Devant la petite mosquée de Luggere, hameau peul entouré de collines verdoyantes, une foule s’est rassemblée pour la prière du vendredi: la population a doublé ces derniers jours pour accueillir les habitants de deux villages voisins, attaqués en début de semaine par des jeunes armés de fusils. Sans doute s’agissait-il de représailles aux massacres du 23 juin qui ont fait plus de 200 morts parmi les communautés berom, agriculteurs majoritairement chrétiens, attribuées à des éleveurs peuls, dans le même district de Barakin Ladi (centre).
« Lundi, nous étions à la maison quand des gens ont commencé à tirer et brûler nos maisons, les greniers et les abris ont été réduits en cendres », raconte Harira Ibrahim, 35 ans, qui a fui avec ses 10 enfants et son mari. « Nous sommes venus sans rien, ce sont nos frères ici qui nous ont donné des matelas et des vêtements, on ne peut même pas y retourner car les milices rôdent ». Près de 500 personnes arrivées à Luggere dorment ainsi dans les salles de classe de l’école.
Largement passé sous silence dans les médias nationaux, focalisés sur les tueries de masse du week-end, l’événement a été confirmé par la police de l’Etat du Plateau, qui n’a toutefois donné aucun bilan. Il s’inscrit dans un cycle de vengeance sans fin entre les deux communautés qui s’affrontent pour l’accès aux ressources dans toute la ceinture centrale du Nigeria: les agriculteurs chrétiens, qui revendiquent leur indigénéité, accusent les éleveurs musulmans de saccager leurs cultures avec leurs troupeaux et de vouloir accaparer leurs terres.
Les éleveurs nomades dénoncent l’expansion des fermes agricoles empiétant sur les routes de transhumance et les réserves de pâturage qui leur sont réservées. Dans la région du Plateau, beaucoup d’entre eux sont des semi-nomades, pratiquant à la fois l’élevage et l’agriculture, et revendiquent leur ancienneté sur ces terres riches où poussent l’igname et le maïs, mais aussi toutes sortes de fruits et légumes.
Adam Musa, 52 ans, est né à Luggere, tout comme son père et son grand-père. « Je ne comprend pas ce qui se passe. Quand j’étais jeune les Berom nous confiaient leurs enfants pour garder les troupeaux parce qu’il n’y avait pas d’emploi », en échange d’une vache par an. Sur la piste cabossée menant à Luggere, plusieurs villages berom ont été abandonnés à la hâte. Dans les cours de maisons incendiées, jonchées de bris de verre et de plastiques, quelques poules et des chiens apeurés sont les seuls occupants.
Les visages peuls se ferment lorsqu’on évoque les attaques contre les chrétiens. Tous affirment de pas connaître l’identité des assaillants, qui ont fait preuve d’une extrême violence, mettant le feu aux maisons avec des familles à l’intérieur ou massacrant de très jeunes enfants, selon de multiples témoignages recueillis par l’AFP. Mais selon un responsable local du principal syndicat d’éleveurs nigérian, ce drame est survenu après une série de provocations à l’encontre des Peuls depuis avril.
« Pas moins de 500 bêtes ont été volées par les fermiers berom, et entre les attaques et embuscades de nos bergers en brousse nous avons perdu près de 70 personnes, elles ont toutes été tuées », affirme Abubakar Gambo, du Miyetti Allah Cattle Breeders Association of Nigeria (Macban). « C’est comme ça que les choses ont commencé et qu’elles sont devenues hors de contrôle », déplore-t-il.
Les Peuls alimentent de nombreux fantasme et sont souvent décrits comme des « étrangers » venus « islamiser » les zones chrétiennes du Nigeria, notamment par les éditorialistes faisant référence à Usman Dan Fodio, jihadiste peul qui fonda l’empire de Sokoto (nord) au 19e siècle. Avec l’élection en 2015 du président Muhammadu Buhari, un Peul musulman, leur stigmatisation a empiré, ses détracteurs accusant les nordiste, et les Peuls, d’avoir un programme dissimulé pour dominer le Sud majoritairement chrétien.
Sa lenteur à condamner les violences pastorales qui n’ont cessé de prendre de l’ampleur dans tout le pays depuis un an, tout comme l’incapacité des forces de sécurité à protéger les populations ont attisé les frustrations et les rancœurs. Beaucoup lui reprochent d’avoir nommé essentiellement des Haoussas ou Peuls à des postes clés dans l’armée et la police, accusés d’encourager l’impunité.
« La réalité, c’est que les éleveurs font l’objet de sérieuses discriminations », assure Abubakar Gambo, en évoquant le sentiment d’abandon et surtout le difficile accès à l’éducation de nombreux enfants peuls. A la fin des années 80, les autorités fédérales avaient mis en place un programme d’« écoles nomades » en zones rurales pour lutter contre l’illettrisme, qui a plus ou moins fonctionné.
« L’école de Luggere, c’est nous qui l’avons construite, pas le gouvernement », explique le représentant peul. « Nous avons besoin de bons professeurs diplômés mais avec les violences cela fait des années qu’ils ne viennent plus ».
DC avec AFP
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