Dans un campement isolé d’un parc national en Thaïlande, des gardes-forestiers en tenue de camouflage plaquent au sol deux acteurs qui jouent les braconniers, un exercice d’entraînement destiné à lutter contre le trafic très lucratif d’animaux sauvages.
« Foncez! », hurle le chef d’équipe Kritkhajorn Tangon avant que ses hommes ne s’en prennent aux faux trafiquants retrouvés près des bois d’un cerf Sambar qu’ils nient farouchement avoir découpé à l’aide d’une machette. Plus d’une douzaine de gardes-forestiers participent à cette formation, organisée pendant une semaine par l’ONG de lutte contre la traite Freeland, dans le parc de Khao Yai à une centaine de kilomètres au nord-est de Bangkok.
La Thaïlande est un point de transit essentiel vers le Vietnam et la Chine qui font partie des principaux débouchés pour ce commerce illégal, l’un des plus lucratifs au monde avec des revenus se chiffrant en milliards de dollars. Les produits dérivés notamment à base de cornes d’éléphants, de rhinocéros ou d’écailles de pangolin sont utilisés dans la médecine traditionnelle des deux pays pour leurs vertus, très controversées, contre le cancer, l’impuissance ou d’autres maladies.
La Thaïlande compte quelque 14.000 gardes-forestiers, mais ils manquent de moyens et ne sont pas suffisamment formés. Cet entraînement a pour but de leur apprendre à rassembler des preuves, protéger une scène de crime et utiliser des techniques médico-légales. « Nos compétences en matière d’enquête sont encore faibles », relève Kritkhajorn à l’AFP. Quand les gardes « se retrouvent dans ces situations, ils peuvent commettre des erreurs dans la collecte des preuves », souligne-t-il, ce qui peut parfois conduire à faire relâcher des suspects.
Les indices matériels sont indispensables, car ils « ne peuvent pas être manipulés alors qu’un témoin oculaire peut retirer son témoignage », relève de son côté Petcharat Sangchai, un policier à la retraite qui dirige Freeland en Thaïlande. Mercredi, Boonchai Bach, un Vietnamo-thaïlandais soupçonné d’être l’un des barons de ce trafic, a ainsi été relaxé « au bénéfice du doute » après qu’un témoin à charge soit revenu sur son témoignage, le tribunal estimant également ne pas avoir assez de preuves à son encontre.
Il avait été arrêté, début 2018 dans le nord-est du pays, soupçonné d’avoir organisé le trafic de quatorze cornes de rhinocéros d’une valeur d’environ un million de dollars. L’impunité prévaut à l’encontre des trafiquants qui peuvent souvent se prévaloir d’appuis dans les hautes-sphères de la société et particulièrement dans les milieux politiques. Le braconnage et le trafic d’espèces sauvages impliquent en effet des réseaux transnationaux de criminalité organisé.
Ils « exploitent les lacunes de la loi, ils exploitent le manque de compréhension des juges et des procureurs et c’est pourquoi ils gagnent », déplore Tim Redford, directeur des programmes de Freeland. Le cas de Premchai Karnasuta, une des plus grosses fortunes de Thaïlande, est emblématique. Patron du groupe Italian-Thai development, l’une des plus importantes entreprises de BTP du royaume, le magnat avait été arrêté en février pour avoir tué plusieurs animaux protégés, dont un léopard noir, dans un parc national de l’ouest du pays.
Après avoir nié les faits, il a été libéré sous caution, au grand dam des associations écologistes. Inculpé pour « chasse illégale et possession illégale de carcasses d’animaux protégés », il a été jugé fin 2018 et la cour devrait rendre son verdict en mars. Sera-t-il condamné? Parmi les gardes-forestiers formés dans le parc national de Khao Yai, l’affaire est dans tous les esprits.
« Si vous saviez qui est mon patron, vous auriez des frissons! Mon patron est Premchai! », se met à crier l’un des faux braconniers pendant un exercice, déclenchant une hilarité teintée d’inquiétude chez les gardes-forestiers. Quinze sont tués chaque année en Thaïlande dans l’exercice de leur fonction.
D.C avec AFP
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