L’Autriche et l’Europe sont à la veille d’une élection décisive. Le 4 décembre 2016, dimanche prochain donc, les électeurs se rendront aux urnes pour élire leur président de la République. Le candidat du parti populiste et nationaliste FPÖ, Nobert Hofer, sera une nouvelle fois en lice contre l’indépendant Alexander Van der Bellen. Le spectre d’une présidence d’extrême droite est souvent agité. Et si l’Autriche n’est évidemment pas à la veille d’un retour à l’ère nationale-socialiste, ce scrutin a toutefois une portée considérable pour la politique de ce pays-clé en Europe centrale. Il risque en effet d’avoir des conséquences importantes pour les équilibres du continent dans son ensemble.
Les premières victoires juridiques du FPÖ
Le premier enjeu de l’élection est la transformation complète de la vie institutionnelle et de la scène politique autrichienne. Ce pays sort d’une année complète de campagne électorale particulièrement agitée.
Lors du premier tour, le 27 avril dernier, Nobert Hofer était arrivé en tête, avec 35 % des voix. Son avance considérable avait consacré la défaite des candidats des partis traditionnels. Comme je l’avais souligné dans The Conversation, il s’agit d’une étape historique dans la politique autrichienne. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la vie politique avait été dominée par deux partis alternant constamment au pouvoir, le parti social-démocrate (SPÖ) et le parti conservateur ÖVP. Ces deux forces avaient alors à peine dépassé 11 % chacune lors du premier tour de scrutin. L’hégémonie bipartisane est aujourd’hui morte. Et c’est la puissance électorale du FPÖ qui l’a tuée.
La campagne de l’entre-deux tours avait mobilisé de nombreuses forces politiques autour de la figure non-conformiste d’Alexander Van der Bellen, arrivé second avec 21 % des voix. Animant un front anti-FPÖ, l’ancien leader des Verts autrichiens l’avait alors emporté avec quelque 30 000 voix d’avance, notamment grâce aux votes par correspondance d’expatriés peu enclins au nationalisme.
Mais le passage du catastrophisme au soulagement s’est révélé largement injustifié et très provisoire. En effet, le FPÖ a remporté cet été deux autres victoires, juridiques celles-là, dans la foulée de sa quasi-victoire politique. Il a, coup sur coup, obtenu l’invalidation des résultats deuxième tour, l’organisation d’un nouveau scrutin en octobre, puis son report au 4 décembre 2016 sur des questions de procédures.
Le FPÖ donne le tempo
Même si les sondages ne permettent pas, à ce jour, de dégager une tendance numérique, la dynamique de la campagne est au FPÖ. Il a donc enchaîné les succès dans les urnes et devant les tribunaux. Son seul opposant, Alexander Van der Bellen, n’a pas réussi à structurer une offre politique autour de lui : il est toujours le seul ciment d’un front anti-FPÖ hétérogène ; les partis traditionnels (ÖVP et SPÖ) œuvrent toujours au Parlement à leur propre retour. Enfin, son profil d’intellectuel viennois typique peine à rassembler les électorats provinciaux.
Or, à l’échelle du pays, le FPÖ est le parti le mieux structuré : présent au Parlement, aux affaires dans plusieurs régions, il donne le tempo et structure le débat politique. Ses thèmes de prédilection sont sur le devant de la scène : islam et identité chrétienne du pays, réfugiés et quotas de demandeurs d’asile, critiques envers les tendances fédéralistes de Bruxelles.
La victoire du FPÖ marquerait, en tout cas, une nouvelle étape dans la vie politique du pays. Elle aurait plusieurs conséquences immédiates. Le candidat Hofer a promis de dissoudre Parlement pour disposer d’une majorité parlementaire FPÖ : cela consacrerait une nouvelle fois la fin de la dyarchie ÖVP-SPÖ. En outre, le parti populiste et nationaliste a régulièrement mentionné l’organisation d’un référendum sur l’Union européenne au cas où celle-ci imposerait des politiques trop favorables à la Turquie ou aux réfugiés. En somme, le FPÖ est déjà le principal parti en Autriche.
Un impact régional évident
Le populisme européen peut remporter une victoire majeure en Autriche
La candidature de Nobert Hofer a, en outre, un enjeu régional évident : les partis populistes, eurosceptiques ou illibéraux, prospèrent actuellement dans toute la région. Ils sont au pouvoir en Hongrie (Fidesz), en Pologne (PiS), en Slovaquie (SMER-SD). Ces anciennes républiques démocratiques sont cimentées par plusieurs marqueurs politiques : hostilité à la politique d’accueil des réfugiés promue par l’Allemagne et la Commission européenne, fascination assez large (sauf en Pologne) pour le pouvoir fort d’un Vladimir Poutine, ou encore opposition à l’implantation de l’islam en Europe.
La victoire de Norbert Hofer ferait franchir au populisme anti-libéral et eurosceptique une étape décisive. Elle montrerait qu’une démocratie libérale ancienne, fondée sur une économie de marché forte et sur une tradition parlementaire séculaire, peut faire cause commune avec d’anciens « nouveaux » États membres. Le candidat Hofer a ébauché des rapprochements avec ses voisins : depuis juillet, il fait partie du triumvirat qui exerce actuellement la présidence de l’Autriche par intérim en tant que vice-président du Parlement. Pour étoffer sa stature internationale, il a réalisé une tournée dans les pays limitrophes et a dégagé des convergences avec eux.
Le groupe de Visegrad (ou V4) qui réunit la Hongrie, la Tchéquie, la Pologne et la Slovaquie est susceptible de devenir un « V5 » avec l’Autriche. Dans ce cas, les équilibres politiques de la Mitteleuropa et de l’Union tout entière seraient modifiés. La politique d’accueil des réfugiés, la répartition obligatoire des demandeurs d’asile et la fédéralisation des risques, promues par Angela Merkel et la Commission, subiraient un revers considérable. Et inquiétant à l’approche des élections générales en France, aux Pays-Bas et en Allemagne.
Ruine du système politique bipartisan traditionnel, mouvements anti-islam, hostilité à l’accueil des réfugiés prôné par Bruxelles, rhétorique eurosceptique irréaliste : de nombreux éléments sont aujourd’hui réunis pour offrir au populisme autrichien la victoire électorale majeure qu’il construite depuis trois décennies. La victoire presque probable de Nobert Hofer accentuerait, en la notabilisant, la tendance générale à l’euroscepticisme populiste et nationaliste.
Cyrille Bret, philosophe et géopoliticien, enseigne à Sciences Po Paris et dirige le site eurasiaprospective.net
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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