ci : la clause de « disqualification » du 14e amendement de la constitution américaine s’applique-t-elle à un candidat à la présidence ?
Dans l’affaire jugée dans le Colorado sur ce point, le juge de première instance a répondu : « non, ce n’est pas le cas. » Elle a conclu que la clause de disqualification du 14e amendement s’appliquait à de nombreuses fonctions, mais pas à la présidence. Elle a donc rejeté la plainte contre le président Trump.
Cependant, la Cour suprême de l’état du Colorado a répondu à cette question par l’affirmative, annulant la décision du juge de première instance.
Cette question suscitera sans doute un long débat. [La Cour suprême des États-Unis en a d’ailleurs été saisie.]
Le 14e amendement et la Cour suprême du Colorado
L’article 3 du 14e amendement interdit à toute personne qui s’est « engagée dans une insurrection ou une rébellion contre les [États-Unis] » d’exercer certaines fonctions énumérées. Les fonctions énumérées incluent le Congrès, les électeurs présidentiels et « toute fonction (…) sous l’autorité des États-Unis » (« any office (…) under the United States”).
La présidence et la vice-présidence ne sont pas mentionnées, du moins pas explicitement. Toutefois, les juges de la Cour suprême du Colorado, comme beaucoup d’auteurs, affirment que la présidence y est incluse, parce qu’il s’agit d’une « fonction (…) sous l’autorité des États-Unis ».
Les juges du Colorado ont écrit : « Lorsque nous interprétons la Constitution, nous préférons l’usage normal et ordinaire d’une phrase à des significations secrètes ou techniques qui n’auraient pas été connues des citoyens ordinaires de la génération [des Pères] fondateurs. »
Toutefois, ce commentaire sous-estime la compétence des auteurs de la Constitution. Il s’agissait de rédacteurs juridiques hautement qualifiés et pleinement conscients de la responsabilité historique dont ils étaient investis. Le document qu’ils ont produit est clair. Il ne recèle pas de signification « secrète », quand bien même des auteurs modernes, ignorant les circonstances du 18e siècle, puissent penser le contraire.
Le commentaire de la Cour manifeste également une sous-estimation des personnes qui ont ratifié la Constitution. La génération des Pères fondateurs était exceptionnellement instruite en matière juridique. L’expression « fonction (…) sous l’autorité des États-Unis (« Office under the United States ») succédait de manière évidente à l’expression britannique extrêmement courante « fonction (…) sous l’autorité de la Couronne » (« Office under the Crown »). En tant qu’anciens sujets de l’Empire britannique, la génération des Pères fondateurs avaient entendu et utilisé cette expression durant toute leur vie.
Comment prétendre que ceux qui ont ratifié la Constitution américaine n’ont pas compris le sens d’une expression juridique d’un document juridique aussi important, aussi méticuleusement examiné et largement débattu que la Constitution?
Que signifie l’expression « fonction sous l’autorité des États-Unis » dans la Constitution originale ?
Les juges du Colorado ont omis de considérer l’évidence indéniable que, lorsque la Constitution utilise l’expression « fonction sous l’autorité des États-Unis », elle ne se réfère qu’à des fonctions nommées – telles que le secrétaire d’État ou le secrétaire au Trésor. Ce fait entraîne logiquement que l’expression « fonction sous l’autorité des États-Unis » n’inclut pas les fonctions électives, telles que celles des sénateurs, des députés, du vice-président ou du président.
Voici le contexte :
La Constitution emploie des termes clés qui reviennent sans cesse – parmi lesquels, les mots « fonction » (« Office ») et « fonctionnaire » (« Officer »). Parfois, la Constitution les emploie tels quels. À d’autres occasions, elle ajoute les termes « des États-Unis » ou « sous l’autorité des États-Unis ».
