Guerre en Ukraine : à Poltava, les naufragées du système psychiatrique

Par Epoch Times avec AFP
14 avril 2025 14:40 Mis à jour: 14 avril 2025 14:45

La nuit, quand les drones et les missiles russes percent le ciel et que la défense antiaérienne ukrainienne se met à tonner, Olga Klimova dort profondément, loin de chez elle, dans la chambre bondée d’un hôpital psychiatrique.

« Je prends les médicaments, je dors, je n’entends rien », s’amuse cette femme édentée au rire lumineux.

Internée à Poltava, dans le centre de l’Ukraine, Mme Klimova, 44 ans, souffre de schizophrénie, une pathologie aux symptômes très variables qui cause fréquemment des troubles du sommeil.

Olga Klimova, une patiente de 44 ans, parle lors d’une interview avec l’AFP à l’hôpital psychiatrique régional de Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

L’évacuation de milliers de patients d’hôpitaux psychiatriques ukrainiens

Dans ses rêves, quand elle dort, Olga Klimova dit voir son village de Kysselivka, dans la région de Kherson (sud), d’où elle a été évacuée après le début, il y a trois ans, de l’invasion russe. Elle affirme n’avoir « aucune nouvelle » de ses proches restés là-bas, comme « sa vieille tante », et attend « la fin de la guerre » pour les retrouver.

Selon des médecins interrogés par l’AFP, la guerre a entraîné l’évacuation de milliers de patients d’hôpitaux psychiatriques ukrainiens. Ils font partie des 4,6 millions de déplacés internes recensés par Kiev.

Des infirmières se tiennent à l’entrée du service des femmes de l’hôpital psychiatrique régional de Poltava, à Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

De nouveaux troubles psychiques chez les civils et les miltaires

Parallèlement, la brutalité inouïe du conflit déclenche de nouveaux troubles psychiques, chez les militaires et civils : stress post-traumatique, dépressions, tendances suicidaires et autres maladies.

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 9,6 millions d’Ukrainiens sont à risque ou vivent avec un problème de santé mentale, soit près d’un quart de la population d’avant-guerre. Le système psychiatrique public, déjà vétuste et sous-financé avant 2022, se retrouve engorgé.

A Poltava, le psychiatre Oles Telioukov, 56 ans, confirme avoir « davantage de travail » et sait qu’il en aura « encore plus » quand le conflit se terminera.

Le docteur Oles Telyukov travaille dans son bureau à l’hôpital psychiatrique régional de Poltava, à Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

Des hospitalisations pour traiter « les crises aiguës »

Mi-mars, son unité pour femmes prévue pour 40 patientes en comptait 47. Les hospitalisations y durent généralement quelques semaines pour traiter « les crises aiguës ».

La plupart des malades sont ensuite redirigées vers des psychologues et travailleurs sociaux. Seules quelques naufragées restent longtemps.

Environ 10% des 712 patients de l’hôpital psychiatrique de Poltava étaient, mi-mars, des déplacés, principalement des régions dévastées de Kherson, Donetsk, Lougansk et Kharkiv. Parmi eux, il y a des évacués de Kherson, une ville bombardée constamment par la Russie depuis sa libération par l’armée ukrainienne en novembre 2022.

Un accès aux traitements souvent bloqué

Ces violences, selon M. Telioukov, peuvent exacerber des maladies mentales existantes. La ruine causée par l’invasion entrave aussi l’accès aux traitements, souvent onéreux et importés, pour stabiliser les pathologies et éviter les rechutes.

Atteinte de schizophrénie, Olga Beketova, 49 ans, raconte avoir été victime des grandes pénuries du début de la guerre. Pendant plusieurs semaines, elle n’a plus eu de médicaments.

Olga Beketova, une patiente de 47 ans, regarde pendant une interview avec l’AFP à l’hôpital psychiatrique régional de Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

En mai 2022, elle a fait une crise à son domicile et a été hospitalisée à Kherson, puis évacuée à Poltava. Le regard figé, Mme Beketova raconte lentement avoir eu en 2024 un AVC qu’elle attribue « à toute cette angoisse ».

Des patients endormis avec des sédatifs inappropriés

Le médecin français Christian Carrer est le fondateur de l’organisation humanitaire AICM, qui aide 257 établissements médicaux ukrainiens, dont 15 hôpitaux psychiatriques.

Le fondateur du groupe humanitaire AICM, le médecin français Christian Carrer, se tient dans un entrepôt AICM à Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

En mars, son ONG a livré à celui de Poltava des vivres, du matériel et des traitements pour « l’épilepsie, les crises générales et de schizophrénie » et pour restaurer « les cycles du sommeil et des repas ».

Faute de moyens, observe Christian Carrer, des psychiatres ukrainiens « endorment » leurs patients avec des sédatifs inappropriés. « Là, on a livré des produits qui diminuent les effets de la schizophrénie, ou de toute tendance dangereuse, mais sans abrutir », explique-t-il.

Les hôpitaux psychiatriques, toujours organisés à la soviétique

L’Ukraine a entamé en 2017 une modernisation de son système de santé. Interrompue par la guerre, cette réforme n’a pas atteint les hôpitaux psychiatriques, toujours organisés à la soviétique, en grandes chambrées de dizaines de patients, témoigne M. Carrer.

Beaucoup de malades – adultes comme enfants – y passent leurs journées allongés, sans activité. Christian Carrer les appelle « les petites flammes » : « Des gens qui sont là sans être là. »

Cette photographie montre un panneau indiquant « Chambre bleue » dans le service des femmes de l’hôpital psychiatrique régional de Poltava, à Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

Dans son bureau, le docteur Telioukov évoque deux militaires qu’il a soignées : l’une traumatisée par un bombardement à Poltava en septembre 2024 (59 morts), l’autre par six mois de détention dans une prison russe. Il pense que cette dernière a subi des violences sexuelles, comme de nombreux prisonniers ukrainiens. Cependant, « elle ne s’est pas confiée entièrement ».

Des salles avec des noms de couleurs « pour dé-sti-gma-ti-ser »

Le médecin montre les salles dont il a la charge. Elles ne portent pas de numéros, comme souvent, mais des noms de couleurs.

Cette photographie montre un panneau indiquant « Chambre bleue » dans le service des femmes de l’hôpital psychiatrique régional de Poltava, à Poltava, le 19 mars 2025. (IVAN SAMOILOV/AFP via Getty Images)

« C’est pour dé-sti-gma-ti-ser, se débarrasser de la bureaucratie ! », lance l’énergique psychiatre.

Dans la salle « Rose », on cherche Olga Klimova pour lui dire au revoir. On la retrouve alitée, au fond à gauche, entourée d’une dizaine de patientes. Quand elle aperçoit l’équipe de l’AFP, elle lève la main et fait un grand sourire.

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