The Color Line rend hommage aux artistes afro-américains

Par Epoch Times
26 novembre 2016 07:00 Mis à jour: 19 mars 2021 03:30

Le musée du Quai Branly présente, jusqu’au 15 janvier 2017, une exposition troublante The Color Line – Les artistes africains-américains et la ségrégation.

L’exposition présente 600 œuvres et documents comprenant dessins, peintures, collages, films et œuvres littéraires depuis la fin de la guerre de Sécession en 1865 jusquà nos jours.

Un siècle trouble

Aux Etats-Unis, après la fin de la guerre de sécession, l’esclavage est aboli mais la victoire des noirs s’avère fragile. La période de la Reconstruction commence. Non seulement les propriétaires des plantations ne sont pas punis mais ils récupèrent aussi leurs terres. La persécution des noirs et l’esclavagisme continue sous différentes formes légales ou illégales, avec le soutien tacite, dans le dernier cas, des autorités.

Musée du quai Branly - Jacques Chirac. Affiche de l'exposition : THE COLOR LINE, Les artistes africains-américains et la ségrégation. Du mardi 4 octobre 2016 au dimanche 15 janvier 2017. Commissaire : Daniel Soutif Galerie Jardin. L’expression « The Color Line » désigne la ségrégation des Noirs apparue aux Etats-Unis après la fin de la guerre de Sécession conclue en 1865. Rassemblant pour l’une des premières fois en France les grands noms de l’art africain-américain, encore trop largement méconnus en-dehors des frontières américaines, l’exposition du musée du quai Branly – Jacques Chirac s’articule autour d’un parcours chronologique. Il débute en 1865 par la fin de la guerre de Sécession, l’abolition de l’esclavage et le début de la ségrégation et s’achève avec les productions contemporaines dont celles traitant du Civil Rights Act, portant les marques indélébiles de cette période de l’histoire des africains-américains.

La ratification du 13e amendement de la constitution passé en 1877 a ouvert ainsi une nouvelle ère de l’histoire américaine, celle de la ségrégation qui connaîtra son terme officiel en 1964. Cette période douloureuse de l’histoire des États-Unis est d’ailleurs montrée sans concession dans le film Free State of Jones (2016).

The Color Line – La ligne de démarcation

The Color Line est le titre d’un article rédigé en 1881 par le leader noir Frederick Douglass, un esclave qui s’est enfui et est devenu fonctionnaire grâce à ses talents d’orateur. Le terme a été repris par William Edward Burghardt Du Bois, fondateur de la National Association for the Advancement of Colored People, dans le livre The Soul of Black Folks, qu’il publie en 1903 et dans lequel il constate que la « ligne de la couleur » sera « le problème du XXe siècle ».

The Color Line est la ligne de démarcation à la fois symbolique et concrète entre les blancs et les gens de couleur. C’est la ligne qui divise entre les gagnants et les perdants, entre ceux qui ont accès à leurs droits et ceux qui doivent d’abord trébucher sur des obstacles pour y accéder.

Le milieu de l’art – supposé être le refuge de la liberté d’expression, n’est pas épargné. Parmi ceux qui ont profité des mérites et de la consécration, la place des noirs est restée, jusqu’à peu, inoccupée.

Rendre la place qu’ils méritent

Le musée du quai Branly se donne la mission de palier le manque d’un répertoire abondant ainsi que de rendre aux artistes africains-américains, méconnus pendant longtemps aux États-Unis et inconnus en France, la place qu’ils méritent.

Aaron Douglas, Into Bondage, 1936, huile sur toile 153,4 × 153,7 cm. (© Adagp, Paris, 2016, G-Williams.)
Aaron Douglas, Into Bondage, 1936, huile sur toile 153,4 × 153,7 cm. (© Adagp, Paris, 2016, G-Williams.)

Mais l’exposition, conçue par le critique d’art Daniel Soutif, à qui le musée du quai Branly avait confié en 2009 la remarquable rétrospective Le Siècle du Jazz, s’avère précieuse également par sa propension à croiser les perspectives artistiques et politiques.

Les œuvres de l’exposition traitent des conditions de vie des Africains-américains et de leur lutte pour leur droit à l’égalité. Bouleversantes, les œuvres nous livrent la douleur physique et morale subie par les noirs.

Le spectateur comme témoin

The Flag is Bleeding de Faith Ringgold, œuvre de 1967, fait partie d’une série d’une vingtaine de peintures intitulées The American People. Faith Ringgold est connue pour ses grandes toiles et courtepointes présentant le quotidien des Africains-américains. La vivacité et la puissance de ses peintures rend le spectateur témoin de la réalité que vivent ceux qui sont du mauvais côté de la ligne de couleur – la douleur et la violence.

