L’Iran fait face à des protestations nationales croissantes depuis la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans décédée le 16 septembre dans des circonstances suspectes après son arrestation pour avoir apparemment porté son hijab de la mauvaise manière.
Le régime iranien a sévèrement réprimé les manifestants. Il est aidé par la technologie chinoise de surveillance par intelligence artificielle (IA) dans cette campagne de répression.
Depuis près de trois mois, des milliers de personnes se rassemblent dans des manifestations quotidiennes à travers l’Iran après la mort de Mahsa Amini. La répression des manifestants par le régime comprend des arrestations et détentions contestables, des violences sexistes et sexuelles, un usage excessif de la force, des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions.
Environ une semaine avant la mort de Mahsa Amini, lors du sommet 2022 de l’Organisation de coopération de Shanghai, un groupe dirigé par Pékin, l’Iran et quelques autres pays ont pris des mesures pour renforcer leurs liens économiques et politiques avec le régime communiste chinois. Cet alignement croissant sur la Chine se manifeste également par l’adoption par ces États de technologies destinées à faciliter le contrôle social, a noté le magazine MIT Technology Review.
Les chercheurs ont appelé cela « l’autoritarisme numérique ». En 2021, un rapport de Freedom House a classé l’Iran comme l’un des pires environnements pour la liberté Internet, juste derrière la Chine.
Autoritarisme numérique
De telles tendances au non‑respect des droits numériques n’ont fait qu’augmenter depuis les protestations.
Le Conseil suprême du cyberespace iranien a temporairement interdit Instagram, la plateforme de médias sociaux la plus populaire du pays, pendant les manifestations. Telegram avait déjà été interdit en 2018 parce que les utilisateurs encourageaient les manifestations contre le régime.
Pour étouffer davantage la dissidence et empêcher les gens de s’organiser, le régime s’est également concentré sur le renforcement de ses capacités de surveillance, principalement en se tournant vers la Chine, selon les experts.
Sahar Tahvili, une chercheuse en IA titulaire d’un doctorat en génie logiciel, explique que de plus en plus de personnes en Iran se tournent vers les technologies anti‑censure pour échapper aux contrôles du régime. C’est pourquoi Téhéran doit lutter contre cela en acquérant des systèmes de surveillance plus sophistiqués.
« Il n’y a pas beaucoup de fournisseurs qui peuvent exporter de telles technologies en Iran et comme la Chine a la plus longue histoire de censure Internet, elle est un des très rares fournisseurs disponibles », explique‑t‑elle par courriel à Epoch Times.
Selon Mme Tahvili, le régime iranien se prépare à une ère continue de répression des manifestations et il aura besoin d’une technologie capable de détecter en ligne et en temps réel les préparatifs des manifestations afin de pouvoir les réprimer efficacement avant qu’une masse critique ne se forme.
Un média iranien a rapporté que, alarmés par les manifestations, les responsables politiques iraniens envisageaient de déployer des caméras de reconnaissance faciale pour faire respecter les règles du régime concernant le port du hijab.
Cette information a ensuite été citée par Tehran Bureau, un média iranien indépendant basé à l’étranger, le 30 septembre. « Ces technologies, produites en Chine, sont capables de repérer des individus dans la foule, même la nuit, et peuvent être utilisées par le régime pour monter des dossiers contre des manifestants ou des femmes qui enfreignent le code vestimentaire. »
Au moins huit entreprises chinoises vendent au régime iranien des technologies utilisées pour surveiller ses citoyens, selon l’article. Il s’agit de Hangzhou Hikvision Digital Technology, Huawei Technologies, ZTE, Zhejiang Dahua Technology, Tiandy, Tencent, Zhejiang Uniview Technologies et FiberHome Telecommunication Technologies.
Certaines de ces entreprises ont été sanctionnées par les États‑Unis pour avoir aidé le régime chinois à réprimer les Ouïghours dans la région extrême‑ouest du Xinjiang.
Iranwire, un site d’information de la diaspora et des citoyens, a déclaré que le ministère iranien de l’Intérieur avait acheté en 2020 des équipements de télévision en circuit fermé fabriqués par la société chinoise Dahua Technology. Les entreprises de technologie de surveillance Dahua et Hikvision ont aidé le régime communiste chinois à mettre en place son réseau de surveillance pour réprimer les Ouïghours et les autres minorités musulmanes du Xinjiang. Toutes deux ont été ajoutées à une liste noire commerciale américaine en 2019 en raison de leur rôle dans l’augmentation des violations des droits de l’homme par Pékin dans la région.
