La Grèce, dont la minorité musulmane de Thrace (nord-est) est soumise à la charia pour ses affaires familiales, se prépare à rendre « facultatif » ce régime, dénoncé devant la cour européenne des droits de l’Homme.
Le ministère de l’Éducation et des Cultes mène actuellement une consultation en vue d’une réforme législative prévue « prochainement », a indiqué lundi à l’AFP une source gouvernementale.
Le projet a été annoncé la semaine dernière par le Premier ministre Alexis Tsipras lors d’une tournée en Thrace.
La réforme doit permettre aux membres de la minorité — quelque 110.000 personnes d’origine turque, rom ou pomaque — de choisir de régler leurs mariages, divorces, et héritages soit en fonction du droit ordinaire, soit en application de la loi islamique.
Ce n’est pas le cas actuellement, du fait d’un régime légal spécifique mis en place pour la minorité de Thrace après le Traité de Lausanne de 1923 fixant les frontières entre la Grèce et la nouvelle Turquie issue de l’empire ottoman.
Dans cette région pauvre et rurale, le règlement des affaires familiales relève ainsi de la compétence de trois muftis — des juges religieux musulmans nommés par l’État grec –, au détriment notamment de l’égalité des sexes, les femmes étant défavorisées par la charia en matière de divorces, gardes d’enfants et héritages, remarque le juriste Yannis Ktistakis.
L’initiative gouvernementale intervient alors que la Cour européenne des droits de l’Homme doit se pencher pour la première fois sur cette question, avec une audience prévue le 6 décembre suite à la plainte d’une veuve, Molla Salli, 67 ans.
Cette dernière a recouru à l’instance européenne après que ses droits à hériter de son mari selon la loi grecque ont été déniés par un jugement de la Cour suprême grecque. Saisie après un recours des soeurs du défunt, la Cour a renvoyé en 2015 Mme Salli sous la juridiction du mufti.
Le projet de réforme décliné par M. Tsipras vise à imposer désormais la compétence d’office des tribunaux civils, le recours au mufti n’étant possible qu’en cas d’accord de tous les intéressés aux affaires jugées, selon la même source gouvernementale.
« Le régime actuel ne nous fait pas honneur en tant que pays de l’Union européenne », a notamment relevé M. Tsipras dans son adresse à des représentants de la minorité.
Dans une première réaction, la Ligue grecque des droits de l’Homme a salué l’annonce, soulignant que le régime actuel « viole une série de dispositions constitutionnelles et de traités internationaux ».
Mais elle a appelé à d’autres mesures pour mettre fin au « régime d’exception » réservé à la minorité, victime selon elle d’une approche « anachronique et ethnocentrique ».
Sur fond de délicates relations gréco-turques, le statut de la minorité, encore largement soupçonnée en Grèce de former une « cinquième colonne » turque, reste un des tabous de la politique grecque, en dépit de mesures prises depuis les années 90 pour mieux intégrer cette communauté au corps national.
Les autorités justifient désormais aussi leur prudence à modifier le statu quo par leur volonté de prévenir toute radicalisation islamiste dans la région, où prévaut un « islam modéré » sous la houlette des muftis, a souligné pour l’AFP une deuxième source gouvernementale.
Pour Yannis Ktistakis, qui est l’avocat de Mme Salli, la réforme annoncée est toutefois « insuffisante ». « Le gouvernement n’a agi que pour prévenir une condamnation par la Cour européenne, dont tout le monde sait qu’elle est inévitable », a-t-il affirmé à l’AFP.
Au vu contexte social, « il est facile de deviner que dans la plupart des cas, les femmes seront obligées de consentir à l’intervention du mufti », a-t-il déploré, voyant une preuve de cette contrainte « patriarcale » dans le fait que jusque-là seule une membre de la minorité ait recouru à la Cour européenne des droits de l’homme.
R.B avec AFP
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