La pédagogie Montessori est depuis quelques années l’objet d’un véritable phénomène de mode en France. On ne compte plus les « coffrets » Montessori, les ouvrages sur des activités à faire à l’école ou à la maison, ni même les nouvelles écoles privées « alternatives » ou les formations utilisant le nom de Montessori.
Comment faire la différence entre les démarches sérieuses et le simple marketing, l’effet d’aubaine ou encore les contenus politiquement ou idéologiquement orientés ? De quoi cette mode est-elle le nom, et est-elle une première ? Qu’est-ce que cette pédagogie, née au début du XXe siècle, a encore à dire à notre école aujourd’hui ?
Une pédagogie de la liberté
Maria Montessori (1870-1952) est connue pour être une des premières femmes médecin d’Italie. Elle s’occupe initialement des enfants de la clinique psychiatrique de Rome, et cherche les moyens de leur donner une véritable éducation. À partir de travaux de confrères, elle construit sa propre pédagogie qu’elle expérimente à partir de 1907 dans un quartier populaire de Rome, auprès d’enfants dits « normaux ». De ce travail est issu son premier ouvrage à destination du grand public, La pédagogie scientifique, publié en 1909, et toujours disponible.
L’une des particularités de la classe Montessori est de fonctionner sur la liberté de mouvement et de travail des enfants. Chacun d’entre eux, y compris les plus petits, avance à son rythme et choisit son activité. Ils vont et viennent dans la classe, s’installent où ils le souhaitent, peuvent travailler en petits groupes, observer les autres.
Pour les plus grands, le projet prend beaucoup de place, mais il n’est jamais dicté ni encouragé par l’adulte, qui ne planifie rien à leur place. Bien entendu, ce dernier peut anticiper les demandes de chacun, et surtout suit très rigoureusement l’évolution de chaque enfant.
Cette liberté doit permettre à l’enfant de mieux manifester ce qu’il est, ses difficultés et ses forces, et à l’adulte d’ajuster son intervention. C’est dans cette observation de la part de l’enseignant, et avant tout en cela, que la pédagogie Montessori est « scientifique ».
Rendre les savoirs concrets
La deuxième grande caractéristique des classes montessoriennes réside dans l’usage d’un « matériel » spécifique, qui va des mathématiques à la vie pratique, en passant par le langage ou l’éducation des sens. Le principe est de toujours rendre concrets les savoirs : l’enfant manipule avant de passer à l’abstraction. L’enfant « vit » les savoirs avant de les intellectualiser.
Par exemple, les enfants « vivent » l’addition ou la soustraction, « vivent » le système décimal, dès la maternelle, en additionnant des cubes et des perles, selon un protocole précis. Pour autant, ils ne maîtrisent pas nécessairement l’addition de manière intellectuelle : ils créent un « chemin sensoriel » qui pourra rendre l’abstraction plus aisée par la suite.
Le matériel donne ainsi des « clés » pour comprendre le monde, ce qui explique pourquoi il est ordonné, qu’il isole une qualité, et qu’il suive un protocole rigoureux (il est également généralement autocorrectif). Mais il vise aussi, et peut-être surtout, le développement de la personnalité.
Il cherche à favoriser chez l’enfant l’intérêt pour son activité, la concentration, la volonté d’aller au bout de son projet. La pédagogue dit que l’enfant est un « embryon psychique », qui se construit à la fois avec les savoirs, les expériences de vie et dans la liberté.
C’est une autre raison de la liberté donnée aux enfants dans ces classes. Si un enfant passe sa matinée à compter jusque 1000 avec le matériel, c’est aussi important pour ses apprentissages que pour développer sa personnalité – sensation d’être capable, goût de l’effort, capacité de concentration.
Pas de label
Le « matériel » vise ainsi ce que Maria Montessori nomme la « santé intérieure », le développement de la personnalité, une puissance psychique et intellectuelle, une expérience de vie. Dans une classe montessorienne, l’idée est qu’en faisant des maths, en apprenant à écrire, l’enfant perfectionne dans le même temps ses habiletés, sa personnalité, la vie avec autrui, la concentration et l’absorption de la culture : tout est intriqué.
Voilà pourquoi les activités montessoriennes qui se vendent un peu partout n’ont pas beaucoup de sens lorsqu’elles sont déconnectées d’un environnement collectif et d’un adulte qui les accompagne. Ces différentes offres surfent sur l’effet de mode et sur le fait qu’il n’existe pas de « label » montessorien.
Vous pouvez en effet demain fonder une école, publier un livre ou inventer un coffret portant ce nom, ou même former à la méthode sans être habilité, ni avoir la moindre expérience préalable de cette pédagogie. Dire « je fais du Montessori dans ma classe » ou revendiquer l’appellation ne suffit donc pas nécessairement à en faire vraiment.
La seule garantie qui existe actuellement est celle des formateurs agréés par l’Association Montessori internationale (fondée en 1929), qui conserve et protège les pratiques authentiques. Une bonne formation des enseignants à cette pédagogie est donc la base (la maîtrise de la « lettre » de la pédagogie). S’y ajoutent une compréhension fine de la philosophie et de la démarche montessorienne (« l’esprit » de la pédagogie) ainsi qu’une expérience suffisante.
Personnalisation et coopération
Contrairement à ce que l’on croit souvent, les classes montessoriennes doivent être nombreuses : une trentaine d’élèves, d’âges différents et mélangés, généralement avec deux encadrants. Effectivement, l’individualisation du travail fait qu’il n’y a pas d’organisation collective similaire à ce qui se fait dans l’école classique (en maternelle surtout). En revanche, il y a une multiplicité d’interactions, d’entraides, de coopérations spontanées entre enfants, précisément parce qu’ils sont libres de leur temps, de leur espace, de leurs déplacements et de leurs activités.
Une élève de 5 ans m’a par exemple raconté qu’elle avait passé la journée à faire une guirlande de sapins pliés et décorés. Rapidement, une autre élève était venue l’aider ; elles ont décidé ensemble que la première décorerait les sapins, pendant que la seconde les plierait et les collerait. Un petit garçon s’est greffé à leur groupe dans l’après-midi. L’individualisation du travail, parce qu’elle s’associe à la liberté, et seulement à cette condition, n’entrave pas la coopération, et même la permet.
Dans un contexte de crise de l’école, cette pédagogie rencontre un écho accru. Si, entre 1950 et 2010, le mouvement Montessori est resté plutôt confidentiel, cantonné au privé hors contrat, il faut savoir que ce succès a aussi touché l’enseignement public dans le passé. Cela a été le cas avant la Seconde Guerre mondiale, et ça l’est de nouveau aujourd’hui, comme le montre l’existence de l’association Public Montessori. Ces exemples nous incitent à entendre ce que ces enseignants nous disent de leur aspiration à un autre rapport, peut-être, aux élèves, à la pédagogie et à leur propre métier.
Bérengère Kolly, maîtresse de conférences en philosophie de l’éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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