Fraude à la Sécurité sociale : « Au moins 2,35 millions de personnes en trop dans le système touchent des prestations »

Par Paul Tourège
7 juin 2019 18:57 Mis à jour: 12 juillet 2019 20:37

11,85 millions de personnes nées à l’étranger perçoivent des prestations de la part de la Sécurité sociale alors que seules 9,5 millions y auraient droit.

Ancien magistrat en charge de la coordination de la lutte contre la fraude aux finances publiques de 2008 à 2012, Charles Prats avait alerté sur l’existence d’une fraude documentaire massive au mois de décembre 2018.

Se fondant sur les conclusions d’une enquête menée par les services dont il avait la charge pendant son passage à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), M. Prats avait révélé qu’environ 1,8 million de numéros de sécurité sociale frauduleux avaient été attribués sur la base de faux documents en 2011.

Un chiffre colossal à l‘origine de plusieurs milliards d’euros de prestations sociales indûment versées. Interrogé sur France 5 le 14 janvier, Charles Prats avait estimé que le montant de la fraude incriminée pouvait atteindre près de 14 milliards d’euros.

Le 4 juin, un rapport du Sénat estimait néanmoins que le montant des prestations versées chaque année à des personnes nées à l’étranger et disposant d’un numéro de sécurité sociale français obtenu de manière frauduleuse était compris entre 200 et 800 millions d’euros. Un chiffre largement en deçà de celui avancé par Charles Prats il y a quelques mois.

« Il ne devrait y avoir au maximum qu’environ 9,5 millions de NIR ‘actifs’ »

Interrogé par Le Figaro, le spécialiste de la fraude fiscale et sociale a toutefois mis en avant que les informations contenues dans le rapport sénatorial indiquaient au contraire que la situation était encore plus inquiétante que prévu.

« Le rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat pousse son estimation haute à 1,2 milliard d’euros de fraude annuelle sur les numéros de sécurité sociale attribués à des personnes nées à l’étranger », commence Charles Prats.

« Ses estimations sont très en dessous de celles menées en 2011 et 2013 par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. La mission sur la fraude aux prestations sociales confiée par le premier ministre Édouard Philippe à la sénatrice Nathalie Goulet permettra d’approfondir le sujet et de valider ou invalider les données de ce rapport sénatorial ponctuel », poursuit le magistrat.

« Mais la principale information, c’est que le rapporteur général du budget de la sécurité sociale a enfin déterminé le nombre de numéros de sécurité sociale (NIR) ‘actifs’ attribués à des personnes nées à l’étranger : 56,4 % des 21 millions de NIR du stock ont perçu des prestations sociales dans les douze derniers mois, soit 11,85 millions de NIR », ajoute-t-il.

« L’Insee a établi lors du dernier recensement que 7,9 millions de personnes nées à l’étranger résident en France. La Caisse nationale d’assurance vieillesse verse des prestations à environ 1,1 million de personnes qui résident hors de France, dont des anciens travailleurs étrangers rentrés dans leur pays. Il y a un peu plus d’un demi-million d’habitants dans les collectivités dont les habitants sont immatriculés selon la même méthode que les gens nés à l’étranger. Il ne devrait donc y avoir au maximum qu’environ 9,5 millions de NIR ‘actifs’ », souligne l’ancien inspecteur des douanes.

« Or, ce rapport sénatorial vient d’établir qu’il y en a 2,35 millions de plus ! Qui sont ces personnes ? Des clandestins ? Ou plutôt, plus sûrement, des identités fictives et frauduleuses créées pour toucher illégalement des prestations sociales ? », s’interroge Charles Prats.

« L’étendue de la fraude ne peut plus être contestée »

Si le magistrat évoquait une fraude potentielle de l’ordre de 14 milliards d’euros il y a quelques mois, les travaux lancés par la commission des affaires sociales du Sénat lui laissent craindre que le montant de cette considérable gabegie soit en réalité beaucoup plus élevé. 

«  Si le ‘NIR gap’, la différence entre le nombre de gens qui devraient normalement percevoir des prestations sociales et le nombre de gens qui les perçoivent dans les faits s’établit à près de 2,5 millions de dossiers en non pas 1,8 million comme on le craignait, l’enjeu de la fraude aux prestations sociales apparaît gigantesque : près de 5 % des numéros de sécurité sociale actifs de l’ensemble de la population, sur un volume de dépenses annuelles supérieur à 700 milliards d’euros ! »

Alors que plusieurs voix s’étaient élevées pour dénoncer les résultats de l’enquête sur la fraude documentaire menée par Charles Prats et ses collaborateurs en 2011, l’ex-magistrat de la DNLF se réjouit que le rapport du Sénat rendu public le 4 juin valide les conclusions de ses propres travaux.

« L’étendue de la fraude aux numéros de sécurité sociale ne peut donc plus être contestée : le Sénat vient aujourd’hui de démontrer qu’il y a au moins 2,35 millions de personnes en trop dans le système qui touchent des prestations sociales ! », conclut M. Prats.

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