Reginald A. Gammon, jr., Martin Luther King, jr. (©Adagp, Paris, 2016 )
Reginald A. Gammon, jr., Martin Luther King, jr. (©Adagp, Paris, 2016 )

Faith Ringgold n’est pas militante au début de sa carrière. C’est la galeriste Ruth White qui la persuade de laisser ses paysages de côté pour se consacrer à la peinture des tumultes raciaux, de la guerre, des droits civils et des conflits sur l’égalité des droits qui agitaient l’Amérique de l’époque.

The Flag is bleeding représente cette lutte qui déchire l’Amérique symbolisée par ce drapeau qui saigne.

La lutte contre les idées reçues

Uncle Tom and little Eva a été peint par Robert Duncanson en 1857. Duncanson, paysagiste inspiré par le romantisme anglais, est le premier artiste africain-américain à avoir été reconnu de son vivant.

Dans The Young Sabot Maker peint en 1895, Henry Ossawa Tanner lutte contre les idées reçues sur les noirs en présentant une image des Africains-américains laborieux et productifs qui transmettent ces qualités de père en fils. Henri Ossawa Tanner est le premier artiste africain-américain à gagner une réputation internationale.

L’histoire des lynchages

Strange Fruit, chante Billie Holiday en hommage aux Africains-américains lynchés. Des milliers de cas de lynchage se sont produits aux États-Unis entre 1880 et 1980, les victimes étant souvent pendues à des peupliers.

En 1935, deux expositions ont été consacrées au thème des lynchages.

En 1944, bien que loin d’être politique, Lois Mailou Jones se sert de son art pour faire avancer une cause : la dignité des Africains-américains. Mariée à un artiste haïtien, elle s’investit plutôt dans des peintures très colorées. Mais la peinture Mob Victim (Meditation) est sans doute son œuvre la plus puissante. Peinte en 1944, c’est le portrait d’un homme noir âgé, que Lois Mailou Jones a rencontré dans la rue et qu’elle a invité à venir dans son atelier.

Loïs Mailou Jones, Mob Victim (Meditation), 1944. Huile sur toile 104,1 × 63,5 cm. (Collection particulière )
Loïs Mailou Jones, Mob Victim (Meditation), 1944. Huile sur toile 104,1 × 63,5 cm. (Collection particulière )

Ses yeux tournés vers le haut rappelant l’oeuvre de Le Greco Les larmes de Saint Pierre (1600-1614), on voit à peine ses mains attachées, indiquant qu’il est sur le point d’être lynché. En regardant son cou, on aperçoit comme la trace d’un nœud probablement de la corde que Jones avait l’intention de peindre, une idée à laquelle elle décide de renoncer. C’est justement ce refus d’être explicite qui octroie à ce tableau toute sa puissance.

Valorisation de l’identité noire

Aaron Douglas – artiste phare de la Renaissance de Harlem le mouvement qui annonce le renouveau de la culture africaine-américaine dans l’Entre-deux-guerres – réalise en 1936 un quadriptique sur la vie des Africains-américains de l’esclavage à nos jours. Cette œuvre représente bien la philosophie de Alain Locke dans son oouvrage The New Negro.

Into Bondage forme la première partie de cette peinture. Les silhouettes suggérées avec peu de détails, la palette composée de différents oranges, de bleu et de mauve brumeux, représente parfaitement son style. Into Bondage évoque le sort des Africains capturés puis envoyés dans les bateaux à leur futur esclavage. Cependant, l’une des silhouettes se tient debout. Illuminée par l’étoile du nord qui guidait les esclaves qui s’échappaient vers le nord par les réseaux de routes clandestines, le tableau dégage un optimisme rayonnant.

On pourrait encore mentionner le militant David Hammons dont l’œuvre African American Flag illustre l’affiche de l’exposition de Jacob Lawrence, dont les tableaux de la Migration Series sont des merveilles de composition ; les gravures d’Elizabeth Catlett, documentant avec une puissante expressivité son quotidien de femme noire dans la première moitié du XXe siècle, Horace Pippin qui décrit ses aventures de la Première Guerre mondiale dans quatre carnets manuscrits dont l’un est illustré et bien d’autres artistes doués et importants que le musée du quai Branly nous permet de découvrir ou de redécouvrir pour ne pas oublier toute l’histoire de cette communauté.

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