En Italie, le 14 août 2018 à 11h36, à Gênes, le pont Morandi s’effondrait. Un drame qui a coûté la vie à 43 personnes, parmi lesquelles quatre Français, et choqué le monde entier. Alors que l’enquête judiciaire avait révélé de graves défaillances dans l’entretien du viaduc de 1,1 km, cette tragédie avait, plus généralement, mis en lumière l’état très dégradé des routes, ponts et voies ferrées italiens et français, ainsi qu’un déficit chronique d’entretien. Cinq ans après la catastrophe, l’état de délabrement des ponts français inquiète toujours autant.
Et il y a matière à s’alarmer. Au moins 25.000 ponts sont « en mauvais état structurel » et « posent des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers », révélait le 27 juin 2019 un rapport sénatorial, qui réclamait à l’époque un « plan Marshall » pour « éviter le drame ». Un chiffre rehaussé à 35.000 en 2022.
À la suite de l’écroulement du viaduc italien, la Chambre haute du Parlement avait initié une mission d’information sur l’état des ponts en France. Première surprise de son rapport : on apprenait que le nombre exact des ponts routiers dans l’Hexagone était… inconnu, faute d’un recensement du patrimoine des collectivités locales. Celui-ci avait donc été évalué entre 200.000 et 250.000, une fourchette très large symbole « des lacunes de la politique de surveillance et d’entretien », estimait la mission.
« Risque d’effondrement »
10% de ces ponts, soit 24.000, sont sous tutelle de l’État. Si la moitié d’entre eux, gérée par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, ne présentait pas de problèmes, s’agissant de l’autre moitié, 7 % comportaient des défauts de sécurité et 2800 de ces ouvrages construits après-guerre arrivaient en « fin de vie », requérant une chirurgie lourde. Un an plus tôt, en juillet 2018, un audit externe remis à Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, dévoilait que 35% des ponts de l’État nécessitaient des travaux, dont 7 % ne présentaient pas moins qu’un… « risque d’effondrement ».
Selon le rapport sénatorial, l’état des lieux était encore plus préoccupant chez les collectivités territoriales, qui gèrent 90 % des ponts : 8,5% des ouvrages à la charge des départements, étaient en mauvais état, 18 % à 20 % de ceux sous la responsabilité des communes présentaient des défaillances.
« Certains ponts du réseau routier ne font l’objet d’aucune surveillance ni d’aucun entretien », s’étranglaient même les sénateurs. Et d’alerter que le nombre de ponts sur le point de subir des dommages ou présentant déjà des défauts « a fortement augmenté sur les dix dernières années » précédant la parution du rapport de 2019 et que, si cette trajectoire n’était pas rectifiée, le nombre d’ouvrages en mauvais état doublerait dans les dix prochaines années. De quoi occasionner « des risques pour la sécurité des usagers » et « des fermetures de plus d’un mois », avertissait un audit interne du ministère des Transports, en 2017.
Pour renverser la tendance, la mission sénatoriale appelait donc à un « plan Marshall » prévoyant plusieurs recommandations. Par exemple, remonter l’enveloppe affectée par l’État à l’entretien de ses ouvrages à 120 millions d’euros par an dès le budget de 2020 ou encore réviser les méthodes de contrôle fondées sur une simple inspection visuelle, celles-ci laissant à désirer : le dernier audit du viaduc de Gennevilliers avant l’effondrement ne faisait état d’aucun risque de dégradation.
La situation depuis 2019 a empiré
La tragédie de Gênes suivie de ce rapport sénatorial ont-ils eu l’effet escompté en matière d’action politique ? Dans un rapport sur la sécurité des ponts remis le 15 juin 2022, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a constaté que la dégradation des ponts se poursuit malheureusement et que le nombre d’ouvrages en mauvais état structurel se situait désormais entre 30.000 et 35.000, un chiffre réévalué à la hausse par rapport à 2019. Si la plupart des recommandations ont fait l’objet de mesures gouvernementales, en réalité, leur mise en œuvre s’avère « largement insuffisante », déplore le rapport. Un déboire.
Concernant l’enveloppe affectée à l’entretien des ouvrages, le montant des 120 millions d’euros préconisés a bien été atteint… en 2022. Selon la commission, ce taux aurait dû être rempli dès 2020 pour une durée de 10 ans alors que le retard dans l’entretien et la réparation des ouvrages d’art atteint déjà 89 millions d’euros. Les 40 millions d’euros du programme national ponts (PNP) sont insuffisants au regard du retard de 350 millions d’euros accumulé par rapport à la recommandation de 2019, ajoute-t-elle.
Seuls 3% des ouvrages les plus dégradés vont bénéficier d’une étude approfondie. Plus de 90 millions d’euros seraient encore nécessaires pour lancer une évaluation de tous les ouvrages comportant des difficultés majeures.
Dans un entretien accordé au Figaro le 14 août 2023, Hervé Maurey, le sénateur ayant supervisé le rapport de 2019, maintient toujours que « les moyens ne sont pas encore à la hauteur des enjeux ». S’il salue la « prise de conscience réelle de l’État », ce dernier regrette la carence des financements sur ce chantier urgent, estimant qu’« on attend souvent l’accident pour tirer les leçons et agir »…
La faute à l’Union européenne ?
En 2018, dans la foulée du drame de Gênes, Matteo Salvini, vice-président du Conseil italien et ministre de l’Intérieur, avait pointé du doigt la responsabilité de l’Union européenne dans l’écroulement du viaduc en raison des contraintes budgétaires continuelles imposées aux États membres. Un son de cloche répercuté par les souverainistes en France, François Asselineau, patron de l’UPR, en tête.
Dans un entretien donné en novembre 2019 à Valeurs Actuelles, l’homme politique soulignait que la France donne plus d’argent à l’UE qu’elle n’en reçoit, une perte qui se chiffre à près de dix milliards d’euros chaque année, et qu’elle se retrouve à financer des travaux d’infrastructures dans des pays étrangers d’Europe de l’est, bien qu’elle ait un besoin impérieux de réparer ses propres ouvrages d’art. « Au cours d’un débat sur France 2 au moment des européennes, j’avais pointé le coût des infrastructures imputé à la France pour réaliser des travaux en Pologne, en Hongrie ou en Roumanie. Raphaël Glucksmann avait alors jugé mon propos « dangereux », mais ce qui est le plus dangereux, c’est de mettre en péril la vie de nos concitoyens sur les routes ! »
Si l’Union européenne impose bel et bien des restrictions budgétaires, et malgré le fait que la France soit contributrice nette auprès de l’UE, en revanche, le problème du délabrement des infrastructures françaises reste avant tout la conséquence d’un choix de politique intérieure en matière d’affectation des dépenses publiques, comme le reconnait d’ailleurs M. Asselineau plus loin dans son entretien : « Il parait plus simple d’économiser ici que dans l’éducation, entre autres. Il est électoralement plus facile de moins entretenir les routes que de fermer des maternités ou des gendarmeries ».
Pour rappel, encore en 2023, la France reste championne d’Europe de la pression fiscale et sociale. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), la France consacre 33,3 % de son produit intérieur brut (PIB) à la protection sociale, soit 834 milliards d’euros par an. Indépendamment des marges d’économies à réaliser dans ce secteur, en récupérant les milliards d’euros siphonnés par la fraude sociale, estimée à 50 milliards par le magistrat Charles Prats, peut-être y aurait-il là les premiers fonds disponibles pour permettre la réparation des ponts routiers dans des délais tenables et ainsi assurer la sécurité des Français.
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