Selon Jason M. Broadsky, directeur politique du groupe de défense United Against Nuclear Iran, la classe dirigeante iranienne craint constamment l’infiltration occidentale via Internet et considère la Chine comme un partenaire fiable.
« Les dirigeants iraniens admirent l’État policier chinois et cherchent probablement à imiter certaines de ses pratiques. La Russie pourrait également faire partie de ce réseau de répression, puisque le gouvernement américain a révélé que Moscou était apparemment en train de conseiller Téhéran sur la manière de contrer les manifestants », selon un mail de M. Broadsky à Epoch Times.
Tiandy
Selon le site d’information The Diplomat, les médias locaux ont indiqué que 15 millions de caméras ont été installées dans 28 villes iraniennes et que les données sont transférées vers deux centres de contrôle, l’un à Téhéran et l’autre en Chine. La société technologique chinoise Tiandy fournit les caméras et le savoir‑faire nécessaire à leur fonctionnement.
Selon Mme Tahvili, ce niveau de surveillance pose un énorme problème d’infrastructure, qui est « rendu encore plus difficile par la nécessité d’effectuer une reconnaissance en temps réel des visages, des voitures et autres sur les images de ces caméras ».
« Une caméra de surveillance moyenne produit au moins 1 Mbps de données, et 15 millions d’entre elles créeraient 162 pétaoctets de données par jour. »
Cette quantité de données doit être transportée, analysée et stockée et le moyen le plus efficace d’installer ces services et de gérer les coûts de stockage et de traitement des données est de « vendre » l’accès à ces mêmes données, précise‑t‑elle.
« L’entreprise qui fournit des logiciels de surveillance a besoin de ce type de données, notamment en provenance d’autres régions du monde, afin de pouvoir améliorer la qualité de ses propres systèmes », explique Mme Tahvili, en faisant référence aux entreprises chinoises.
Cependant, selon Nariman Gharib, militant iranien basé au Royaume‑Uni opposé au régime et enquêteur indépendant en matière de cyberespionnage, l’Iran n’a pas réellement déployé de nombreuses caméras de surveillance.
« Dans une des récentes cyberattaques contre la municipalité de Téhéran, nous avons découvert que moins de 10.000 caméras étaient installées pour contrôler la circulation (qui sont également utilisées pour surveiller les citoyens) dans tout Téhéran », a‑t‑il écrit par courriel à Epoch Times.
Le sénateur américain Marco Rubio (Parti républicain-Floride) a récemment demandé que des sanctions soient prises à l’encontre de Tiandy pour avoir vendu au régime iranien sa technologie de surveillance qui, selon lui, pourrait être utilisée pour punir les manifestants iraniens pacifiques, et pour son rôle dans le soutien de l’oppression de Pékin au Xinjiang. L’entreprise ne fait actuellement l’objet d’aucune sanction de la part des États‑Unis.
« Selon des militants des droits de l’homme, le régime iranien a également commencé à acheter à Tiandy un logiciel avancé de reconnaissance faciale. La vente de cette même technologie à Téhéran, y compris au Corps des gardiens de la révolution islamique, soulève de sérieuses questions quant à l’utilisation des produits de Tiandy contre des manifestants iraniens pacifiques », a écrit le sénateur dans une lettre adressée le 1er décembre au secrétaire d’État américain Antony Blinken, la secrétaire au Trésor Janet Yellen et la secrétaire au Commerce Gina Raimondo.
Internet halal
La Chine et le régime iranien ont signé en mars 2021 un accord de coopération de 25 ans et d’une valeur de 400 milliards de dollars intitulé Partenariat stratégique global. Un des principaux domaines de coopération dans le cadre de cet accord est l’avancement du système Internet national de l’Iran, selon plusieurs médias.
Le régime développe un Internet contrôlé localement depuis plus d’une décennie. Selon une analyse de cas publiée par le Centre arabe de recherche et d’études politiques en mai, une version de ce système Internet national, également appelé « Internet halal », a été lancée en 2011 par Ali Agha‑Mohammadi, ancien vice‑président adjoint aux affaires économiques et membre du Parlement iranien.