Il y a plus d’une décennie, Seth Barrett Tillman, un juriste américain travaillant en Irlande, a fait remarquer que l’usage du terme « fonction » (« office ») n’est pas aléatoire. Il a repéré des schémas. Ces schémas se manifestent à la fois dans le processus de rédaction et dans la Constitution finale. M. Tillman a également relevé des faits historiques concordant avec ces schémas.
Depuis, Josh Blackman, également juriste, a abondé dans le même sens. M. Tillman et lui ont tenté de reconstituer le sens de tous ces termes et phrases-clés.
Ils ont conclu que, tel que le suggère la Constitution, le terme « fonction » (« Office ») englobe la présidence. Toutefois, ils concluent également que, dans le cas où ce terme est complété de la mention « des États-Unis » ou « sous l’autorité des États-Unis », seuls les fonctionnaires nommés sont désignés.
Selon MM. Tillman et Blackman, les deux expressions « Office of the United States » et « Office under the United States ») n’incluent ni l’une ni l’autre les fonctions électives. Elles ne s’appliquent pas aux membres du Congrès, ni au président ou au vice-président.
M. Tillman et M. Blackman démontrent leurs argument par un grand nombre de preuves.
Par exemple :
Dans la pratique britannique, l’expression « fonctionnaires sous la Couronne » (« officers under the Crown ») ne désigne que les postes nommés, et non les postes élus.
La Constitution stipule que le président « commissionne tous les fonctionnaires des États-Unis » (“shall Commission all the Officers of the United States”) (article II, section 3). En d’autres termes, le président remet à chaque fonctionnaire des États-Unis des documents qui confirment et expliquent l’autorité du fonctionnaire. Mais se commissionner soi-même serait, disons, gênant. Et personne n’a jamais sérieusement suggéré que le président devait se commissionner lui-même ou commissionner d’autres élus. Le président ne pourrait donc pas être un « fonctionnaire des États-Unis ».
La Constitution (article II, section 4) autorise la mise en accusation du « président, du vice-président et de tous les fonctionnaires civils des États-Unis ». Si le président et le vice-président étaient des fonctionnaires des États-Unis, il ne serait pas nécessaire de les énumérer séparément.
La Constitution traite les serments du président et des membres du Congrès séparément des serments des « fonctionnaires des États-Unis ».
La Constitution comprend également une clause relative aux émoluments étrangers (article I, section 9, clause 8). Elle interdit aux fonctionnaires sous l’autorité des États-Unis d’accepter des cadeaux de la part de fonctionnaires étrangers. Or, le président George Washington a accepté de tels cadeaux sans que personne ne s’y oppose. Il est vrai que l’on hésitait à critiquer le président Washington. Le président Thomas Jefferson, lui, a été vivement critiqué, mais pas pour les cadeaux qu’il avait reçus d’agents étrangers. Tout cela indique que la génération des Pères fondateurs ne considérait pas le président comme un « fonctionnaire des États-Unis » (« Officer under the United States).
Au cours du premier mandat du président Washington, le Sénat a demandé au secrétaire au Trésor Alexander Hamilton de dresser une liste de tous les fonctionnaires « sous l’autorité des États-Unis » (« under the United States »). La liste d’Alexander Hamilton incluait tous les postes nommés, mais excluait les postes électifs, y compris la présidence.
Je ne dis pas que les preuves fournies par Tillman-Blackman sont irréfutables. Certains des événements sur lesquels ils s’appuient se sont produits après la ratification de la Constitution. Comme je l’ai expliqué ailleurs (ndt. dans cet ouvrage), ces preuves en particulier ne sont pas suffisantes lorsqu’il s’agit de reconstituer comment ceux qui ont ratifié la Constitution l’appréhendaient plusieurs années auparavant. D’un autre côté, les preuves de MM. Tillman et Blackman fondées sur les années 1790 ont le mérite de ne pas avoir été contestées.
Qu’entend le 14e amendement par « fonction sous l’autorité des États-Unis » ?
Je me suis plongé dans l’histoire de la fondation des États-Unis il y a plus de 30 ans. Bien plus tard, je me suis intéressé à l’adoption du 14e amendement. Le Congrès a proposé cet amendement en 1866 et sa ratification s’est achevée en 1868.
J’ai découvert que les responsables du 14e amendement – les rédacteurs, les auteurs de la proposition, et ceux qui l’ont approuvé – étaient pour la plupart bien intentionnés. Mais ils étaient loin d’être aussi compétents que les auteurs et les signataires de la Constitution originale.
Les responsables du 14e amendement n’avaient tout simplement pas les connaissances étendues des Pères fondateurs, ni leur capacité de rédaction, ni la compréhension adéquate de la signification précise de ce que voulaient dire les Pères fondateurs. C’est là l’une des principales raisons pour lesquelles les désaccords continuent aujourd’hui concernant tant de phrases clés du 14e amendement.
Il existe une règle d’interprétation juridique concernant la marche à suivre face à ce type d’incertitude. Cette règle veut que lorsqu’un amendement emploie un mot ou une phrase de la Constitution originale, on devrait présumer que les auteurs de l’amendement ont utilisé la phrase de la même manière que la Constitution originale. Cela suggère que « fonction sous l’autorité des États-Unis » (« office under the United States ») dans le 14e amendement possède le même sens que dans la Constitution originale. À ma connaissance, aucune preuve du contraire n’existe.
Par conséquent, si le président n’est pas un « fonctionnaire des États-Unis » dans la Constitution originale, il ne l’est pas non plus dans le 14e amendement.
Pourquoi exclure le président ?
Pourquoi, en vertu du 14e amendement, un ancien insurgé serait-il disqualifié pour la plupart des fonctions, mais non pour la présidence ? Voilà une autre question pour laquelle le manque de clarté des rédacteurs et des ratificateurs de l’amendement exaspère. Toutefois, voici quelques raisons possibles :
Tout d’abord : tous les fonctionnaires disqualifiés énumérés dans le 14e amendement sont choisis au sein de chaque État. À l’époque, en l’absence d’une règle de disqualification, il y aurait eu de fortes chances que des États autrefois confédérés, tels que la Virginie et le Mississippi, choisissent d’anciens insurgés confédérés pour occuper des postes au niveau des États ou du Congrès.
En revanche, le président est élu au niveau national. Lorsque le 14e amendement a été adopté, les 11 anciens États confédérés représentaient moins du tiers de l’ensemble des États. Ils représentaient également moins du quart de la population nationale. Les chances qu’un ancien Confédéré soit élu président étaient effectivement nulles.
Deuxièmement : bien que la présidence soit une fonction nationale, les mécanismes des élections présidentielles sont définis par les fonctionnaires de chaque État. Si un candidat à la présidence était accusé d’être un ancien insurgé, les fonctionnaires de l’État devraient déterminer si tel est effectivement le cas. La conclusion pourrait varier d’un État à l’autre, aboutissant à la situation que l’on connait aujourd’hui.
Cette incertitude problématique a peut-être incité les auteurs du 14e amendement à contourner ce risque en excluant les candidats à la présidence de toute disqualification formelle. Après tout, les chances qu’un ancien Confédéré soit élu président étaient de toute façon nulles.
Troisièmement : le 14e amendement permet au Congrès, par un vote des deux tiers de chaque chambre, de lever une disqualification. Il est possible que les auteurs du 14e amendement aient conclu que, si un ancien rebelle était, par miracle, élu président, son élection représenterait le pardon d’une autorité encore plus élevée que le Congrès : le peuple américain.
Quatrièmement : si la présidence faisait partie des fonctions pour lesquelles un candidat peut être disqualifié, un ancien insurgé cherchant à obtenir le poste pourrait négocier avec le Congrès pour lever cette disqualification. Cela pourrait conduire à toutes sortes de corruption. Il pourrait également en résulter une soumission de la présidence au Congrès.
Les points abordés ci-dessus sont autant de considérations sérieuses. Elles ne doivent pas être écartées à la légère.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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