Semblable au Grand Pare‑feu chinois (le plus grand appareil de censure et de surveillance Internet au monde) l’Internet centralisé de l’Iran implique le filtrage et le contrôle du contenu.
« L’Internet ‘halal’ s’est essentiellement présenté comme une opportunité pour l’élite politique de s’emparer du pouvoir sur les internautes iraniens dans le cyberespace. La mise en place d’un ‘Internet halal’ peut donc être considérée comme une réponse sous forme de guerre tempérée au mouvement vert iranien de 2009, qui consistait en des protestations populaires contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de l’Iran », indique l’analyse.
Selon M. Broadsky, le régime iranien se sent très menacé par les médias sociaux et les considère comme une guerre larvée contre la République islamique, une crainte qui s’est exacerbée avec les récentes manifestations.
« Les tenants de la ligne dure vont donc probablement invoquer les manifestations pour restreindre davantage Internet », a‑t‑il déclaré, ajoutant que l’Iran a accru sa dépendance à l’égard de la Chine dans le cadre de sa politique de « regard vers l’Est », défendue par le guide suprême.
Outre le blocage des contenus considérés comme une violation des principes religieux, Mme Tahvili note que le régime sera également en mesure de contrôler les informations et de partager des fake news sur son Internet national.
Mme Tahvili a ajouté que le régime adopterait probablement aussi la technologie de surveillance de l’IA sur cet Internet pour surveiller et contrôler ce que les utilisateurs font et disent.
Nariman Gharib a assuré que le régime iranien fait de son mieux pour accroître la censure sur Internet et surveiller les citoyens.
« C’est pourquoi ils essaient de promouvoir un outil qui peut être suivi à la trace. Par exemple, il existe de nombreux taxis Internet en Iran, toutes ces entreprises coopèrent avec les autorités de sécurité et elles ont un accès en direct à leur plateforme », explique‑t‑il, ajoutant que ce n’est qu’une des nombreuses façons dont le régime surveille ses citoyens.
Une surveillance accrue en perspective
Les plateformes de médias sociaux comme Instagram ont joué un rôle puissant dans l’amplification des protestations actuelles, les médias traditionnels restant sévèrement contrôlés. C’est pourquoi, pendant les manifestations, les autorités ont temporairement interdit Instagram. Mais elles ne l’ont pas fait de manière permanente en raison des 700 millions à 1 milliard de dollars de revenus qu’il génère pour diverses places de marché en Iran.
Le Conseil suprême du cyberespace iranien a décidé que tant qu’il n’aurait pas trouvé un substitut local légitime à Instagram, il ne penserait pas à l’interdire définitivement.
Mme Tahvili avance que le régime pourrait travailler avec la Chine pour développer un tel remplacement. Cependant, il n’y a pas eu de rapports publics ou d’annonces d’un tel partenariat.
« C’est peut‑être le cas, mais je ne peux pas le confirmer à 100%. Cependant, l’Iran a conclu un accord de cybersécurité avec la Chine et la Russie. »
Nariman Gharib a expliqué que le régime iranien ne cherche pas à obtenir l’aide de la Chine pour les logiciels, mais plutôt pour la technologie matérielle chinoise.
« Même dans le passé, ils ont voulu promouvoir l’application WeChat en Iran, mais lorsque les gens ont découvert que cette application était fabriquée en Chine, elle n’a pas été bien accueillie. »
Il a ajouté que la République islamique a intensifié ses restrictions sur Internet et a bloqué des réseaux populaires. Mais les citoyens iraniens continuent d’utiliser les applications mobiles occidentales par le biais de VPN.
Dans le contexte de la montée du mécontentement à l’égard du régime, l’Iran ne fera que s’inspirer de la stratégie Internet du régime chinois, selon Mme Tahvili. Cela va probablement renforcer la censure Internet en Iran et tout effort pour la contourner sera considéré comme criminel, tandis que le pistage des téléphones portables va augmenter.
« Une armée d’internautes rémunérés et de bots sera déployée pour contrôler l’opinion en ligne en faveur du régime. Les smartphones et les ordinateurs vendus localement seront livrés avec des logiciels espions fournis par le régime », conclut‑elle.
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